Documentaire / Pays-bas, Chine

COPYRIGHT VAN GOGH

Jusqu’en 1989, le village de Dafen situé dans la province de Shenzhen, en Chine, était légèrement plus grand qu’un hameau. Il compte à présent 10.000 habitants, dont des centaines de paysans reconvertis en peintres. Dans de nombreux ateliers, appartements et jusque dans les rues, les peintres de Dafen produisent des milliers de répliques de tableaux occidentaux mondialement connus. Une commande de 200 copies de tableaux de Van Gogh ne choque personne. Pour respecter leurs délais, les peintres dorment par terre, entre les cordes à linge où sèchent les toiles. En 2015, le chiffre d’affaires de la vente de tableaux dépassait 65 millions de dollars.

 

Les réalisateurs Haibo Yu et Tianqi Kiki Yu ont suivi l’un de ces peintres, Xiaoyong Zhao. Sa famille et lui ont peint environ 100 000 copies d’oeuvres de Van Gogh. Après toutes ces années, Zhao se sent une affinité profonde avec Van Gogh. Il décide d’aller en Europe pour voir les oeuvres originales au Musée Van Gogh et rendre visite à l’un de ses plus gros clients, un marchand d’art d’Amsterdam…

 

Ce film fascinant est à la fois le portrait pittoresque d’un village où les artistes poursuivent leurs rêves, ainsi qu’une réflexion sur la création artistique et son authenticité.

IDFA – Sélection officielle 2016
Visions du réel – Sélection officielle 2017
DOCPOINT- Sélection officielle
Docu Days UA – selection officielle 2017

ANNÉE
RÉALISATION
SCENARIO
AVEC
FICHE TECHNIQUE
DATE DE SORTIE

2016

Haibo Yu & Tianqi Kiki Yu

Xiaoyong Zhao, Yongjiu Zhou

1h24 – Couleur  – Dolby Digital 5.1

22 Décembre 2021

NOTE D'INTENTION DES RÉALISATEURS

En se concentrant intimement sur Zhao et sa famille, « Copyright Van Gogh© » cherche des réponses à des questions fondamentales sur la nature de l’art et sa relation avec la vie et la survie mais aussi avec l’expression et la réalisation de soi.

 

Alors que la Chine est toujours associée dans l’esprit de beaucoup à la falsification et à l’imitation, « Copyright Van Gogh© » montre que la création et l’existence pérenne de Dafen est en soi une oeuvre d’art contemporaine, un endroit en constante évolution. Dafen peutil devenir le foyer de l’un des pôles créatifs chinois à succès, ou restera-t-il dépendant du travail d’artistes occidentaux morts? Ces tournesols peints à Shenzhen sont-ils une violation des principes du « Grand Art » ou une démocratisation de l’art pour un public mondial ? La copie en tant qu’entreprise artistique et culturelle n’est pas nouvelle à Shenzhen ? Le copieur peut-il devenir le créateur ? Le film est un portrait intime de la réalisation de soi, il retrace le parcours d’artistes créant un art qui reflète leur propre identité dans la Chine contemporaine.

 

Ce n’est pas seulement un film dont le sujet principal serait Dafen. C’est un film qui explore la relation entre le local et le global, la copie et l’original, le travail et la créativité, et tente de repenser le sens de l’art, à une époque où la Chine passe du « made in China » à « créé en Chine ».

ENTRETIEN AVEC LES RÉALISATEURS

Qu’est-ce qui vous a donné l’idée de réaliser un documentaire sur ces peintres de Dafen ?

 

YU Haibo : Ce tournage sur le village de Dafen provient de mes sentiments profonds au sujet de l’art. Quand j’ai vu ce lieu hors normes, j’ai senti qu’il y régnait une folie, une forme d’art surréaliste avec une sorte de connotation subversive.

 

Le « village » de Dafen est situé à la périphérie de Shenzhen, une ville émergente de migrants de l’intérieur dans le sud de la Chine. C’est un village méridional ordinaire avec une superficie d’environ 0,4 kilomètres carrés. Il y a plus de 300 habitants à l’origine et des dizaines de milliers de migrants des zones rurales du nord, qui sont tous venus ici pour rencontrer leurs rêves dans le contexte de réforme et d’ouverture de la Chine.

