Quel a été la genèse du film ?
Le film s’ancre avant tout dans un territoire. J’avais l’habitude de venir pique-niquer le dimanche à Cascajal de Coronado, dans la périphérie de San José, la capitale du Costa Rica. Je suis immédiatement tombé amoureux de cet endroit, de ces magnifiques paysages, composés de montagnes denses, recouvertes d’une brume épaisse. C’est un endroit, vierge ou presque, qui ne dispose d’aucune infrastructure touristique. une communauté rurale et pauvre y vit.
Après m’y être rendu à plusieurs reprises, je me suis demandé pourquoi cette communauté, installée dans la forêt, était tant préservée. Et j’ai commencé à y voir la parfaite métaphore des inégalités dans mon pays : les citoyens les plus défavorisés sont inéluctablement chassés des villes. Ils sont contraints de se tailler un chemin dans la forêt avec une machette pour s’y établir et construire leurs maisons à partir d’une route poussiéreuse et sans aucun moyen.
Cette dure réalité, combinée à des éléments naturels et surnaturels, ont composé la trame de « Domingo et la brume ».
Existe-t-il des films de genre dans le cinéma costaricain ? Etait-ce un défi de faire un film fantastique dans ce paysage cinématographique en pleine émergence ?
J’ose affirmer que si le cinéma costaricain connaît un élan créatif, c’est parce que la plupart des films sont faits actuellement par des réalisateurs de moins de quarante ans. Mus par leur passion et leur envie de dire des choses importantes, ces types sont suffisamment fous pour se jeter à l’eau.
Dans ce contexte, certains films s’engouffrent dans la brèche et bousculent les conventions du récit pour s’attacher à des thèmes et à des personnages atypiques, un peu fantastiques.
Sans appartenir au cinéma de genre, dans le sens traditionnel du terme, je pense que « Domingo et la brume » est le premier film costaricain aussi frontalement fantastique.
Bien sûr, il n’était pas question de tenter de concurrencer les films hollywoodiens à coups d’effets spéciaux phénoménaux, garder mon identité et rester en adéquation avec ma réalité de réalisateur costaricain était essentiel. Je me sens proche de Apichatpong Weerasethakul qui s’inspire des séries B en mélangent le réalisme au fantastique.
Finalement, avec son ambiance lo-fi et les sensations erratiques qui l’infusent, j’associe ce film à un vinyle du Velvet Underground des années 1960.
Quelles sont les influences et sources d’inspiration qui ont nourrit l’esthétique du film ?
Dernièrement, j’ai surtout cherché des sources d’inspiration en dehors du cinéma. Cet exercice m’a ouvert l’esprit.
Par exemple, la musique m’aide énormément. J’ai beaucoup écouté Coil et Einstürzende Neubauten lorsque j’ai commencé à écrire. Je crois que la liberté et la recherche qui s’en dégagent ont été un grand tournant dans mon processus créatif.
La manière dont ces musiciens parviennent à créer une musique aussi belle qu’étrange en lui apportant tant de profondeur et de lumière; tout évoquant des sujets graves, a été une révélation pour moi. J’ai passé beaucoup de nuits aussi à écouter Charles Mingus et plus particulièrement l’album « The Black Saint and the Sinner Lady ». Et mon dieu, la manière dont il a conçu ce disque, en alternant des moments étranges et joyeux m’a ébloui. Cet album m’a obligé à me dépasser et à ne pas me satisfaire des scènes et des atmosphères du film, tant qu’elles n’étaient pas assez énigmatiques.
Il est possible que vous ne l’ayez pas remarqué dans le film mais le travail de Jean-Michel Basquiat m’a énormément inspiré. Principalement pour la rage qu’il arrive à mettre dans ses toiles, pleines de chaos et du sentiment que le monde est en feu. J’avais une envie incontrôlable de tout brûler. Et au final, Domingo l’a fait pour moi.
Considérez-vous avoir réalisé un film politique ?
Totalement, Je crois que l’art devrait toujours être politique. Tout le reste l’est. Je suis diplômé en Sciences Politiques et je viens d’un milieu familial très politisé. Mon père et moi avons l’habitude de nous asseoir et de discuter pendant des heures de l’état du monde. Nous nous énervons très souvent!
Je pense que mon pays n’est pas prêt à accepter la violence matérielle, mais aussi sociale, économique et politique. Et pour dire la vérité, cela me met en colère. Parce que ce n’est pas en montrant la face la plus séduisante d’un pays qu’ion évolue. cela nous ramène au contraire à des temps obscurs. Je voudrais que le Costa Rica soit un pays inclusif et égalitaire. Si mon film y contribue, je serais l’homme le plus heureux du monde.