Documentaire / France

AUX MASQUES CITOYNNES

Printemps 2020. la population est confinée. Libéro, un patron de PME, recrute à tour de bras 250 couturières pour fabriquer les masques qui libèreront sa région. Mais, il ne connait rien à la couture, le tissu n’arrive pas et la plupart de ces femmes n’ont jamais vu de machines.

ANNÉE
RÉALISATION
SCENARIO
AVEC
FICHE TECHNIQUE
DATE DE SORTIE

2022

Florent LACAZE

1h35 – Couleur – Dolby Digital 5.1

31 Mai 2023

ENTRETIEN AVEC LE RÉALISATEUR

Vous avez l’habitude de réaliser des publicités avec votre société de production Daisy Day Films, comment avez-vous eu l’idée de raconter cette histoire ?

 

C’est en effet dans le cadre de la réalisation d’une pub, pour l’un de nos clients Axa, que j’ai contacté Libéro Mazzone. Nous cherchions des témoignages d’entrepreneurs qui transforment leur outil industriel pour fournir la France en masque. Il faut se souvenir qu’à cette époque, nous n’avions rien, ni masque, ni gel hydroalcoolique, ni vaccin. Le pays était totalement à l’arrêt. Je contacte cet homme qui, lors du premier coup de fil, me dit : « j’ai 15 secondes à vous accorder ».

Le contact était surprenant mais il avait ma confiance. On raccroche rapidement et quelques jours après, je le rappelle car j’ai besoin d’un accord écrit pour utiliser son image et là il prend le temps de me raconter tout ce qu’il est en train d’entreprendre : recruter 250 couturières via Facebook, trouver un local car le sien est trop petit, trouver du tissu, des machines à coudre, des élastiques… Bref je sens sa détermination, son investissement, sa volonté presque de sauver le monde, d’exister au coeur de la pandémie et dans cette guerre. Je raccroche et deux heures plus tard je décide de partir. Son histoire mérite un film !

 

Il vous a totalement séduit sur un coup de téléphone ?

 

Des entrepreneurs comme Libéro, il y en avait une dizaine en France qui se convertissait mais lui, il a exercé sur moi une certaine fascination. Il produisait des appareils de polissage automobile et là il se lançait dans les masques sans velléité financière !

Par la suite, j’ai appris que c’était un inventeur fou, un « touche à tout », qui avait gagné plusieurs concours Lépine. Il méritait vraiment mon attention. Après tout, je faisais des films pour les autres (producteur d’Au Bord Du Monde – 2019, Au Coeur Du Bois – 2021)…là, j’avais envie de faire un film pour moi qui raconte une aventure humaine mais pas seulement celle d’un homme, celle d’un groupe, d’un territoire qui formaient la résistance d’un pays.

 

Combien de personnes sont parties tourner avec vous ?

 

Quand j’ai dit à Libéro que je venais, je ne savais pas si je partais pour trois jours, trois semaines ou trois mois. J’en ai donc parlé qu’à une seule personne : Pierre Berthier, un ami chef opérateur de cinéma que je connaissais, très expérimenté en documentaire et qui m’a dit : « Tu as toutes les caméras qu’il nous faut au bureau, laisse-moi 24h pour tout rassembler et c’est parti ». De son côté, Libéro qui était prêt à nous accueillir et à se mettre en scène, nous a fourni des attestions pour traverser la France et surtout il nous a trouvé un hôtel, car tout était fermé à cette époque.

 

Une fois sur place, est-ce qu’il a été facile de convaincre les gens d’être filmés alors qu’on vivait avec la peur au ventre ?

 

Nous avons commencé à tourner le 30 avril en plein milieu d’un bras de fer entre Libéro et la direction du travail pour que les couturières, qui n’étaient pas des bénévoles, travaillent le 1er mai. On est donc arrivé en plein tourbillon car il fallait produire 1 150 000 masques pour la métropole de Bordeaux. Le plus difficile a été d’aller à la rencontre de toutes ces femmes qui cousaient et n’avaient pas le droit de s’arrêter pour nous parler. On le voit d’ailleurs dans le film, Libéro était très strict sur la cadence. Nous avons donc pris le temps, Pierre Berthier et moi, d’aller les voir sur les temps de pause et le soir après le travail pour arriver à en convaincre au final une soixantaine. Le plus difficile a été de créer de la proximité dans un contexte sanitaire qui imposait de la distance.

 

Pourquoi avez-vous fait le choix de tourner en huit clos dans cette fourmilière ?

