Comment vous est venue l’idée de réaliser En bonne compagnie ? Vous êtes-vous inspirée de votre propre jeunesse ?
Ce projet vient de mon compagnon. Il est Basque et il connaissait les femmes qui, en 1977 avec un groupe de féministes, ont été jusqu’à Biarritz pour avorter. Ensemble, ils avaient déjà fait un court métrage où ces femmes se rappelaient du danger et de la peur de ce voyage… On a alors commencé ensemble à écrire un film qui raconterait cette histoire. Lui, au Pays Basque, et moi, à Barcelone. Comme par télépathie. Et on a accouché de ce scénario. Mais il y a aussi beaucoup de mon histoire dans le film – j’avais 17 ans en 1977 – et surtout dans Béa, la protagoniste. J’ai voulu construire le récit d’une adolescente coincée dans une époque où tout était exploité : les libertés syndicales, sociales et sexuelles… J’avais besoin de reconstruire comment était cette époque. C’est mon petit hommage à toutes les femmes de cette génération : pouvoir partager ce qui s’était passé, ce qu’on ne sait pas et les sortir du silence.
En quoi l’année 1977 est-elle particulièrement symbolique pour ce récit ?
Quand Franco meurt en 1975, l’Espagne renaît. C’est en 1976 et en 1977 que les Espagnols sortent dans les rues et que les mentalités changent. Tout cela s’est passé très rapidement et on avait l’intuition qu’on devait prendre la liberté. On ne savait pas exactement ce que c’était, mais on savait qu’on devait la saisir. On a alors commencé à prendre la pilule, à casser les frontières de la sexualité, et à travailler… J’ai toujours en mémoire un moment unique où tout était possible. Et évidemment c’était « sex, drugs & rock’n’roll » ! Même si beaucoup de mes amis ont pris d’énormes risques à ce moment-là, on avait conscience de vivre sans peur. Et je crois qu’aujourd’hui, nous sommes dans un moment où l’on met tellement de peur et de pression sur la jeunesse, que c’est important de leur redonner la force et le courage de chercher la liberté.
Votre film fait-il écho aux mouvements féministes actuels ?
À l’époque, le mouvement féministe était invisible. Les femmes hurlaient, criaient, mais personne – ni la gauche, ni la droite – ne voulait les voir ou les entendre. Nous étions effacées. Ce qui est rassurant dans le mouvement féministe actuel, c’est qu’il est une réalité. Les femmes ont cassé le plafond de verre et c’est irréversible. Il n’empêche que pour moi, il y a toujours la peur des mouvements de droite, ceux qui n’aiment pas que le pouvoir soit bousculé. Donc il faut faire attention. Je dis toujours : si tu es une bonne personne, tu dois être féministe ! Ce n’est pas une question d’être une femme ou un homme, mais simplement d’équilibre, de normalité de l’être humain. Tu peux tout choisir dans cette vie, mais tu dois pouvoir avoir le choix ! En ce moment, on est plus ensemble que jamais. Les femmes sont d’un grand soutien entre elles, et c’est très fort.
Pourquoi avoir choisi de ne pas montrer des scènes d’avortements ?
Je ne crois pas que l’on a besoin de montrer le sang qui coule entre les jambes d’une femme pour comprendre. Je préférais suggérer, passer par le regard d’une jeune fille de 17 ans qui essaie de comprendre ce qui se passe. C’est ça mon film. Ce sont les yeux d’une adolescente qui essaie de comprendre les conversations derrière une porte, les silences d’une mère, les pleurs d’une femme… Souvent, quand on ne voit pas, on imagine le pire. D’une manière générale, j’aime davantage les choses qui sont insinuées que montrées frontalement.
En quoi Alícia Falcó vous a-t-elle inspirée pour ce rôle ? Comment s’est passée la collaboration avec elle ?
J’ai su qu’Alícia était Bea lors du troisième essai de casting. Il y a eu un moment où elle a juste écouté ce que disait son partenaire et je me suis automatiquement dit que c’était elle. Elle a quelque chose des grandes actrices : une figure magique qui captive tout de suite la caméra, énormément de force et de tendresse. Tout le film repose ses épaules et elle a fait une performance magistrale. Bea est dans tous les plans, elle est comme mon alter ego. Même si Alícia est d’une autre génération, elle recevait absolument tout ce que je lui disais avec beaucoup d’intelligence.
« En bonne compagnie », c’est aussi la révélation de l’amour de Bea pour une autre femme.
Pour Bea, c’est un peu la découverte de tout : de l’amour, de la sexualité, de la cause féministe et de sa mère… Le tout lors d’un été. Dans nos vies, ça arrive qu’un été soit spécial et qu’il bouleverse nos vies. C’est parfois un moment où l’on vit des expériences qui nous rendent plus mature et qui marquent le passage à l’âge adulte. Et Bea trouve, là où elle ne l’aurait jamais pensé, son désir et son amour. On tombe souvent amoureux de la personne finalement la moins proche de nous, celle avec laquelle on n’imagine rien du tout. La relation amoureuse avec Miren n’est pas forcément équilibrée, ni réciproque d’ailleurs. De plus, à l’époque, lorsqu’une femme tombait amoureuse d’une autre femme, elle ne savait pas comment réagir face à ce sentiment. Elle ne pouvait pas le dire, ni à son père, ni à sa mère, ni à ses ami·e·s.