 

C’est en en 1989, l’année je me suis installé à Shenzhen, qu’est né le « village de la peinture à l’huile » de Dafen. Huang Jiang, un marchand d’art de Hong Kong, est arrivé pour commander des peintures à l’huile destinées à l’étranger. Il s’est rendu compte que louer un logement et trouver de la main-d’oeuvre ici étaient très rentables. Il s’y est donc installé, a recruté sur place des dizaines d’aspirants peintres sur place et a commencé à fabriquer des copies de peintures d’artistes de renommée mondiale. Depuis des décennies, Dafen est devenu une ville qui s’est développée d’une manière incontrôlable jusqu’à devenir le plus grand centre de production et distribution en gros de peintures à l’huile au monde. Il y a plus de 1 000 grandes et petites galeries, des « usines » de peinture aux ateliers plus familiaux. Il y a plus de 20.000 employés dans l’industrie de la peinture à l’huile. Dafen est connu comme le « premier village de peinture à l’huile en Chine ».

 

C’est la plus grande base de production et de négoce du pays (pour les peintures à l’huile), ainsi qu’un important centre de distribution de peinture dans le monde. Selon les statistiques, 70% des copies présentes sur les marchés européens et américains venaient de Chine, et 80 % d’entre elles provenaient de Dafen. À partir de 2004, j’ai fait des recherches et pris des photos dans le village de Dafen. À travers la photographie j’ai retracé la relation entre les peintres et l’art, la relation entre les peintres euxmêmes et la relation entre ces peintres et le monde. Mon reportage a été récompensé par un prix dans le Concours mondial de photos de presse; prix attribué par le San Francisco Museum of Contemporary Art,le Victoria and Albert Museum, et le Musée national d’art de Chine. À l’hiver 2011, ma fille Yu Tianqi est revenue du Royaume-Uni et m’a suggéré de tourner un documentaire. Nous avons une fois de plus discuté de la réalité des peintres du village de Dafen. Dafen est une immense usine qui a toujours été étroitement liée au développement de l’urbanisation chinoise contemporaine. Ce village a toujours été lié à l’évolution de la civilisation mondiale et à la transformation des modèles de production de peinture à l’huile. Ce groupe de peintres a évolué en relation avec le destin de 100 millions de travailleurs migrants chinois, leurs difficultés et leurs douleurs, leurs peines et leurs joies, leur bonheur et leurs pertes.

 

C’est ainsi que le documentaire « Copyright Van Gogh » a fait l’objet de douze années d’enquêtes et de recherches, et après six années de tournage et de production, il a finalement été présenté en première mondiale au Festival international du film documentaire d’Amsterdam. Il a ensuite étésélectionné par l’Université de Harvard, l’Université de Yale, le Musée national chinois et d’autres institutions.

 

Kiki Tianqi Yu : En 2006, j’ai accompagné mon père dans ses visites de Dafen. Il utilisait des images pour attirer l’attention sur les peintres, les peintres et leur rapport l’art, et sur le monde du village de Dafen. J’ai étudié la sociologie à l’université de Cambridge, et je me suis beaucoup intéressée à l’écologie sociale du village de Dafen et à la relation entre les peintres et leur espace de vie. En 2012, je suis retournée en Chine après avoir obtenu mon doctorat à l’université de Westminster, au Royaume-Uni, tout en continuant à filmer en y intégrant mes propres expériences de vie. Je suis rentrée en Chine depuis le Royaume-Uni pour travailler.

 

Je ne me suis pas seulement intéressée à la vie des peintres, mais aussi à la création, le droit d’auteur , et la relation entre ces migrants chinois qui copient des tableaux de renommée internationale avec le monde de l’art et de l’économie. Nous voulions utiliser ce film pour nous interroger sur ce qu’est la « création ». Leurs peintures sont-elles simplement des « copies » ? Y a-t-il une création dans la copie ? L’acte de copier est-il aussi une démarche artistique ?

 

Quelle était votre relation personnelle avec la peinture avant le tournage, et plus précisément avec Van Gogh ?

