Documentaire / France

DEBOUT LES FEMMES

« Mais qui m’a mis cette tête de con ? » Ce n’est pas le grand amour entre le député En Marche ! Bruno Bonnell et l’insoumis François Ruffin. Et pourtant… C’est parti pour le premier « road-movie parlementaire » à la rencontre des femmes qui s’occupent de nos enfants, nos malades, nos personnes âgées. Ensemble, avec ces invisibles du soin et du lien, ils vont traverser confinement et couvre-feu, partager rires et larmes, colère et espoir. Ensemble, ils vont se bagarrer, des plateaux télés à la tribune de l’Hémicycle, pour que ces travailleuses soient enfin reconnues, dans leur statut, dans leurs revenus. Et s’il le faut, ils réinventeront l’Assemblée…

ANNÉE
RÉALISATION
SCENARIO
AVEC
FICHE TECHNIQUE
DATE DE SORTIE

2020

Gilles PERRET et François RUFFIN

1h25 – Couleur – Dolby Digital 5.1

13 Octobre 2021

ENTRETIEN AVEC LES RÉALISATEURS

Après « J’veux du soleil ! » c’est votre deuxième film ensemble. Comment vous avez lancé ce projet ?

 

François Ruffin : Depuis trois ans, je me demande comment filmer l’Assemblée, Gilles voulait me filmer en député déjà avant « J’veux du soleil ! » mais je renâclais. D’un côté, c’est un décor fascinant, avec ses dorures, son protocole, ses gardes républicains, etc. Mais au fond, il ne s’y passe rien, rien derrière le décorum. Ce n’est pas un lieu de pouvoir, juste d’illusion du pouvoir. Alors, comme propos pour un film, montrer le vide, la vacuité, ça n’est guère palpitant… Quand j’ai arraché cette mission parlementaire sur les « métiers du lien », je me suis dit : c’est le moment.

 

Pourquoi ?

 

Parce que, cette mission, je ne la voyais pas comme un truc statique, enfermée dans un bureau, mais en mouvement, au grand air, à la rencontre des gens, des femmes… On aurait là le premier « road-movie parlementaire » ! Surtout, leurs métiers, à ces femmes, touchent aux corps, qu’elles soignent, qu’elles lavent, qu’elles portent. Et elles mettent du cœur à l’ouvrage. Bref, l’esthétique de l’institution, figée, avec son langage creux, convenu, allait être contrebalancée, télescopée, par cette chair, par ces émotions. Ça pouvait faire un contraste…

 

Côté contraste, il y a Bruno Bonnell, aussi…

 

Gilles Perret : Oui, quand François m’a raconté qu’il menait la mission avec Bruno Bonnell, je me suis dit : « Mais ils vont se taper dessus ! » Parce que je le connais un peu, Bonnell, il est de ma région, et il a une sacrée réputation ! Le modèle du marcheur startupper… Ce couple-là, ça a attiré ma curiosité, comme dit un mec de RTL dans le film : « Je voudrais voir à quoi ressembleront les enfants. » Surtout, je suis convaincu que le cinéma, même documentaire, c’est ça : des personnages interlopes, ni noir ni blanc, ou qui passent du noir au blanc, qui laissent perplexes. Que doit-on en penser ? Dans « Ma Mondialisation », je suivais Bontaz, un patron de chez moi, qui partait en Chine : est-ce qu’il fallait l’aimer ? Dans « Merci Patron ! » il y a le commissaire des RG : qui n’éprouve pas une affection bizarre pour ce type ?

 

Votre film bascule aussi au moment du premier confinement au printemps 2020…

 

F. R. : Dans un premier temps, en mars, tout s’arrête et on s’arrête avec. Et puis, je reçois des appels d’auxiliaires de vie sociale, qui m’alertent : « On est obligées de travailler, mais on n’a pas de masque, pas de gel, pas de blouse… » Et là, avec Gilles, on se dit : « Si elles continuent, nous aussi ! » Du coup, c’est aussi un témoignage, en arrière-plan, sur ce moment de notre histoire : les pompes à essence qui ordonnent « restez chez vous ! », les surblouses fabriquées dans la cuisine, les promesses de Macron sur les délocalisations, sur les inégalités, sur « les jours heureux reviendront ». Il ne faut pas oublier. Le pouvoir nous veut sans mémoire.

G. P. : Il faut se souvenir d’à quoi ressemble le pays, à ce moment-là : sur l’autoroute, il n’y a plus de voitures, dans les rues non plus. Quand je filme Dieppe, l’immobilité, c’est stupéfiant. Et le silence, on n’entend que les mouettes ! Alors, dans cet arrêt complet, ces dames qui poursuivent leur mission (parce que la vraie mission, c’est elles…), porte après porte, comme des fourmis du soin, comme des îlots d’humanité dans la nuit, c’est bouleversant…

 

Delphine, Sabrina, Assia, Hayat, Sandy… Toutes ces femmes sont extraordinaires.

