Fiction / Chine

Chongqing Blues

« La nouvelle génération vit une période charnière.
Les jeunes dans la société actuelle ne réfléchissent plus du tout,
en partie parce que personne ne s’intéresse à eux.
Ils n’ont pas de rêves, ni d’espoirs. Ils veulent juste vivre.
Ils sont perdus au milieu de cette nouvelle société chinoise. »
WANG Xiaoshuai

Lin, un capitaine de bateau, rentre après 6 mois en mer et apprend la mort de son fils de 25 ans, Lin Bo, abattu par la police. Pour découvrir ce qu’il s’est passé, il retourne à Chongqing, une ville où il a vécu autrefois. Il se rend compte une fois sur place qu’il connaissait très peu son fils et comprend alors à quel point son absence a pesé sur la vie de son enfant.

Compétition Officielle – Festival de Cannes 2010
Festival de Tokyo 2010
Festival de Hong Kong 2011

ANNÉE
RÉALISATION
SCENARIO
AVEC
FICHE TECHNIQUE
DATE DE SORTIE

2010

WANG Xiaoshuai

YANG Yishu, WANG Xiaoshuai

WANG Xueqi, FAN Bingbing, QIN Hao, WANG Ziyi, LI Feier

1h55 – Couleur – 1.85 – Dolby Digital 5.1

5 août 2020

NOTES DU RÉALISATEUR

CHONGQING

L’action de tous mes films se situe dans un cadre urbain car j’ai toujours vécu dans des grandes villes, telles que Wuhan ou Pékin. La seule exception est « Shanghai Dreams » que j’ai tourné dans la province du Guizhou où j’ai passé mon enfance. J’ai pourtant un rapport assez particulier aux villes dans lesquelles je vis : je me sens en permanence un étranger dans la ville, décalé par rapport aux locaux. Cela me rend plus sensible à ce qu’il se passe dans la ville, aux habitudes et particularités de chacune, aux changements qui peuvent intervenir.

Après « Beijing Bicycle » et « Shanghai Dreams », c’est amusant d’avoir un troisième film avec le nom d’une ville. La ville de Chongqing est très singulière. C’est une des principales villes de la province du Sichuan, dans l’intérieur de la Chine. Elle est très représentative de la Chine contemporaine, pleine de vie mais qui elle est restée ouvrière et modeste. Avec ses grands immeubles H.L.M., c’est une ville plus populaire, à l’atmosphère particulièrement chaleureuse.
Dans le cinéma chinois, Pékin ou Shanghai servent le plus souvent de décor. J’ai choisi Chongqing pour ce film du fait de la présence de la rivière au milieu de cette immense ville. Je voulais raconter l’histoire d’un homme qui est toujours en déplacement. Lorsqu’il habitait à Chongqing, il était déjà souvent absent, travaillant sur les bateaux de la rivière. Après son divorce, il est parti plus loin encore, tout au bout de la rivière. Il vit maintenant au bord de la mer et c’est là qu’il navigue.


BLUES

J’aime beaucoup le mot anglais « Blues » du titre du film. Chongqing est une ville dans un brouillard permanent. Il est rare d’y voir le soleil. On dit même que c’est la capitale du brouillard. La brume, les nuages, le ciel lourd font que les gens ont un peu le blues en permanence, mais c’est aussi le blues que ressent le père en son fort intérieur.
Le titre chinois a un double sens. « Rizhao Chongqing », Rizhao, c’est le nom de la ville où vont les jeunes à la fin du film et où habite désormais le père. Rizhao veut aussi dire « ensoleillement ». C’est donc un petit rayon de soleil sur Chongqing, l’image du père qui, découvrant progressivement sa vie, son passé et son fils, fait entrer un peu de soleil dans le brouillard.