 

On aurait pu aller filmer ces femmes chez elle ou dans le cercle intime de Libéro mais le nerf de la guerre était cette usine. C’était intéressant le huis clos puisque tout était paralysé dehors, les gens ne venaient que là. A l’époque il fallait une attestation pour aller faire des courses et pas plus d’une heure. Ils avaient tous le sentiment de vivre quelque chose d’exceptionnel, c’est ce qui a aussi beaucoup rapprocher les gens. Ils ont donc accepté de travailler ensemble, monter cette entreprise en trois semaines avec tous les enjeux de productivité que cela comportait. Ce film raconte sur 1h30 la naissance, la vie et la mort d’une entreprise en 50 jours avec au début de la confiance, de l’engagement puis l’usure, la défiance et l’échappement. Mais c’était une belle aventure.

 

Est-ce que le monde industriel est derrière nous?

 

Non, je ne peux pas dire ça mais ce qui est sûr c’est que quand je suis arrivé dans cette usine, j’ai cru que j’étais au début du 19e siècle avec 90% de femmes derrière les machines. J’ai vraiment voulu raconter que toutes ces personnes mobilisées avaient une réelle volonté de changer le monde, avec un grand espoir de travailler ensemble, comme une famille, même avec des bouts de ficelles. Puis quand le déconfinement a commencé, peu de gens les portaient et les masques sont arrivés de Chine et tout est redevenu comme avant.

 

Comment avez-vous construit le film car tous les jours il y avait des enjeux de plus en plus forts ?

 

On avait des partis pris très clairs ; très vite, on a construit des séquences d’images comme celles des pieds qui tapent le sol pour symboliser le démarrage d’une aventure ou celle des balais ou encore celles des masques qui montrent des demi-sourires car je ne voulais pas montrer les visages trop tôt. Ces séquences soignées nous ont permises de construire le film mais l’information et ce qu’il se passait dans l’usine nous rattrapaient tous les jours.

 

Le film parle aussi du sens du travail, du management, du faire ensemble, de ce que notre société est capable de réaliser.

 

J’ai créé mon entreprise en essayant de rendre les gens plus responsables, qu’ils puissent être maîtres de leur destin, avec moins de rapport de hiérarchie et plus d’autonomie. Je pense que j’ai retrouvé ça chez Libero, il a essayé de créer l’envie.

Dans cette aventure, j’ai observé des gens se lever pour répondre à l’absurdité de la situation. Ils ont créé un atelier éphémère qui exacerbe la folie de notre société qui est à bout de souffle, sans vision, individualiste, dégradée et qui se prend la Covid en pleine figure.

L’atelier est une métaphore de notre société, qui agit dans l’urgence et sans réfléchir, avec des leaders aux égos surdimensionnés. Je ne me suis pas rendu compte sur l’instant, mais ce film est aussi une chronique de l’absurde, une comédie sociale.

 

C’est un film très musical aussi, ça chante, ça danse ?

 

La musique a été fondamentale pendant le tournage . On s’est inspiré de celle que Libéro passait ou chantait dans l’atelier. Quand tout le monde reprenait en coeur « il en faut peu pour être heureux » c’était un moment très fort. D’ailleurs, merci aux auteurs de nous avoir cédé les droits car c’est une belle séquence. En post-production, il a fallu trouver d’autres musiques qui fassent parler les sentiments et les émotions. C’est Guillaume Niquet, le monteur, qui a fait un très beau travail.

Je voulais mettre une chanson dans le film qui traite de l’héroïsme d’un jour mais je voulais aussi qu’elle soit chantée par une femme. J’ai pensé à Sophie Hunger, une chanteuse qui a de grande qualité d’interprétation et qui est une très bonne musicienne. Après avoir vu le film, elle a accepté. C’est une version inédite pour le documentaire. Un beau cadeau qui vient récompenser tout ce travail, cette générosité, cet élan d’humanisme et toutes ces confidences d’une époque.

ENTRETIEN AVEC LIBERO MAZZONE

Pourquoi vous êtes-vous lancé dans ce projet fou?

 

J’ai entendu Macron qui disait « il n’y a pas de masque donc on ne sort pas de chez soi ». Mes grands-parents ont fait des balles, ils ont fait sauter des trains contre des convois de fascistes, mon grand-père a été condamné à mort par Mussolini et par Franco parce qu’il ne voulait pas être enrôlé dans les chemises noires et moi je vais rester à la maison et attendre ?

J’ai décidé de faire des masques. Tout a été très vite. Arnaud de Carli m’a contacté, il cherchait quelqu’un pour faire des masques pour la région, 1 million.

Au début j’ai refusé, je ne voulais pas m’engager dans un truc bizarre avec des quantités astronomiques. J’ai quand même regardé et je l’ai rappelé.