 

YU Haibo : J’ai grandi à Yongcheng, un ancien comté de la province du Henan, dans le nord de la Chine. J’aime peindre depuis que je suis enfant. Quand j’avais 11 ans, mon père a décelé mes talents de peintre et m’a proposé d’étudier la peinture avec le célèbre peintre Yang Zhenzhou. Après cinq ans d’apprentissage, je me souviens être allé peindre dans la tour du temple Chongfa à Beiguan, à l’extérieur de la ville, alors qu’il y avait une forte chute de neige. Mes mains étaient gelées et mon corps était recouvert de peinture à client. Sur le chemin du retour, je suis tombé dans l’eau glacée à côté des douves, mon pantalon était trempé, c’est un collègue de mon père qui m’a sauvé et ramené chez moi. Sous la lampe à huile au milieu de la nuit, ma mère a raccommodé ma veste matelassée et a dit : « Si tu aimes la peinture, peins bien, et deviens peintre quand tu seras grand. » En entendant ces mots de ma mère, mon coeur a été envahi d’une grande joie. Je me suis dit que je deviendrais vraiment un peintre. Yang Zhenzhou nous a enseigné l’art du croquis, des esquisses, Van Gogh, Monet, et les oeuvres de l’artiste russe Répine, ce qui a profondément éclairé mes idées artistiques, mon rapport à Van Gogh. L’histoire de sa vie m’accompagne depuis toutes ces années, me faisant réfléchir sur l’importance de l’art dans la vie, le rapport de l’art et de la société, l’art et la destinée.

 

La première fois que j’ai vu les peintres copier des tableaux de Van Gogh dans le village de Dafen, mon coeur s’est emballé. Voir Van Gogh et l’expérience des peintres du village de Dafen a transformé ma passion pour la prise de vue. À ce moment d’émotion et d’émerveillement, j’ai ressenti de la compassion pour la vie émanant des oeuvres d’art.

 

Kiki Tianqi Yu : J’ai été influencée par le rapport de mon père à la peinture père, j’ai appris à peindre dès mon enfance. Quand j’étais au collège, j’ai commencé à apprendre le dessin et l’aquarelle, et je pouvais peindre chaque semaine. Au lycée ma mère m’a acheté un exemplaire de « La biographie de Van Gogh », qui était un livre volumineux. J’ai pris le temps de le lire pendant les journées chargées de la préparation de l’examen d’entrée au collège. La passion de Van Gogh pour l’art m’a toujours inspirée et m’a apporté beaucoup afin de recréer l’Occident de mes rêves. Dans l’enseignement artistique en Chine, la peinture à l’huile était encore très rare à l’époque, si bien que je n’ai pas été vraiment en contact avec la peinture avant d’entrer à l’université.

 

En 2008, j’ai obtenu mon diplôme et j’ai utilisé l’argent que je gagnais en tant qu’assistante de recherche pour voyager dans le sud de la France et en Italie. À mon arrivée à Arles, j’ai été profondément attirée par le soleil qui brillait ici, et j’ai ressenti de tout mon être l’influence du soleil sur la création artistique de Van Gogh. Lorsque je suis arrivée à l’hôpital psychiatrique où Van Gogh a été interné, je me suis sentie apaisée et je l’ai imaginé marchant et buvant dans les rues. J’avais vraiment envie de vivre longtemps à Arles, de sentir la vie ici, de m’en inspirer, d’absorber son inspiration artistique.

 

Les peintures de Van Gogh sont-elles plus souvent copiées que les autres à Dafen ?

 

Kiki Tianqi YU : Oui, pour de nombreux peintres qui n’ont pas reçu d’enseignement artistique académique, les couleurs fortes et la composition relativement simple de Van Gogh sont plus faciles à imiter. En outre, Van Gogh est populaire dans le monde entier, et les Chinois et les Japonais aiment aussi Van Gogh. De nombreux touristes chinois achètent une copie de Van Gogh pour l’emporter lorsqu’ils arrivent dans le village de Dafen. Certaines personnes viennent ici pour obtenir un Van Gogh personnalisé et l’accrocher chez elles.

 

YU Haibo : Dans le village de Dafen, il y a beaucoup de commandes pour les oeuvres de Van Gogh. Il y a beaucoup de gens dans le monde entier qui aiment ses oeuvres. La plupart n’ont pas l’occasion d’aller dans les musées et les galeries d’art pour voir ses oeuvres. Les copies, accrochées à la maison, peuvent remplir une sorte d’admiration pour les oeuvres de Van Gogh. Les conditions de vie des peintres à Dafen sont très difficiles. Ils mangent, dorment, peignent, et vivent tous dans la même maison avec leurs familles, ce qui est similaire aux conditions de vie de Van Gogh à l’époque. J’appelle les peintres du village de Dafen des « Van Gogh chinois »…

 

Pourquoi avez-vous décidé de centrer votre film sur Xiaoyong Zhao. Etait-ce un choix initial et aviez-vous une idée précise de la structure du Zilm avant le tournage ?