FILMER LA VILLE

Quand j’ai choisi de tourner à Chongqing, la première question était de voir comment filmer cette ville et comment placer la dramaturgie et les personnages dans ce cadre. Je voulais que le père soit en mouvement permanent pour voir les différents aspects de la ville. L’image devait être en adéquation avec ses émotions. Nous avons donc décidé de filmer caméra à l’épaule et avec peu d’éclairage. Cependant c’était difficile de filmer sur le vif au milieu de la foule qui anime constamment Chongqing et notre équipe ne passait pas inaperçue. Il a donc fallu recréer beaucoup de situations. Les scènes de rue, telles que les restaurants et les déplacements du père, sont toutes des situations que nous avons mises en scène et fait vivre pour le film. C’était très compliqué car il a fallu gérer un grand nombre de figurants pour reconstituer l’image de la vie de Chongqing.
Au départ, nous avions choisi surtout des lieux visuellement intéressants, comme l’endroit où les cendres de Lin Bo sont dispersées. C’est un îlot sur la rivière, face à la ville, deux éléments essentiels pour montrer le rapport des gens à cette ville. Arrivés sur l’îlot pour le tournage, nous avons découvert un paysage étrange marqué par la présence d’un vieux camion abandonné. J’ai trouvé frappant le parallèle entre cette épave et une situation familiale à la dérive.


UNE HISTOIRE VRAIE

Je suis souvent à la recherche de petites histoires emblématiques de la Chine contemporaine. Dans les journaux et sur Internet, je lis de nombreuses histoires de ce type : des faits divers tels que des prises d’otages ou des interventions de la police qui se terminent souvent de façon dramatique. Je trouve cela d’autant plus intéressant, car on a de la Chine l’image d’un pays plutôt paisible et sans danger. Ces histoires permettent de s’interroger sur les changements récents que la Chine a connus et deviennent un point de départ pour un film.
J’ai trouvé ce fait divers très simple et banal, mais il cache une histoire de famille, de vies croisées, de sentiments. Comment les proches vivent un tel drame ? C’était un jeune homme sans histoire et dont la vie bascule lorsqu’il commet un grave délit. Quelle est la raison de tout cela ? Un simple acte de délinquance juvénile ? L’absence d’un père ? La négligence d’une mère ? La corruption de la société ? Une folle histoire d’amour?


FACE AU PASSÉ

Le personnage du père est très important pour moi, car il illustre la Chine d’aujourd’hui. Tout change si vite dans ce pays. Les gens courent tous après l’argent et leurs valeurs ont changé avec cet essor économique. Les priorités ont évolué. C’est pour cela que j’ai voulu mettre le personnage principal face à son passé. Dans une vingtaine d’années, quand ce pays regardera en arrière, il réalisera ce qu’il a perdu : le père est en fait le symbole de la Chine actuelle.
La nouvelle génération vit une période charnière. Les jeunes dans la société actuelle ne réfléchissent plus du tout, en partie parce que personne ne s’intéresse à eux. Ils n’ont pas de rêves, ni d’espoirs. Ils veulent juste vivre. Ils sont perdus au milieu de cette nouvelle société chinoise. Ils n’ont pas les mêmes motivations que ma génération. Dans les années 80-90, nous recherchions un sens à nos vies, nous réfléchissions au monde qui nous entourait, nous souhaitions trouver une place dans la société.


LA CULTURE EN JEU

J’ai l’impression que le cinéma en Chine aujourd’hui est comme un jeu, un pur produit pour le marché sans sens et sans fond. Tout le monde y participe : ils veulent tous aller faire des films à Hollywood et prendre d’assaut le box office. Les investisseurs veulent que l’on joue leur jeu. Comme quelques autres réalisateurs de ma génération, je reste en dehors de ce système. Quand vous pensez différemment, ils ne savent plus quoi faire avec vous.
Mes films sont reconnus à l’étranger, mais la Chine ne s’y intéresse pas car ce ne sont pas des films assez commerciaux et divertissants. Lors de la sortie de mes films, je ne contrôle rien et je ne peux rien dire. Le succès public d’un film dépend maintenant non pas de ses qualités ou de ses auteurs, mais du montant investi lors de la sortie du film.
La culture disparaît progressivement. En quelques années, on est passés à un monde centré exclusivement autour de l’argent, où on ne parle plus de qualité, d’idées, de réflexion.

