Entretien avec Christian Amblard – Directeur de Recherche Honoraire au CNRS – Docteur d’État en hydrobiologie
En quoi le cycle de l’eau a-t-il été modifié ces dernières décennies ?
Depuis quelques décennies le changement climatique agit sur le grand cycle de l’eau en l’accélérant et en renforçant le processus d’évapotranspiration en lien avec l’augmentation des températures.
Sous nos latitudes, le changement climatique modifie également le régime des précipitations avec des périodes estivales de sécheresse plus intenses et plus fréquentes et des précipitations plus importantes, et potentiellement violentes, aux autres saisons.
Il faut noter par ailleurs que le cycle de l’eau est également modifié par l’aménagement du territoire et par les pratiques agricoles intensives actuelles. D’une part, les travaux de goudronnage et de bitumage limitent l’infiltration de l’eau et favorisent son ruissellement. D’autre part, les travaux connexes des remembrements ont conduit à la disparition des zones humides et des haies. Or, ces structures paysagères facilitaient l’infiltration de l’eau dans les sols et limitaient son évapotranspiration. Par ailleurs, les sols tassés par le passage d’engins agricoles de plus en plus lourds augmentent le ruissellement de l’eau qui alors est rapidement évacuée vers les cours d’eau et donc sans utilité pour les terres agricoles.
Quelle est la conséquence de ces transformations sur la qualité et la quantité d’eau douce ?
La quantité totale d’eau sous ses trois phases, gazeuse, liquide, solide est constante depuis plusieurs milliards d’années et ne varie pas avec le changement climatique. Cependant, avec la hausse des températures la phase gazeuse augmente relativement à la phase liquide. Par ailleurs avec la fonte des glaces, la phase solide diminue au profit de la phase liquide.
Avec l’intensification du ruissellement et les périodes de sécheresse accentuées, la pollution des eaux, notamment par les intrants chimiques de l’agriculture intensive (pesticides et engrais minéraux), est aggravée.
D’ailleurs, un rapport de 2022 des ARS affirme que 20% de la population française a consommé, en 2021, une eau non conforme aux normes de qualité, en raison d’une concentration trop élevée en pesticides.
Est-ce que les bassines sont selon vous une solution pour compenser ces problèmes d’eau, notamment en considérant le dérèglement climatique ?
Il faut retenir le plus possible l’eau sur nos territoires, pas en créant des barrages ou des « bassines », mais en favorisant son infiltration dans les sols et en limitant au maximum son ruissellement et son évaporation. C’est la seule gestion responsable des ressources en eau, au bénéfice des agriculteurs et des autres utilisateurs.
Alors que les réserves souterraines ne sont pas sujettes à l’évaporation, les retenues d’eau superficielles subissent une très forte évaporation en période de fortes chaleurs et conduisent ainsi à une perte importante de la ressource en eau. Des études récentes (Friedrich 2018, Habets et Molénat 2018) montrent que les pertes par évaporation sur les lacs de l’ouest américain peuvent aller de 20 à 60 % des flux entrants, ce qui constitue des pertes considérables. C’est donc une hérésie totale de faire passer en surface les ressources en eau sous-terraines, qui assurent une humidification généralisée des sols très efficace, pour en perdre une part très importante par évaporation !
De plus, c’est une destruction qualitative de la ressource en eau parce qu’en exposant l’eau au rayonnement solaire, on augmente sa température et on favorise le développement de micro organismes en très grande quantité. C’est le processus d’eutrophisation des eaux qui est donc renforcé alors que c’est déjà une destruction majeure pour beaucoup de milieux aquatiques en France.
De plus, parmi ces micro-organismes, il y a souvent des cyanobactéries dont certaines espèces émettent des toxines qui empoisonnent l’eau et la rendent inutilisable pour tous les usages, dont l’abreuvement du bétail. Depuis des années, les exemples de plans d’eau contaminés par des cyanobactéries et qui sont interdits à la baignade et à tout autre usage se multiplient.
Enfin, c’est seulement 6 % de la surface agricole utile qui est équipée pour pouvoir irriguer leurs terres, c’est donc une petite minorité d’agriculteurs qui est concernée.
Quels seraient les solutions autres que ce type de projet pour une meilleure qualité de la ressource et un meilleur partage ?
Il faut retenir le plus possible l’eau sur nos territoires, pas en créant des barrages ou des « bassines », mais en favorisant son infiltration dans les sols et en limitant au maximum son ruissellement et son évaporation. C’est la seule gestion responsable des ressources en eau, au bénéfice des agriculteurs et des autres utilisateurs.
Par ailleurs, il faut réaliser le plus rapidement possible une transition de l’agriculture actuelle vers l’agro-écologie et l’agroforesterie qui conduisent à des productions de qualité qui respectent l’environnement et la santé humaine.
Il faut notamment replanter des arbres et des haies pour créer du bocage, qui est la meilleure structure paysagère pour permettre à l’eau de s’infiltrer dans le sol.
Pour permettre cette transition agricole, il est nécessaire de réorienter les subventions de la PAC (Politique Agricole Commune) vers des productions qui respectent la qualité de l’environnement et la santé humaine.
Est-ce qu’il existe une hiérarchie légale des différents usages de l’eau ?
Il existe la loi sur l’eau de 2006 qui établit que l’eau est un bien commun de la nation.
La liste de priorités pour l’utilisation de l’eau est établie de façon suivante:
- L’eau destinée à la santé et à la sécurité publique
- L’adduction d’eau potable
- L’alimentation des écosystèmes naturels
- Les activités économiques dont l’industrie et l’agriculture.
Christian Amblard
Christian Amblard est Directeur de Recherche Honoraire au CNRS dans le domaine de l’Hydrobiologie et Docteur d’Etat ès Sciences Naturelles. Il participe en outre à de nombreux conseils scientifiques de réserves naturelles et de parcs régionaux. D’origine rurale et paysanne, il cherche toujours à concilier l’impératif social et l’impératif écologique dans ses activités et dans ses engagements.