J’ai étudié le modèle sur Internet, j’ai trouvé un mec qui faisait des masques de sport à côté de Lyon, il avait 140 000 mètres de tissu en stock DGA, défense des armées, certifié AFNOR, tout ce qu’il fallait pour faire des masques.

J’ai acheté le tissu dans la nuit, tout était bon, sauf que je n’avais pas les machines à coudre, je n’avais pas les élastiques et je n’avais pas les couturières.

J’ai passé une annonce sur facebook et en 8 heures je suis passé de 50 couturières à 250…

J’ai contacté le patron de Singer France, qui a refusé de me vendre les machines et m’a dit « non je vous en fais cadeau parce que ce que vous faites j’aurais aimé le faire moi-même ».

Cinq minutes plus tard il avait deux camions en bas de l’entrepôt pour charger les machines.

 

L’atelier de couture était dans votre usine ?

 

Au grand max je pouvais mettre 70 personnes dans mon usine et là j’avais 250 couturières. Je ne savais pas comment faire.

Je passe devant le parc des expos de la Teste, c’est là qu’il faut que je sois. J’appelle le responsable de la Cobas, pour qu’il me dégote le Parc des expositions. Il me dit : « Mais on est en plein confinement, personne ne va vous autoriser ça, appelez le maire de la Teste ».

Le maire m’explique qu’il ne peut rien faire, il faut que ce soit le préfet qui donne son autorisation. J’ai appelé le préfet qui a appelé la sous-préfète… Elle vient finalement me voir pour comprendre ce que je veux faire.

J’avais fait un tracé au sol. Je lui garantis qu’ici il n’y aura pas un cas de Covid, parce qu’on va garder les distances de sécurité, je lui montre les marquages au sol. Elle me donne son accord. Dans la nuit on a mis toutes les machines en place, on a construit une usine pour 250 personnes !

Le lendemain matin, on était prêts.

 

Pourquoi avoir participé à ce film ?

 

J’avais cherché à joindre Luc Besson à travers Eric Serra, parce que je savais qu’il était en galère et qu’il n’avait plus de travail, qu’il était ruiné le mec. Je l’ai appelé pour qu’il vienne tourner ce qui était déjà en lieu et place. Je n’ai jamais eu de réponse, enfin quand je dis jamais c’est que dans les deux heures qui suivent je n’ai pas eu de réponse… Fallait faire vite !

Le lendemain, Florent Lacaze m’appelle, car il avait besoin des droits pour un reportage que j’ai fait pour AXA. Je lui demande ce qu’il fait. Il est réalisateur.

Il y a un décor planté là, venez filmer parce que c’est une histoire incroyable. Moi je vous donne le logement, la nourriture et vous filmez. Par contre il faut venir demain matin. Il me dit : « Je prends la voiture, j’arrive.»

 

C’était une course contre la montre cette aventure ?

 

Oui, il fallait gérer au quotidien mais ça ne pouvait pas être autrement tout s’est fait très rapidement. J’ai embauché les gens, je les ai formés en trois minutes et ils se sont mis au boulot directement. Tout le monde disait que j’étais un fou, qu’ils n’avaient jamais vu ça…

 

Et le monde d’après, comme on entend parfois ?

 

Ahh le monde d’après… il est pire que le monde d’avant parce que les gens vivent comme s’ils étaient en terre brûlée. Ils savent qu’un danger imminent peut les tuer du jour au lendemain, quelque chose d’impalpable, d’inodore, d’incolore et d’un coup tout le monde est à l’hôpital, tout le monde est en train de mourir.

J’ai l’impression que pour eux l’avenir qui était constructif, est aujourd’hui un avenir coûte que coûte, du mieux qu’on peut. Pour tout le monde c’est chacun pour soi.

 

Vous avez perdu de l’argent ?

 

Oui, j’ai perdu 250 000€ parce qu’on n’avait pas assez de masque pour répondre aux commandes, on m’a dit d’acheter 300 000 masques de plus. On va te les vendre ne t’inquiète pas. Ils sont encore par terre dans mon usine.

Le «quoi qu’ il en coûte», il y en a beaucoup qui ont profité de l’argent qui a été prêté. Ils ne le rendront jamais et ils le savent très bien. Ceux qui n’ont rien eu, ils ont la haine d’avoir été empêché de travailler pour quelque chose qui, finalement, ne les a pas touchés gravement. Ils ont tout perdu.

 

Et, si c’était à recommencer ?

 

Je referais à l’identique, avec la même insouciance. Il y avait danger de mort pour l’humanité et comme pour tous les projets que j’ai en ce moment, j’y vais à fond.