A PROPOS DE WANG XIAOSHUAI

Diplômé de l’académie du cinéma de Pékin, Wang Xiaoshuai écrit et réalise son premier long métrage en 1993, « The Days », à l’âge de 27 ans. Très bien reçu par la critique occidentale, le film est néanmoins inscrit sur la liste noire, interdisant la distribution du film sur le territoire, par le bureau du cinéma en Chine. Ce film raconte les derniers jours d’une relation qui se détériore entre deux artistes à Pékin.
Deux ans plus tard il met en scène « Frozen » sous le pseudonyme Wu Min (Sans nom) qui est sélectionné dans plusieurs festivals internationaux et qui décroche la mention spéciale du jury au Festival de Rotterdam en 1995. Il y offre un regard sur le milieu artistique d’avant-garde à Pékin dans lequel un jeune artiste organise des performances avec comme acte final son propre suicide. Dans la même année, il dirige « A vietnamese Girl » pour le Beijing Film Studio. Cette oeuvre est refusée par le comité de censure et il faudra trois ans de re-montage et un changement de titre (So Close to Paradise) pour que le film soit autorisé à une diffusion (limitée) en Chine. Il y raconte l’histoire de deux fermiers chinois qui quittent leur province pour la ville. Un jeune garçon, un peu naïf, et un petit délinquant qui tentent de joindre les deux bouts à Wuhan et qui tombent amoureux d’une chanteuse de night-club qu’ils ont kidnappé. En 1998, le film est sélectionné au Festival de Cannes dans la section Un Certain Regard.
Son cinquième long métrage, « Beijing Bicycle », remporte l’Ours d’argent au Festival de Berlin en 2001 ainsi que le prix d’interprétation pour les deux rôles principaux. Ce film a eu une très belle carrière à travers le monde. En 2003, « Drifters » est présenté à Cannes dans la section Un Certain Regard. Suivra en 2005 le film « Shanghai Dreams », présenté à Cannes en Compétition Officielle et récompensé par le Prix du Jury. En 2008, « In Love We Trust » (Une Famille Chinoise) remporte l’Ours d’argent du meilleur scénario au Festival de Berlin.
En 2010, Wang Xiaoshuai se rend de nouveau au Festival de Cannes pour présenter « Chongqing Blues » en compétition pour la Palme d’or. Observateur attentif de la société chinoise, WANG Xiaoshuai s’intéresse à son passé à travers le regard d’un enfant, avec « 11 fleurs » (2012), et plus précisément à la révolution culturelle de 1974. Présenté au Festival de Venise 2014, « Red Amnesia » dresse un portrait pamphlétaire de la Chine d’aujourd’hui.
En 2018, Wang Xioshuai réalise « So Long, My Son », une fresque mélancolique qui relate le destin au long cours d’un couple chinois confronté à la politique de l’enfant unique. Le film remporte les prix d’interprétation masculine et féminine à la Berlinale 2019.

LISTE ARTISTIQUE ET TECHNIQUE

LISTE ARTISTIQUE
Lin Quanhai (le père) WANG Xueqi
Zhu Qing (le docteur) FAN Bingbing
Xiao Hao (l’ami) QIN Hao
Lin Bo (le fils) WANG Ziyi
Xiao Wen (la petite amie) LI Feier


LISTE TECHNIQUE
Réalisateur WANG Xiaoshuai
Scénario YANG Yishu, WANG Xiaoshuai
Image WU Di
Décors LU Dong
Son FU Kang
Musique Peter WONG, Henry WU
Montage YANG Hongyu, FANG Lei
Produit par HSU Hsiao-Ming, WANG Xiaoshuai
Producteurs HSU Bing-His, ZHANG Hao
Co-produit par Isabelle GLACHANT

CE QU'EN DIT LA PRESSE

Un film triste et beau, sur lequel plane la mélancolie de la disparition. Celle du fils mort que le père n’a pas vu grandir. Celle de la Chine d’hier, contaminée par le consumérisme.
TELERAMA

 

Wang Xiaoshuai signe là un film d’une grande sensibilité, traversé de silences éloquents, une œuvre très forte sur la dissolution du lien, l’incompréhension entre les générations, dans une Chine galopante, aux contrastes frappants.
LA CROIX

 

Sur un mode plus intime que « So Long, My Son », ce film inédit de Wang Xiaoshuai ausculte à nouveau les rapports de filiation. Il le fait avec grâce, sobriété, et une grande maîtrise formelle.
LES FICHES DU CINEMA