 

F. R. : C’est tout l’enjeu, dans un cinéma comme le nôtre, qui ne va pas au bout du monde, qui reste au bout de la rue : c’est de rendre leur extraordinaire à des gens, à des personnes, que l’on regarde comme ordinaires, et qui se diraient sans doute elles-mêmes « sans histoire ». Tout homme, toute femme, est pour moi un mystère : qu’est-ce qui les tient ? Il faut réussir à les faire accoucher de ça, le donner à voir, à sentir.

G. P. : Un mouvement du film, c’est leur accession à la parole. Au début, François la porte pour elles dans l’hémicycle, sans qu’on ne les voie, sans qu’on ne les entende. Lors de notre première rencontre, certaines cachent même leur visage. Mais au fil des séquences, elles s’imposent au premier plan, jusqu’à faire résonner leurs mots, leurs colères, leurs espoirs, dans l’Assemblée.

 

Et au final, c’est elles qui font la loi !

 

F. R. : C’est la loi qu’avait, en filigrane, promise le président au printemps : « Il faudra se rappeler que notre pays tient aujourd’hui tout entier sur ces femmes et ces hommes que nos économies reconnaissent et rémunèrent si mal. » Tout le film est une bataille, dans les medias, en commission, dans l’hémicycle, pour que les députés, les ministres, Macron passent des paroles aux actes. Pour qu’on reconnaisse et rémunère enfin ces femmes et ces hommes !

G. P. : Et notre film poursuit cette bataille. En les montrant, en les écoutant, avec on l’espère des projections- débats partout en France, on pose cette question : pourquoi ces métiers, essentiels, sont-ils sans statut, sans revenu ? Pourquoi, pour ces femmes des salaires de misères et des vies de galère ? Franchement, qui pense un instant qu’elles sont moins utiles que les traders et les publicitaires ?

LES MÉTIERS EN BREF

Ils sont occupés à plus de 90 % par des femmes. Elles sont le plus souvent précaires, à temps partiel et touchent moins du SMIC à la fin du mois malgré des horaires importants.

 

Le secteur de l’aide à domicile

Il devrait y avoir en 2022 702 000 personnes dans les métiers d’aide à domicile. (France stratégie).

Précarité : 17,5 % de ménages pauvres parmi les intervenants à domicile contre 6,5 % en moyenne pour l’ensemble des salariés. Les aides à domicile touchent en moyenne 682 mois (rapport Ehrel). Les salaires des AVS présentes dans le film étaient en moyenne de 800 Ð.

Trajets : souvent peu comptés, une AVS peut se retrouver à temps partiel alors qu’en réalité elle consacre plus de 50 heures au travail par semaine, compte tenu des déplacements entre chaque domicile.

Sinistralité : le secteur dénombre plus d’accidents du travail que dans le BTP.

 

Les AESH

71 000 environ en 2019.

Précarité : 750_ par mois en moyenne. 96 % disent ne pas pouvoir vivre dignement. Les temps de préparation ne sont pas comptés. Ils représentent 30 % du temps de travail total.

Temps partiel : 60 % sont à temps partiel.

Les agents d’entretien
1,9 million de salariés dans le nettoyage
80 % de femmes.
764 mois en moyenne (rapport Ehrel)

OÙ EN SOMMES-NOUS ?

Loi grand âge (pour les aides à domicile) :
Annoncée pour mi-2018, puis fin 2019, puis début 2020, puis été 2020, puis fin 2020, puis début 2021, puis à l’automne 2021, nous n’avons toujours aucune certitude sur sa potentielle présentation avant la fi n du mandat.

 

Avenant 43 : négocié entre partenaires sociaux et la ministre déléguée chargée de l’autonomie

Agrément publié au Journal Officiel le 2 juillet 2021. Hausse de 13 à 15 % pour les personnels de services d’aide à la personne, les organismes qui interviennent auprès bénéficiaires (200 000 personnes).
Cependant, l’augmentation est variable.
Ainsi, comme les députés Bonnell et Ruffin l’avait rédigé dans leur rapport, les catégories les moins bien payées, à savoir les aides à domicile, vont bénéficier d’une très faible hausse.
Une aide à domicile sans ancienneté verrait son salaire augmenter de 16 euros brut par mois environ si elle est à temps plein.
Aussi, ces augmentations vont dans le bon sens, mais ne règlent pas le problème majeur qu’est le temps partiel subi.
Enfin, les départements financeront en partie cette hausse.
Ainsi, l’amélioration salariale reste à leur bon vouloir. Pour la prime Covid, la Loire et le Jura avaient refusé de la donner.

 

Femmes de ménage de l’Assemblée Nationale

Elles ont obtenu, enfin, un 13e mois, versé à partir de cette année.

