Documentaire / France

LE ROUGE ET LE GRIS

Fruit de vingt ans d’une patiente et passionnée collecte, constituant un fonds de plusieurs milliers d’images réalisées côté allemand et la plupart inédites, « Le Rouge et le Gris » propose une adaptation du célèbre récit de guerre de l’écrivain allemand Ernst Jünger, Orages d’acier. Confrontant Histoire, photographie et écriture, portée ici par la voix de Hubertus Biermann, le film documente le passage du monde ancien de 1914-1915, le Rouge du 19ème siècle, au Gris qui s’y substitue, celui de « l’habitant d’un monde nouveau ».

ANNÉE
RÉALISATION
SCENARIO
AVEC
FICHE TECHNIQUE
DATE DE SORTIE

2017

François LAGARDE

3h28 – Noir & Blanc – Dolby Digital 5.1

11 novembre 2023

PRÉSENTATION

Nous commémorons en ce moment le siècle qui nous sépare de la Grande Guerre. De grands textes et de grands auteurs nous éclairent, Blaise Cendrars, Henri Barbusse, Maurice Genevoix, Erich Maria Remarque, Richard Aldington et bien sûr en première ligne, Ernst Jünger .

 

Ernst Jünger est né en 1895, comme le cinéma, la psychanalyse, les rayons X et le moteur diesel. À l’aube de ses vingt ans, le 31 décembre 1914, il entre dans la guerre avec armes, livres et carnets. Il a déjà le désir d’être écrivain. Il eut l’incroyable destin de sortir vivant de cette tourmente ouvrant le XXe siècle.

 

15 carnets, toujours rédigés au plus près des évènements, servirent à l’écriture d’Orage d’acier.

 

« À 18 ans j’ai lu Orages d’acier. L’expression des détails, dégagée de toute charge psychologique, de tout affect m’avait fasciné. L’écriture de Jünger ressemblait à la photographie. À cette époque j’étais déjà photographe réalisant ainsi un rêve d’enfance. Ce livre fut ma rencontre littéraire. »

 

François Lagarde (1949-2017)

 

Environ la moitié de ce livre de 480 pages, publié en allemand en octobre 1920, constitue le scénario de ce film.

 

Mais il y a aussi des milliers de soldats photographes, la plupart anonymes, qui rapporteront des images de cette guerre. C’est à ces milliers de regards inconnus que ce projet rend aussi hommage.

La forme cinématographique choisie dans cette perspective, la collecte patiente de ces documents photographiques, le travail de numérisation, de restauration, d’agrandissement, de montage en haute définition, permettent d’en découvrir les qualités.

 

Cette démarche vient d’un constat : ces photos sont presque toutes inédites car, si nous connaissons l’image des vainqueurs nous ignorons celle des vaincus. Et pourtant elle existe. Elle est même unique par sa quantité et sa qualité, et elle a une spécificité : les photographes allemands sont nombreux – un soldat allemand sur cinq environ avait un appareil de photo.

Il y a les amateurs, les amateurs éclairés et les professionnels de l’armée. Ils documentent l’armée, l’arrière, leur famille et leur vie. Ils bénéficient d’un moindre contrôle que les Français, qui interdisaient toute prise de vue non officielle sur le front. Jünger soldat-écrivain avait lui-même immédiatement saisi l’importance et les conséquences de cet oeil artificiel qui vise tel un fusil.

 

« La technique photographique est une manière de fixer les choses à laquelle on accorde valeur de document. La Guerre mondiale a été le premier grand événement à être enregistré ainsi, et il n’y a pas depuis de fait important qui n’ait été saisi par l’oeil artificiel. »

 

Ernst Jünger, Sur la douleur, 1934

INTERVIEW DE CHRISTINE BAUDILLON, MONTEUSE DU FILM

La passion de François Lagarde pour la photographie se traduit ici tant le projet est herculéen : retrouver les images, d’abord, puis les assembler. Pouvez-vous nous dire l’histoire de ce film et nous raconter comment il a fait concrètement la collecte de ces images ?

