« La recherche du véritable amour a supplanté la recherche de Dieu à notre époque. 99 Moons jaillit du présent, est proche et intime, nu et libre »
Jan Gassmann
Les relations de couple sont un thème récurrent dans vos films, comme récemment dans « Europe, She Loves ». Qu’est-ce qui vous intéresse tant dans ce domaine ?
L’amour reste pour moi une sorte de pouvoir anarchiste dans une société fortement marquée par les principes économiques. On ne peut pas choisir de qui on tombe amoureux ou de qui on est sexuellement attiré. L’amour est plein de mystères et de conflits qui me fascinent en tant que cinéaste. Chaque relation cherche ses propres idéaux, règles et comportements. Dans « 99 Moons », il s’agissait pour moi d’examiner ces idéaux à la loupe et de montrer différentes formes de relations entre deux personnes. Où commence une relation ? Où ne parle-ton que de sexe ? Comment réussir une relation ? Par la fidélité absolue ? Par l’amour libre ? Par l’abandon du monde ?
Vos personnages principaux ont des projets de vie très différents et la sexualité joue un rôle important dans les deux cas. Comment ces personnages sont-ils apparus lors de l’écriture du scénario ?
Le scénario de « 99 Moons » a connu une phase de développement de près de dix ans. Les personnages ont vieilli avec moi, ils se sont posés d’autres questions au fil du temps et ont réagi différemment aux situations. Dès le début, j’avais une idée précise de Bigna, le personnage principal féminin.
Le personnage principal masculin, Frank, a été plus difficile à développer pour moi, car il est plus proche de moi en tant qu’homme et j’ai eu plus de mal à le considérer objectivement. La sexualité de Bigna est née d’une part de recherches et d’entretiens, mais aussi du désir de briser les habitudes visuelles. Bigna prend sexuellement ce dont elle a besoin. Elle fixe les règles et détermine comment doivent se dérouler ses rencontres sexuelles avec les hommes, à savoir le plus anonymement possible et sans deuxième fois. Il en va de même avec Frank. Mais il réveille quelque chose en elle qui la pousse à revenir vers lui… Frank, quant à lui, est enfermé par son entourage hipster, qui se veut « moderne » et « ouvert », dans un rôle d’homme tout de même assez classique, que l’expérience avec Bigna va faire exploser. C’est grâce à elle qu’il découvre qu’il est purement excité par son désir, qu’il apprécie d’être dominé et que la sexualité est également possible sans pénétration. Le film est aussi pour moi une réflexion sur la dissolution des rôles sexuels classiques et sur la liberté que nous pourrions en retirer – mais dont beaucoup d’entre nous ont encore peur.
Vous avez décidé de confier les deux rôles principaux à des non-professionnels, pourquoi ?
Ma directrice de casting Lisa Olàh et moi-même avons invité à peu près autant de non-professionnels que d’acteurs professionnels à participer au casting, qui a duré deux ans. La décision de tourner avec deux non-professionnels dans les rôles principaux a été prise à la toute fin. Nous avons pris cette décision plus selon notre intuition qu’en fonction du CV des acteurs. Ce qui nous importait, c’était l’alchimie entre les acteurs et les actrices, le rejet, l’attirance, la friction, leur relation avec leur corps. Nous savions que le casting de cet amour fou aurait une influence décisive sur le film final, et bien sûr, c’était un risque de tourner avec deux personnes qui n’avaient jamais été devant une caméra de cinéma. En même temps, ils nous ont surpris tout au long du tournage. La décision peut se résumer ainsi : Avec les acteurs professionnels castés, j’avais une idée claire du film fini, avec Valentina et Dominik, j’ai choisi une boîte noire avec la chance de créer quelque chose qui va au-delà de ce que j’avais imaginé.
À quoi faut-il faire attention quand on tourne avec des non-professionnels ? Votre expérience de réalisateur de documentaire vous a-t-elle aidé ?
J’ai les mêmes exigences envers les non-professionnels qu’envers les acteurs : Ils doivent avoir le don d’être présents au moment où la caméra tourne. C’est-à-dire vivre devant la caméra, respirer correctement, fumer – avoir de la clarté et du calme en soi. C’est ce qu’il y a de plus difficile pour tous les acteurs.
L’improvisation est pour moi un outil important pour créer de nouveaux moments « vrais » et ne pas tomber dans la répétition. Mon expérience de réalisateur de documentaires se ressent sur mes plateaux de fiction : Je donne aux acteurs une grande liberté de mouvement dans l’espace, la caméra doit réagir à eux et non les acteurs à la caméra. Les plateaux sont aménagés à 360 degrés et peuvent être entièrement utilisés. S’il y a un tourne-disque, il fonctionne et on peut écouter de la musique. Je tourne presque toujours en longues prises qui doivent être condensées au montage. J’aime les accidents créatifs et les coïncidences sur le plateau. Même si je me prépare minutieusement en amont avec mon équipe, je veux être moi-même créatif sur le plateau. C’est pourquoi, pour moi, un tournage est toujours placé sous la devise : « Permission to fail… ». Ce n’est pas grave si quelque chose se passe mal. Cela nous permet de prendre des risques. Je pense que cette manière de tourner convient aux non professionnels, car il ne s’agit pas de reproduire parfaitement une idée de mise en scène, mais de saisir des moments dans le présent.
Le film contient de nombreuses scènes intimes. Comment avez-vous procédé pour les réaliser ? Qu’est-ce qui était important pour vous dans la représentation de la sexualité ?
Dès l’écriture du scénario, il était clair que la réalisation des scènes intimes serait un défi. C’est pourquoi les producteurs de Zodiac ont proposé très tôt que je puisse tourner avec l’aide d’un coordinateur de l’intimité. Le travail de coordinateur d’intimité est assez nouveau sur le plateau et c’était génial de travailler avec Cornelia Dworak pour « 99 Moons ». Nous avons répété de nombreuses scènes intimes à l’avance, élaboré des chorégraphies détaillées, pour pouvoir ensuite agir librement sur le plateau avec des limites prédéfinies en ce qui concerne les contacts ou les positions de la caméra. Outre les règles claires du « plateau fermé » (seules quelques personnes sont présentes sur le plateau afin de créer une atmosphère aussi intime que possible), j’ai appris beaucoup de choses sur la communication en matière d’intimité. Par exemple, comment nommer concrètement et sans honte les parties du corps en tant que réalisateur, et ainsi démystifier les scènes de sexe. Les acteurs peuvent ainsi se concentrer sur leur jeu et sur le moment, sans être freinés par la honte.
Vous avez tourné l’histoire avec une petite équipe, autant que possible de manière chronologique. Qu’est-ce que cela a signifié pour le tournage ?
J’aime tourner de manière chronologique. Cela me donne, mais aussi à l’équipe, le sentiment d’avancer dans une histoire et dans un monde. En même temps, le tournage chronologique est un luxe pour le réalisateur et les acteurs, car il prend plus de temps et nécessite une logistique plus compliquée. Pour ce tournage, c’est ce qu’il fallait faire : nous avons pris plus de temps, et nous avons choisi de ne pas avoir une plus grande équipe mais plus de possibilités de création. Par exemple, nous avons tourné avec un éclairage fixe et n’avons pas ajusté la lumière en permanence. De plus, nous avons souvent travaillé avec de « vraies » sources de lumière, celles que l’on voit à l’image.