 

YU Haibo : Ce documentaire a été filmé en 2011. Quelle histoire filmer ? En fait, nous n’avons jamais eu d’histoire précise, mais nous sentions simplement que le village de Dafen avait un lien profond avec nos coeurs, et que l’histoire du village de Dafen valait la peine d’être racontée. Lorsque j’ai commencé à tourner, j’ai filmé l’usine de peinture Jiyiyuan fondée par Wu Ruiqiu, la chaîne de production de peinture à l’huile, et les peintres qui faisaient des copies jour et nuit. J’ai filmé leur dur labeur et leurs difficultés. Ces deux dernières années, j’ai photographié de nombreux peintres, tels que Wu Ruiqiu, Zhou Yongjiu, Lin Jintao etc… Chacun d’entre eux a sa propre histoire. Ils copient Van Gogh depuis dix, vingt ou trente ans, et ils ont tous des expériences communes de la peinture de Van Gogh, depuis la campagne du nord jusqu’au village de Dafen à Shenzhen. En 2014, Zhao Xiaoyong, l’un des peintres, a appris qu’une personne parlant l’anglais, originaire de sa ville natale Xiaotian, avait un projet de voyage en Europe, il souhaitait y aller pour observer le fonctionnement de la galerie de son client. Il a discuté avec quelques amis et ont décidé d’y aller ensemble. C’est à ce moment-là que ma fille et moi avons pris connaissance de ce voyage en Europe, et nous avons décidé d’y aller aussi. Ils ont autorisé que nous les accompagnions. De cette façon, nous avons concentré l’histoire principale du documentaire sur Zhao Xiaoyong.

 

Kiki Tianqi Yu : Lorsqu’un individu arrive dans un environnement complètement différent, le sentiment que son identité personnelle rejaillit fortement fait que les gens se sentent perdus. J’ai ressenti cela à titre personnel. Vous ne représentez pas seulement l’individu que vous êtes, mais vous représentez aussi les Chinois, tous les Chinois de votre génération. Ce sentiment très fort, que j’ai éprouvé personnellement, provoquait en moi le fort désir que Zhao Xiaoyong aille à Amsterdam. Je me suis dit que si Zhao Xiaoyong y allait, il ne serait peut être pas seulement impressionné par les oeuvres de Van Gogh mais qu’il ressentirait peut-être ce sentiment d’identité, ce sentiment d’appartenance à la communauté de Dafen. Mais nous ne savions pas s’il pourrait vraiment y aller. Pendant cette période, nous continuions également à filmer d’autres peintres, tels que Zhou Yongjiu et Zhang Zhenjing. Nous filmions beaucoup de détails concernant leur vie, leur solitude et leurs attentes pour l’avenir. Parce que la façon de vivre est étroitement liée à l’art, l’art est en fait toute leur vie, et vous pouvez vraiment sentir l’influence de l’art sur eux, son influence et l’illumination qu’il apporte à leur existence spirituelle.

 

Deux mois avant le départ, on ne savait toujours pas si Zhao Xiaoyong pourrait se rendre aux Pays-Bas, ce qui nous rendait impatients et nerveux.Quand on réalise un documentaire, on se doit de respecter les personnages. C’est l’éthique du tournage à laquelle nous avons toujours adhéré. il nous semblait donc inconcevable de financer nous-mêmes le voyage de Zhao Xiaoyong aux Pays-Bas. Si nous achetions un billet d’avion pour Zhao Xiaoyong, il pourrait perdre ses attentes initiales parce que les choses seraient devenues trop faciles. Notre équipe de tournage pensait que Zhao Xiaoyong se trouverait dans un état de grande excitation, d’exaltation lorsqu’il verrait les originaux, qu’il serait heureux et fier de lui. Mais quand il s’est rendu compte de l’énorme écart entre son travail et les oeuvres originales de Van Gogh et qu’il a vu ses peintures vendues dans des boutiques de souvenirs, le choc qu’il a reçu a été très violent. Mon père a réussi à capter avec une grande précision ses changements émotionnels, ce qui constitue les séquences les plus fortes du film.

