Dans les premières étapes de l’élaboration d’un nouveau scénario, nous commençons par marcher. La marche jusqu’à la Tamise depuis notre maison à l’Est de Londres dure environ 90 minutes aller-retour.
La marche et la discussion ont joué un rôle essentiel dans notre façon de travailler ensemble sur les scénarios. Au cours d’une année entière, nous avons commencé la plupart de nos journées par cette marche. En longeant le Regent’s Canal, l’histoire d’une jeune femme adoptée a commencé à prendre forme et, au fil des mois, nous avons commencé à préciser les détails de l’histoire et la façon dont nous voulions l’exprimer. Cela résume les deux choses les plus importantes pour nous dans la réalisation d’un film : l’histoire mais aussi la narration.
Identité
Un jour, nous nous soumettrons à une psychanalyse pour savoir pourquoi nous sommes si attirés par les récits et les personnages dont le point central est l’identité sous la contrainte. Nous sommes particulièrement intéressés par la perte d’identité ou le moment de transformation où le sentiment d’identité d’une personne est altéré. Après avoir réalisé deux films dans lesquels nos personnages principaux se glissent littéralement dans la peau de quelqu’un d’autre, s’assimilent à sa vie et, ce faisant, trouvent un moyen d’avancer dans leur propre vie, avec « Faces Cachées », nous étions intrigués par l’idée que notre personnage central, Rose, puisse devenir une version différente d’elle-même, Julie, la personne qu’elle aurait été si elle n’avait pas été adoptée. Au coeur du film se trouve le désir de Rose de réconcilier ces deux versions différentes d’elle-même, car ne connaissant pas son passé – d’où elle vient – elle s’efforce d’imaginer son avenir.
Le thème de la comédie, ou du jeu de rôle, est également une idée récurrente dans nos films précédents. Dans « Faces Cachées », Rose n’est pas la seule à utiliser les compétences du jeu de rôle. De par sa nature même, l’adoption – en particulier les adoptions fermées où les informations d’identification ne sont pas divulguées – crée des histoires et des récits alternatifs, et est souvent entourée de mystère, voire de mensonges et de contre-vérités. Les noms sont changés. Des certificats alternatifs sont émis. Des histoires sont effacées. Des relations sont rompues alors que de nouvelles relations sont forgées. La façon dont les gens vivent l’adoption est différente pour chacun.
Qu’une personne adoptée veuille ou non retrouver ses parents biologiques, qu’un parent biologique veuille ou non entrer en contact avec l’enfant qu’il a abandonné, est une décision très personnelle. Dans notre histoire, notre personnage Rose est pris dans la réalité de l’adoption telle qu’elle existe en Irlande. Dans ce pays, le pouvoir a toujours appartenu au parent biologique, et plus précisément à la mère biologique. Si la mère biologique ne veut
pas être retrouvée, elle a le droit (légal) de refuser tout contact avec son enfant. La mère biologique de Rose, Ellen, a de bonnes raisons de ne vouloir aucun contact avec la fille qu’elle a abandonnée, et elle a fait tout ce qu’elle a pu pour éviter ce contact, mais Rose est tenace et trouve inévitablement son chemin dans le monde soigneusement construit par Ellen. C’est à ce moment-là que l’idée centrale de « Faces Cachées » fusionne avec l’autre idée principale qui a occupé nos pensées lors de nos nombreuses promenades – l’exploration de l’impact de la violence sexuelle et le besoin de justice sous quelque forme que ce soi
La violence et son impact
Alors que nous approchions de la fin du développement de « Faces Cachées », le mouvement #MeToo a pris son envol et un projecteur a été braqué sur l’omniprésence des agressions et des violences sexuelles dans notre société et sur les abus de pouvoir généralisés qui permettent qu’elles se produisent sans contrôle et en toute impunité. Il semblait que les thèmes au coeur de notre histoire étaient soudainement au centre de l’attention. Depuis notre première promenade vers la Tamise, nous avions toujours su que nous voulions également nous concentrer sur l’impact du viol. Pas l’acte lui-même, mais ses conséquences. Cela semble si évident à dire, mais ce n’est pas quelque chose à laquelle on pense souvent par rapport au viol, mais c’est le seul crime qui peut être commis et qui peut conduire à la création d’une nouvelle vie.
L’impact de la violation, lorsqu’elle conduit à la conception d’un enfant par un viol, est choquant et difficile – en particulier lorsque l’on pense aux attitudes régressives actuelles envers l’avortement – mais nous savions que nous voulions explorer cette réalité à travers l’histoire de Rose et Ellen. Nous voulions entrer dans ce monde sombre et douloureux en créant trois personnages – la mère, le père et l’enfant – qui sont irrévocablement liés par un acte de violence. De cette façon, l’histoire a une qualité archétypale. Elle se déroule comme un drame grec, d’une certaine manière.
Joe LAWLOR et Christine MOLLOY