Quelle a été l’idée de départ du film ?
L’inspiration du film vient d’une histoire personnelle. Pendant plus de 10 ans, mon père était gravement malade et j’ai vu ma mère s’occuper de lui sans relâche, avec un dévouement infini. Le lien d’amour entre eux avait sans doute disparu depuis longtemps, mais elle s’est engagée à prendre soin de son mari du mieux qu’elle pouvait. J’essayais de comprendre ce dévouement, sans jamais lui poser de questions. C’est dans les tourments de sa vie que ma mère m’a énormément appris. Cette expérience était une opportunité de voir la souffrance comme quelque chose de transcendantal.
Comme dans votre premier film, « Vanishing Point », le temps a ici une grande importance, à l’image du corps physique qui voit son éclat disparaître. Comment avez-vous abordé ce rapport au temps ?
J’aime à penser qu’en vieillissant, nous devenons progressivement une personne différente. « Vanishing Point » et « Anatomy Of Time » explorent chacun une personne à différentes étapes de sa vie, un homme dans le premier, une femme dans le second. J’essaye d’approcher visuellement le concept du temps, autant physiquement qu’ontologiquement. Je crois que le temps trouve vraiment son sens au moment de la mort. Et le cinéma permet ainsi une expérience complète du phénomène du temps.
L’histoire commence dans les années 60, période où le Général assoiffé de pouvoir n’imagine pas qu’il tombera en disgrâce jusqu’à la fin de sa vie. Pouvez-vous revenir sur le parallèle avec les Jeunes Turcs thaïlandais mentionnés dans le film ?
Les Jeunes Turcs thaïlandais étaient un groupe de jeunes officiers militaires qui ont tenté plusieurs coups d’État. Dans les années 1960-80, ils ont marqué toute une période de luttes de pouvoir sans jamais réussir à l’obtenir. Certains des officiers militaires déchus ont intégré l’administration gouvernementale tandis que d’autres vivaient dans la honte d’avoir trahi. Après avoir traversé une telle période, il n’est pas simple de vivre sereinement, de trouver la paix en fin de vie. Et c’est là le dilemme du Général. Malgré tout le dévouement de sa femme, il n’arrive à trouver la paix à la fin de sa vie.
Comment interpréter le rapport des autres au Général, que ce soit l’officier militaire qui lui rend une visite bienveillante ou le commerçant qui l’insulte et le chasse ?
Ce sont des toiles de fond de la vie d’un personnage qui a connu une ascension dans sa carrière, puis la chute. Dans les événements traversés, il a pu réprimer un soulèvement populaire, tuant des centaines de manifestants contre la dictature militaire. Ces histoires ne sont pas expliquées dans le film car je préfère que le public ressente la même chose que Maem qui n’a pas participé aux décisions de son mari, même si elle en a subi les épreuves.
Le film se termine sur une double fin, l’une où Maem vit et l’autre où elle meurt, suite au souvenir d’une scène d’amour. Était-ce votre intention de présenter le sexe comme une petite mort, où elle atteint le nirvana avant que son mari ne se lève à nouveau ?
Voir son mari mourir après avoir été longuement alité serait comme un idéal pour elle. Cela lui permettrait de s’en détacher et de retourner chez elle, paisiblement au milieu de la nature. Cela pourrait ressembler à une fin heureuse, mais la vie et la nature sont plus tenaces. Une personne malade peut vivre plus longtemps qu’une personne qui s’occupe des malades. Le film commence et se termine avec une mort, mais ces deux événements ne sont pas une « fin », bien au contraire. C’est le début d’un retour à la vie par la mémoire. L’étreinte sexuelle peut être un souvenir, un fantasme, un secret ou même une erreur qu’elle a gardée pour elle. Et c’est peut-être aussi la raison pour laquelle elle s’est sacrifiée pour le Général jusqu’à la fin.
Votre récit semble faire écho à la dictature militaire de 1963 à 1973 dirigée par Thanom Kittikachorn car il se déroule à cette période. Mais vous semblez chercher davantage à montrer le caractère temporaire du pouvoir…
Les personnages et périodes du film peuvent être comparés à de vrais personnes ou événements de l’histoire politique thaïlandaise. Mais les mêmes histoires se reproduisent toujours, que ce soit en Thaïlande ou ailleurs. Je ne voulais donc pas rentrer de manière trop définie dans l’histoire.
Quelle a été votre approche de la nature au travers du film ?
La nature est un personnage du film. Avec Phuttiphong Aroonpheng, chef opérateur sur ce film, nous avons passé beaucoup de temps en plus du tournage pour filmer des moments rares pour présenter une nature vivante. Elle a son langage, ses propres expériences et sa conscience. Elle rappelle à Maem d’où elle vient et où elle doit aller. C’est un moyen d’accéder à la vérité pour elle. A travers des scènes comme la naissance d’un arbre par accident ou la mort d’une abeille après un accouplement, nous approchons en filigrane un ensemble plus vaste sur lequel les personnages s’interrogent.