 

Le film « Le Rouge et le Gris », commence par un prologue écrit par François Lagarde lui-même et qui explique justement la genèse de ce film. Durant presque vingt ans, François, qui était photographe depuis l’âge de 14 ans – c’est dire sa pratique et sa connaissance de la photographie et de son histoire – a collecté toute la matière photographique du film, qui a cette particularité, il faut le préciser, d’être en grande partie essentiellement allemande, puisqu’il s’agit ici du point de vue du vaincu et pas du vainqueur. François a donc commencé d’abord à faire du porte-à-porte dans chacun des villages marqués par cette guerre, la Champagne, les Éparges, la Somme, la Picardie, etc. Car il savait que les personnes originaires de ces lieux collectionnaient les cartes postales d’époque, puisque évidemment le paysage est encore actuellement marqué par la Grande Guerre. Puis petit à petit, il a rencontré quelques collectionneurs, dont un plus particulièrement basé en Flandres, Wilfried Deraeve qui l’a beaucoup aidé dans ses recherches car il possédait une importante collection. Puis les recherches, étant de plus en plus précises, François a découvert le site internet Delcampe qui est un énorme référencement photographique des collections privées spécialisées dans la carte postale 14-18. Il a donc acheté sur plusieurs années toutes les images (qui sont en quelque sorte la correspondance photographique du texte de Jünger) pour en être totalement propriétaire, car vous imaginez bien que ce film en termes de droits photographiques aurait été impossible à réaliser. C’est donc un travail colossal et vertigineux, car ce que décrit Jünger dans Orages d’acier, avec une précision remarquable, est là devant nos yeux. Les photographies sont pour la plupart faites par des soldats et quelques professionnels, mais la grande majorité sont réalisées par des amateurs sur le front et puis certaines sont issues du fond Ernst Jünger des archives de Marbach en Allemagne. Ensuite François a réalisé de longs panoramiques sur les lieux précis du texte et dont certains sont tournés en vidéo et puis d’autres sont des photographies panoramiques. Ces séquences actuelles viennent ponctuer le film à des moments très précis.

 

Pouvez-vous nous parler du lien qui liait François Lagarde à Ernst Jünger ?

 

François a lu Orages d’acier, très jeune, un livre qui figurait dans la bibliothèque de son père Werner Lagarde, grand lettré qui était pasteur au Havre. Cette lecture a été pour lui un vrai choc émotionnel et cérébral, car François a toujours été marqué, depuis l’enfance, par la force du réel. Le roman ne l’a jamais intéressé, seuls les ouvrages critiques, historiques et philosophiques étaient sa passion, avec la photographie et le cinéma. Il était hanté par cette guerre de 14, puisqu’au Havre, ville encore profondément marquée par les bombardements de 39-45, il voyait défiler aussi chaque année les fameuses Gueules Cassées, derniers témoins vivants de la Grande Guerre. Mais en lisant Orages d’acier, François pensait que son auteur était mort depuis des lustres, car très peu sont revenus de cette guerre ! Et c’est grâce à Albert Hofmann (grand chimiste et inventeur du LSD) dont François avait été le premier éditeur en France à publier le récit sur sa découverte : LSD, mon enfant terrible, qu’il a fait la connaissance de Jünger, dont il était un grand ami. Ensuite François a photographié Jünger durant vingt ans. Il connaissait bien l’homme et son histoire.

 

Ce film permet d’aborder l’Histoire d’une nouvelle manière. Etait-ce une volonté consciente ?

