Quel est ton parcours ? D’où vient « Le Divorce de mes Marrants » ?
A 14 ans, j’ai chanté dans un clip vidéo, qui a buzzé inopinément sur internet (« Moi j’te dis LOL » – 2009). C’est une chanson que ma mère avait écrite, assez pop. Ce succès internet a un peu fait basculer ma destinée (rires). J’étais la petite intello littéraire au fond de la classe. J’ai ensuite quitté l’école pour intégrer une troupe de théâtre, tout en passant mon bac, par correspondance.
Comme l’écriture a toujours été mon moteur, j’ai candidaté à 19 ans, à l’Ecole de la Cité de Luc Besson à Paris, et ai été acceptée. C’était si fou et fulgurant. C’est une école qui apprend à être polyvalents. Pendant mes études, j’ai écrit et réalisé une série internet, Les Lolies, qui abordait déjà la thématique de la famille monoparentale.
J’ai aussi réalisé un court-métrage, Bonne Fête Maman, qui traitait de la précarité des femmes monoparentales. « Le Divorce de mes Marrants », aborde cette thématique familiale, de façon plus brute, intense, comme une clôture de cycle.
Le film est intimement personnel. Comment t’es-tu sentie durant le tournage ? Y -a-t-il eu des moments où tu as voulu abandonner ?
C’est un film que j’avais besoin de faire. Une nécessité. Je pense que tout jeune adulte qui comprend qu’il y a des flous, des non-dits, une certaine violence dans sa famille, a besoin de se confronter à son histoire. Mon médium étant le cinéma – et sûrement la caméra me protégeant – le film s’est imposé. Comme une obsession. Quand j’ai commencé le film, à 21 ans, j’étais très jeune mais assez têtue même si je ne savais pas vraiment où j’allais (rires). Peu à peu, ma famille s’est aussi ouverte et a compris ma démarche. Et les secrets ont jaillit durant le tournage, alors oui, cela a été parfois douloureux. Il y a des moments où j’ai cru que je ne parviendrai pas aller au bout, je me sentais ensevelie. Mais à chaque fois, une petite voix me relevait, comme si j’étais destinée à le finir. Je crois à ces choses-là, un peu surnaturelles, comme l’idée être « appelés par quelque chose ». Et Anaïs, mon amie et co-réalisatrice– qui venait du documentaire -, a été un soutien de choix, elle était une épaule solide. Nous sommes passés par des tunnels et soudain, il y a eu un lâcher-prise.
Comment ce film a influencé tes rapports avec ta famille ?
Le film a apaisé nos relations, j’ai aujourd’hui moins de colère et d’incompréhension à l’égard de mon histoire familiale. Je comprends « mieux » mes parents, à travers leurs failles, leurs blessures. Ils ont des parcours de vie intenses (empreints par la Shoah, la maladie mentale et l’inceste). je crois qu’ils se sont rencontrées par leurs failles et leur soif de liberté. Ce sont des artistes courageux, qui se distinguent de leur famille et ont voulu se réinventer. Leur histoire d’amour s’est bâtie là-dessus. Depuis la fin du film, je ressens, entre eux, plus de quiétude, chacun ayant vu et compris les blessures de l’autre, cela les a adoucis. Et moi, je suis plus légère. Je n’ai plus le devoir de réparer ma famille à tout prix, d’être « une béquille ». C’est comme si je pouvais désormais m’aventurer vers d’autres chemins.
Quelle était le moment le plus dur durant le tournage ? Pourquoi ?
Incontestablement le moment où ma grand-mère parle d’inceste et accuse ma mère de fabuler. Je suis une fille, une femme. Je comprends l’écart de génération, ma grand-mère fait partie d’une éducation patriarcale où l’on protège son mari, les apparences, où le vernis social a une grande importance mais cela m’a complètement transpercée. J’étais ahurie, je me disais « comment est-ce possible ? », « Où allons-nous ? », « où va le film ? ». Je me sentais flancher. Dans mon ventre, je ressentais la douleur, celle de ma mère, et la mienne. J’ai aussi compris pourquoi, jeune, j’avais eu des blocages dans ma vie intime, avec les garçons. Je crois à la mémoire transgénérationnelle qui se transmet.
Le moment où mon père est en phase maniaque a été aussi très intense, et généralement, toutes les rencontres avec mon père. Je ressentais sa douleur, celle de sa maladie (la bipolarité). C’est un être d’une sensibilité désarmante, et à la fois, dans ses phases maniaques, il peut être violent, hors de contrôle. Ce film tourne autour de sa dualité, et nos retrouvailles ; que faire de cette maladie ? Mon rapport à mon père, puis, par extrapolation, aux hommes, au monde. Comment construire sans réparer ?
Comment as-tu fait pour réaliser un film avec si peu de moyens ?
Beaucoup d’énergie, de la pugnacité, un besoin viscéral et de la créativité, beaucoup ! (rires) Les contraintes, c’est stimulant. Comme je n’avais rien à perdre et que c’est mon 1er film, j’ai tout donné, au culot. J’ai créé ma boîte (Panach Company) puis Kwassa Films, une socitété de production belge a découvert le projet, lors de l’atelier «Cinéma et musique» du Festival 1er Plans d’Angers et a rejoint le film en coproduction. Entre temps, c’est fou, ils ont été nominés aux Oscars pour «L’homme qui a vendu sa peau » ! Alors que je finissais le montage sur mon ordi portable entre ma chambre et un studio de post-prod bruxellois qui a accepté de nous dépanner, Victor Shapiro, un producteur américain indépendant que j’avais croisé à Los Angeles, a vu quelques images et a dit « go » ! Il a apporté le coup de pouce final. Le film a aussi reçu un soutien de la Sacem pour la musique. De cette expérience (écriture – tournage – montage – production – musique) je ressors plus forte, plus patiente et plus précise avec mes désirs de cinéma. Porter un film en quasi autoproduction, je crois que c’est vraiment une super expérience pour apprécier le reste. Tout ce qui arrive ensuite est un cadeau !
Pourquoi un documentaire musical pour traiter de ce sujet si intime ?
Pendant le tournage, je fredonnais des mélodies, des mots, comme pour m’échapper du réel. J’ai compris après que ces textes disaient ce que je ne parvenais pas à exprimer durant l’enquête, où je devais tenir, tendue. Ces chansons dévoilent une part de légèreté, d’irrationalité. Ensuite, en 2018, le projet a été sélectionné dans un worskshop « Musique et cinéma » présidé par Rebecca Zlotowski. On lui a montré un extrait du film sur lequel j’avais placé une chanson (« Mon père »). Elle a dit « Qui a fait la musique ? Mais il faut continuer, il faut en faire d’autres ! ». Ca m’a donné confiance. Formellement, briser une forme traditionnelle, tracer une nouvelle voie, était stimulant. Entre le drame et le pop. Surprendre. Ces chansons offrent de l’oxygène à l’enquête, elles allègent et nous évadent. Comme mes fredonnement étaient une façon de m’évader sur le tournage.
Quelles sont tes aspirations pour le futur ?
Je souhaite continuer à écrire. J’ai de la tendresse et une certaine passion pour les personnages inadaptés, qui se battent pour quelque chose ou contre leurs fantômes, qui doivent braver des tunnels avant d’atteindre la lumière. J’écris deux scénarios en ce moment en continuant aussi la musique. La B.O va sortir d’ailleurs avec deux nouvelles chansons ! Je reçois aussi des propositions en tant que comédienne, c’est drôle ! Mais surtout, je m’attelle à mon deuxième film.