J’ai toujours la même envie de faire, même si je dois y passer le restant de mes jours.

LES COUTURIÈRES

Brigitte

 

« Ici on venait faire les lotos. La mairie de La Teste a mis à disposition le local pour l’urgence. J’ai dit oui de suite. Vu que l’État nous lâchait un peu, il fallait bien prendre le relais. »

 

Pascaline

 

« Moi, je suis venue travailler les week-end en renfort et j’ai été particulièrement touchée par toutes ces femmes, leur solidarité, leur gentillesse.»

 

Nathalie

 

« Il a renvoyé des gens le vendredi, et le lundi il s’est rendu compte qu’il n’avait pas assez de couturières… et ben il les a rappelées.»

 

Caroline

 

« Par moment on ne pense même plus. On a fait 40 masques et on ne sait même pas comment on les a fait. C’est tellement lobotomisé, automatisé, le geste est devenu tellement précis que y’a même plus besoin de penser. »

 

Laura

 

« C’était assez marrant, au début, ils n’avaient pas les tissus. Ils ont pris les nappes sur les tables, pour nous entraîner à plier et on y a passé la journée. Ils étaient vraiment à l’arrache quand même. »

 

Martine

 

« Il est quand même culotté ce type parce que gérer 230 personnes en moins de deux comme ça, et dont une majorité de femmes. C’est pas facile de travailler avec des femmes »

À PROPOS DU RÉALISATEUR

Florent Lacaze, est né à Bordeaux le 24 mars 1969. Il est réalisateur et producteur.

 

Après des études à l’ESRA, il travaille en freelance pendant 15 ans en tant que cameraman, chef opérateur et réalisateur sur tous types de films, événements, reportages, publicités, pour de nombreuses agences et productions, notamment Publicis, Bonne Pioche, La PAC, Wanda.

 

En 2000, il co-crée Vous Voulez Voir, agence et société de production. Il continue de réaliser des films publicitaires, institutionnels et digitaux pour de grands annonceurs : L’Oréal, Unilever, Axa, Daimler Chrysler, Danone, Franck Provost, Groupe Dessange…

 

En 2008, il crée Daisy Day Films avec pour objectif de développer des projets cinéma en parallèle de l’activité de communication. En 2012, il produit « Ovni », un court-métrage de Guillaume et Geoffrey Niquet. En 2013, le long métrage documentaire « Au bord du Monde » de Claus Drexel est sélectionné à l’ACID à Cannes, remporte de nombreux prix dans de grands festivals internationaux et rencontre un très beau succès auprès de la presse et du public.

 

Depuis, il produit et développe plusieurs films documentaires et de fiction. Le dernier film de Claus Drexel « Au coeur du bois » est sorti en salle en décembre 2021. Au printemps 2020, pendant le confinement, il part tourner « Aux Masques Citoyennes », témoignage vivant de cette guerre sanitaire.

CE QU'EN DIT LA PRESSE

L’OBS

Florent Lacaze filme avec jubilation cette agitation, insère des scènes de fête, et rend hommage à ces femmes et ces hommes qui font équipe. Du documentaire comme ça, on en reprendrait bien une louche.

 

LES FICHES DU CINÉMA

Dans ce premier film documentaire, F. Lacaze fait le choix de la légèreté et de la pluralité pour raconter la crise sanitaire.

L'ÉQUIPE DU FILM

avec par ordre de témoignage :  Libéro, Arnaud, Philippe, Fabien, Frédéric, Clara, Bruno, Émilie, Marie-José, Jeanne, Houda, Pascaline, Brigitte, Sandrine, Nathalie, Valérie, Damien, Malcolm, Linda, Marilou, John, Claudette, Colonel Alain, Colonel Noël, Ingrid, Céline, Cathy, Caroline, Claudine, Christine, Mélodie, Poérava, Bernadette, Victoria, Olivia, Corentin, Nathalie, Sylvie, Lydie, Maxime, Laura, Anna, Michelle, Sandrine, Patricia, Maïté, Corinne, Saida, Valérie

Réalisé par : Florent Lacaze
Image : Pierre Berthier
Montage : Guillaume Niquet
Musique originale : Sophie Hunger
Montage son, Mixage : Hervé Guyader
Etalonnage : Natacha Louis
Produit par : Florent Lacaze, Céline Farmachi
Production / Distribution : Daisy Day Films

HORAIRES DU 7 AU 13 JUIN

Mercredi, Jeudi, Dimanche, Lundi : 20h20
Vendredi, Lundi : 15h00
Samedi, Mardi : 18h20