À PROPOS DES RÉALISATEURS

FRANÇOIS RUFFIN

Fondateur du journal Fakir à Amiens en 1999, François Ruffin publie en 2003 « Les petits soldats du journalisme » sur sa formation au CFJ. Il entre ensuite dans l’équipe de « Là-bas si j’y suis » émission de reportages sur France Inter. En 2016, il réalise « Merci Patron » qui remporte le césar du Meilleur film documentaire, puis « J’veux du soleil ! » en 2019 avec Gilles Perret. Il est élu député de la Somme en 2017.

 

GILLES PERRET

Gilles Perret a réalisé 12 documentaires dont 7 sont sortis au cinéma et un court-métrage de fiction. Ses films ont pour lien ce pays qui est le sien, les Alpes. A s’attarder chez ses voisins de vallée, il aborde la réalité du monde politique, économique et social. Partir du local pour raconter le global. C’est ce regard singulier qui a fait le succès de ses films sortis en salle comme « Ma mondialisation », Walter retour En Resistance, « De mémoires d’ouvriers », « Les Jours Heureux », « La Sociale » et plus récemment « L’insoumis » ou « J’veux du soleil ! »

 

2019 J’VEUX DU SOLEIL
Co-réalisé avec François Ruffin.
Sortie en salle en avril 2019
Un road-trip à la rencontre des Gilets-Jaunes
Distribution : Jour2fête

 

2018 L’INSOUMIS
Sortie en salle en février 2018
Portrait et chronique de campagne
de Jean-Luc Mélenchon durant l’élection
présidentielle de 2017.
Distribution : Jour2fête

 

2016 LA SOCIALE
Sortie en salle en novembre 2016
L’histoire de la Sécurité sociale
et son actualité.
production et distribution : Rouge Productions.

 

2013 LES JOURS HEUREUX
Sortie en salle en novembre 2013
L’histoire du programme du Conseil National
de la Résistance de 1943 à nos jours.
Production et distribution :
La Vaka Productions

 

2012 DE MÉMOIRES D’OUVRIERS
Sortie en salle en février 2012
L’histoire sociale française racontée
à travers le parcours d’ouvriers d’usines
et de chantiers savoyards.
Distribution : CP Productions

 

2011 APRES L’ECOLE, L’ALPAGE…
Court métrage de fiction réalisé
avec des élèves de bac-pro agriculture
sur deux années scolaires.
L’histoire de lycéens s’apprêtant à entrer
dans la vie professionnelle au regard
des problématiques de leurs ancêtres
du xixe siècle.
Production et distribution :
La Vaka Productions

 

2009 WALTER, RETOUR EN RÉSISTANCE
Sortie en salle en novembre 2009
A travers le portrait de Walter,
ancien résistant déporté, le film pose
la question de savoir ce que l’on a fait
des idéaux du Conseil National
de la Résistance.
Distribution : Parasite Distribution

 

2006 MA MONDIALISATION
Sortie en salle en novembre 2006
L’histoire de la mondialisation racontée
à travers le portrait d’un patron atypique
de Haute-Savoie.

FICHE TECHNIQUE

Réalisation : Gilles PERRET et François RUFFIN
Avec la participation de : Bruno BONNELL
Montage : Cécile DUBOIS
Graphisme : Ludovic RIO et Thibaut SOULCIE
Mixage : Léon ROUSSEAU
Etalonnage : Eymeric JORAT

CE QU'EN DIT LA PRESSE

LES FICHES DU CINÉMA

Sans militantisme idéologique ni discours sociologique ou technocrate, évitant ainsi les sigles qui cloisonnent et rendent invisibles les métiers du lien, essentiels mais déconsidérés, Debout les femmes ! aborde la question sociale avec sincérité et humanisme.

 

POSITIF

Ruffin évite d’en faire des caisses, il laisse la parole à ses interlocutrices, donne toute la place à leur travail, troque le pathos contre des chansons de Bourvil, mais ne se prive pas d’un coup de gueule salutaire face à l’hypocrisie des mécanismes du débat parlementaire.

 

BANDE À PART

Député de la Somme, François Ruffin est aussi un cinéaste engagé. Son troisième opus cosigné avec Gilles Perret, donne la parole aux femmes qui gardent nos enfants, nos aïeuls et nos malades. Sympathique et bienvenu.

 

LE JOURNAL DU DIMANCHE

On s’amuse du binôme contrasté mais étonnamment complice formé par les deux députés, on s’indigne du quotidien de ces héroïnes ordinaires et du cynisme de la majorité, jusqu’à un final drôlement révolutionnaire.

 

TÉLÉRAMA

Construit comme un carnet de bord (ou un enchaînement décousu de « stories » sur les réseaux sociaux), ce documentaire interpelle sur une injustice flagrante et implacable. Il compile également les coups de gueule, souvent justifiés, de l’élu de la Somme qui sait parfaitement se mettre en scène.