 

Xiaoyong Zhao a-t-il accepté immédiatement de le filmer dans son atelier?

 

YU Haibo : De 2004 à 2005, j’ai pris des photos de Zhao Xiaoyong à plusieurs reprises. À cette époque, mes photos ont remporté de nombreux prix internationaux et nationaux et ont eu un grand impact. Elles ont également permis à Zhao Xiaoyong lui-même de gagner une certaine popularité dans la société, et la vente de ses copies de Van Gogh a considérablement augmenté. Par conséquent, lorsque nous lui avons demandé de tourner un documentaire, il était tout à fait disposé à nous laisser faire.

 

Kiki Tianqi Yu : Dans le processus de tournage sur le long terme, les peintres et nous avons établi un profond sentiment de confiance. Mon père a rencontré les peintres du village de Dafen lorsqu’il a pris les photos du village en 2005. Chaque année, à mon retour de l’étranger, je me rendais dans leurs ateliers pour voir leurs peintures et leur évolution. Je suis devenu très proche d’eux. Il y a une scène très importante dans le film, celle où Zhao Xiaoyong pleure après être retourné dans sa ville natale. Avant d’intégrer cette scène dans le film, nous avons communiqué avec Zhao Xiaoyong . Nous lui avons également demandé son avis pour supprimer une partie du contenu. Il nous a dit  » Parfois, nous sommes tristes et nous ne laissons pas entrer beaucoup de gens. Si nous vous laissons entrer, c’est que nous avons une grande confiance en vous. Je pense que le sentiment de confiance dans cette relation dépend vraiment d’un certain respect « .

 

Comme Xiaoyong Zhao, à la fin de votre film, on a l’impression d’avoir fait un long voyage qui nous permet de comprendre à quel point l’art et la création sont importants pour nos vies. Quel est votre point de vue à ce sujet, et qu’avez-vous appris de cette expérience ?

 

YU Haibo : Lorsque Zhao Xiaoyong est allé travailler en ville, il a dû gagner de l’argent, pour faire vivre sa famille. Plus tard, il a acquis une profonde compréhension de Van Gogh et de son oeuvre, et une série de changements se sont produits dans son coeur. Nous avons fait ce documentaire pour que davantage de gens découvrent l’existence de Dafen, et se rendent compte de la vie difficile des peintres et du sens qu’il cherche à leur vie.

 

Kiki Tianqi Yu : On peut citer les mots de Van Gogh à son frère, Théo : « Je marche vers un endroit qui semble très proche, mais qui est peut-être très loin. » Chacun s’approche de son idéal, quel idéal ? Parfois il nous semble très proche et quelque fois très loin. Quelque soit l’époque, toute personne aura ce genre de dilemme à chaque étape de sa vie. Il y a une collision des rêves avec la réalité. Chacun de nous progresse dans ce processus.

 

Avez-vous organisé une projection de « Copyright Van Gogh » pour les peintres, si c’est le cas, quelle a été leur réaction ?

 

Yu Haibo : La première version de « Copyright Van Gogh » a été montrée aux peintres. Après l’avoir regardée, ils ont senti qu’ils étaient liés à Van Gogh, car ils n’avaient jamais pensé qu’il y avait un tel lien entre eux et Van Gogh. Avant, ils ne faisaient que copier Van Gogh. Les peintures rapportent de l’argent. Van Gogh n’a pas vendu un seul tableau de sa vie, mais eux ont peint des centaines de milliers de ses tableaux pour gagner de l’argent, et se sont sentis mal à l’aise. Ce sont les peintures de Van Gogh qui leur ont apporté une existence matérielle correcte et un changement dans leur destin. En fait, beaucoup de peintres ici ne sont pas heureux. Ils peignent et travaillent toute la journée. Quand ils se sont vus dans le film, ils ont retrouvé des sourires innocents perdus depuis bien longtemps. Ils ont souri à eux-mêmes et aux autres. Ils n’avaient jamais pensé qu’ils pourraient entrer dans un film de leur vivant, et c’était très étonnant. Ils ont ressenti une atmosphère assez différente de la réalité et en ont éprouvé de la joie.

 

Kiki Tianqi Yu : Certains, après que Zhao Xiaoyong et Zhou Yongjiu eurent vu ce film, ont été très excités et ont dit : « C’est comme ça ! C’est comme ça ! Ça ne peut pas être plus vrai ! » Ils étaient très heureux que leurs vies aient été enregistrées, mais ils ne s’attendaient pas à ce qu’ils soient encore si impliqués.

 

Quels sont vos projets ?

 

YU Haibo : J’ai un projet de documentaire. Récemment, j’ai mené des recherches et une enquête sur le passé et le présent de 114 bâtiments creusés dans les bâtiments anciens de Shenzhen. J’ai pris une photo montrant les gens qui vivent à présent dans ces bâtiments refaits. Ils sont tous venus ici de tout le pays pour réaliser leurs rêves. Les migrants, dont des concepteurs de logiciels, des artistes contemporains, des informaticiens, des gens des médias, etc., présentent leur réalité et leurs rêves à travers leurs histoires de vie. Les bâtiments ont été conçus et construits par des chinois d’outre-mer, assimilant les différentes caractéristiques des bâtiments du monde entier. Le documentaire mettra l’accent sur les énormes changements survenus dans l’espace de vie des gens, le système culturel, le monde spirituel et le cadre de vie dans le processus d’urbanisation de la Chine contemporaine, l’impact et le conflit entre la culture mondiale et la culture chinoise.

 

Kiki Tianqi Yu : J’enseigne maintenant au département cinéma du Queen Mary College (QMUL) de l’université de Londres. En tant que Chinoise, je suis maintenant confrontée à un plus grand dilemme de compréhension du développement et des changements de la Chine sur la scène internationale, et de la façon dont elle interagit avec d’autres cultures et sociétés. Après avoir travaillé en Chine pendant un certain temps, je suis retournée au Royaume-Uni. Je peux à présent faire une analyse plus rationnelle des problèmes et des limites respectives de la Chine et de l’occident. En raison de mon intérêt de longue date pour le taoïsme, je crée un nouveau champ de recherche Taoïsme et cinéma.

À DAFEN, ON PEINT À LA CHAINE

À l’entrée du  » village  » de Dafen, dans le sud de la Chine, une immense main de bronze semble élever un pinceau vers le ciel, comme si la route et les maisons alentour étaient elles mêmes l’oeuvre d’un peintre de taille colossale qui aurait colorié de sa main une toile d’échelle planétaire. De fait, c’est un peu le cas. Car le « village » – devenu en quelques années une banlieue moderne de Shenzhen, agglomération de quelque 10 millions d’habitants – est désormais l’un des principaux centres mondiaux de production de tableaux.

 

Dans une démarche typiquement chinoise, les « ateliers » de Dafen appliquent une logique industrielle à une activité par essence individuelle: la peinture artistique. Business payant. Environ 60% des reproductions à bon marché dans le monde – de la Joconde de Léonard aux Tournesols de Van Gogh, sans oublier les peintres naïfs de la butte Montmartre – proviennent d’ici. L’année dernière (2006) les 5 000 à 10 000 « artistes » locaux auraient exporté des toiles pour un montant total de 30 millions d’euros.

 

« Mon oncle a créé l’entreprise familiale en 1989, à l’époque où Dafen était vraiment un village », se souvient Wu Ruiqiu, jeune patron de Shenzhen Art Lover Culture & Art Development Co., Ltd. Il reçoit les visiteurs dans son showroom, assis devant une version monumentale de Bonaparte franchissant le mont Saint-Bernard, par Jacques Louis David. « Aujourd’hui, nous exportons surtout vers l’Europe et les Etats-Unis », reprend-il. Les acheteurs sont des intermédiaires qui viennent des cinq continents et remplissent des conteneurs entiers. Les tableaux se retrouvent ensuite sur les étagères des magasins, dans des chambres d’hôtel ou aux murs des restaurants. À la fin des années 1990, son entreprise a reçu de Wal Mart, le géant américain de la grande distribution, une commande de rêve: 40 000 toiles, à livrer en quarante jours. « On nous a demandé un peu de tout – natures mortes, paysages, vues de Paris, sur un format de 30 x 20 centimètres. Cela leur a permis de remplir deux conteneurs de 20 000 toiles. Parfois, j’aperçois l’un de nos tableaux dans les séries télé américaines. Je les reconnais au cadre, que nous fournissons pour un petit supplément. » Le prix à l’unité varie selon la difficulté technique. Produites en gros, les œuvres les plus simples reviennent à environ 40 centimes d’euros, cadre compris.

 

Dans les ateliers de Dafen, les « artistes » travaillent à la chaîne, à la manière du Charlot des Temps modernes. Chacun a sa spécialité et le salaire varie en fonction du niveau d’expertise. En bas de la grille, le badigeonneur se charge des couleurs de fond – le bleu du ciel, le blanc des nuages, le vert des prés. Après quoi un collègue plus doué dans la reproduction des formes humaines se charge des personnages. Puis un troisième fignole les détails: la lumière sur une ombrelle ou l’éclat rouge des coquelicots, dans la campagne d’Argenteuil. Au terme du processus, si tout va bien, la copie est parfaite. Claude Monet lui-même n’y aurait vu que du feu (le malheureux ne souffrait-il pas de cataracte?).

 

« Reproduire les oeuvres des grands maîtres, c’est une vraie chance », explique un peintre, Yuan Wei, dans un sourire. En Chine, la copie est jugée comme une activité noble – ce qui explique, en partie, pourquoi les majors hollywoodiennes rencontrent autant de difficultés à faire respecter leur copyright! Yuan Wei a abandonné son job de cuisinier il y a deux ans pour se lancer dans la peinture. Chaque mois, il gagne l’équivalent de 100 à 400 euros. Mais la concurrence est sans pitié: « Shanghai et la province du Fujian prétendent faire mieux pour moins cher », dit en soupirant le chef d’atelier.

 

En Chine aussi, les délocalisations font des ravages.

 

MARC EPSTEIN pour l’Express

À PROPOS DE YU HAIBO ET YU ``KIKI`` TIANQI

YU Haibo est le père de YU « Kiki » Tianqi. Il est un réalisateur et photographe reconnu (distingué en 2006 justement pour un travail sur les peintres de Dafen), directeur de l’association des photographes professionnels de Shenzhen, et photographe principal du Shenzhen Economic Daily. Il a publié « Living in China’s Shenzhen » (2008), et a réalisé un essai photographique, « One Man’s Shenzhen » (2012).

 

YU « Kiki » Tianqi est réalisatrice, productrice, et enseignante (USC- SJTU Institute of Cultural and Creative Industry de Shanghai). Titulaire d’un doctorat en études cinématographiques de l’université de Westminster, elle a publié « My’ Self on Camera : First Person Documentary Practice in 21st Century China » (Edinburgh University Press). Elle a déjà réalisé « Memory of Home » en 2009.

LISTE ARTISTIQUE ET LISTE TECHNIQUE

Liste artistique

Xiaoyong Zhao : Lui-même
Yongjiu Zhou : Lui-même

 

Liste technique

Réalisation : Haibo Yu & Tianqi Kiki Yu
Image : Haibo Yu
Musique : Julian Lukas Lentz – Weiqi Yu.
Montage : Soren Ebbe, Tom Hsinming Lin & Axel Skovdal Roelofs Son. Paul Gies, Miodrag Jakovljevic, Nikola Kokotovic & Ranko Paukovic
Production : Century Image Media – ICTV -True Works.

CE QU'EN DIT LA PRESSE

LE NOUVEL OBSERVATEUR

Le film pose la question : qu’est-ce que l’art ?, et montre la Chine moderne, paradis du capitalisme le plus agressif et le plus dévoyé.

 

LES FICHES DU CINÉMA

Ce documentaire lumineux questionne le fossé séparant l’œuvre de sa reproduction, le maître de son émule.

 

SUD OUEST

Les réalisateurs Haibo Yu et Tianqi Kiki Yu (père et fille) déploient ainsi « Copyright Van Gogh » en plusieurs strates. Scrutant doucement ce village habité par le peintre hollandais, puis creusant des sentiments toujours plus profonds.

 

LE FIGARO

Touchant, déstabilisant, passionnant, ce documentaire brosse le portrait d’un petit contrefacteur du grand peintre hollandais qui perd ses illusions. Mais en ressort grandi.