 

Oui évidemment. C’est d’abord ce point du vue du vaincu qui était essentiel pour François. Comment montrer, par la photographie, un tout autre versant, que celui qu’on connaît (plus ou moins) à travers la propagande française. Là, c’est l’inconnu, ce sont les poilus allemands, encore fortement ancrés dans le 19ème siècle, qui se photographient et composent «l’image-tableau» de cette guerre, car il y a de la composition dans beaucoup de ces photographies. Et puis comme François avait horreur des reconstitutions, ou ce terme de «docu-fiction» tel que la télévision le pratique souvent, en tant que photographe, il ne pouvait pas envisager son film sans les «images-miroir» du texte qui montrent l’histoire de cette guerre qui fut une véritable folie. Une totale destruction. Le paysage a été changé en un vaste désert. Jünger l’écrit à un moment donné. C’est un film sur la mort, donc sur la mémoire et sur la photographie. Je crois que pour rien au monde François n’aurait voulu en faire une adaptation fictionnelle. Mais il a su trouver la forme adéquate à son film, qu’il m’a ensuite donnée à travailler, pour qu’on ne perde jamais le texte en cours de route, et que jamais la musique ou la matière sonore ne l’emporte sur l’image mais qu’elle soit plutôt comme un murmure faisant partie de la matière photographique.

Le texte est porté par la voix d’Hubertus Biermann, qui est à la fois musicien, contrebassiste et comédien de théâtre. François voulait que le texte soit lu en français, dans la magnifique traduction d’Henri Plard, mais par un allemand totalement bilingue, pour avoir cette Allemagne «imbriquée» dans la langue française. Et puis Hubertus a un magnifique grain de voix, sans effet ni emphase. Il fallait trouver quelqu’un qui puisse lire ce texte comme il est écrit, c’est-à-dire comme une photographie sans pathos. Sa voix est le texte. Le film démarre avec les premières phrases du texte : «Le train fit halte à Bazancourt, petite ville de Champagne. Nous descendîmes» et cette voix qui ouvre le film ne nous lâchera plus durant 3h28.

À PROPOS DU RÉALISATEUR

François Lagarde, éditeur, photographe et cinéaste est né le 5 mars 1949 à Nîmes et décédé le 13 janvier 2017 à Montpellier.

 

La photographie, qu’il pratique depuis l’âge de quatorze ans, le mène à fréquenter et photographier musiciens, écrivains et artistes dont il admire l’oeuvre. Dès le début des années 1970, la liste des personnalités passées devant son objectif est impressionnante : Pierre Guyotat, Philippe Sollers, Julia Kristeva, Maurice Roche, Roland Barthes, Jacques Derrida, et Denis Roche… François Lagarde photographie sa « famille », celle qu’il avait choisie par la littérature et qui a forgé sa vision du monde.

 

En 1975, il organise à Genève avec Gérard-Georges Lemaire le célèbre « Colloque de Tanger » en hommage aux deux écrivains « beat» Brion Gysin et William S. Burroughs, dont il est très proche, et en tire un premier documentaire, « Les colloques de Tanger » (52’).

 

Il fonde, en 1981 à Montpellier, les éditions « Gris banal éditeur », et publie entre autres « The Beat Hotel », avec des photographies d’Harold Chapman, ainsi que « LSD mon enfant terrible » d’Albert Hofmann.

 

En 1999, il fonde aux côtés de la réalisatrice Christine Baudillon la société « Hors oeil éditions » au sein de laquelle il développe et réalise des documentaires très personnels consacrés à des philosophes comme « Les entretiens de l’île Saint-Pierre » (140’), en 2006, un film d’entretiens entre le philosophe Philippe Lacoue-Labarthe et l’essayiste Jean-Christophe Bailly ; « Simondon du désert » (110’), en 2012, sur l’œuvre du philosophe de la technique Gilbert Simondon et en 2013, « Altus », un portrait et voyage en compagnie Philippe Lacoue-Labarthe.

 

« Le Rouge et le Gris » (208’), libre adaptation cinématographique du célèbre récit de guerre de l’écrivain allemand Ernst Jünger « Orages d’acier », est sont dernier film.

 

Il a été projeté en juillet 2017 en Première Mondiale au FID à Marseille en hommage au réalisateur disparu la même année.

À PROPOS DE ERNST JÜNGER

Essayiste et romancier allemand, Ernst Jünger est né en 1895 à Heidelberg et décédé en 1998 à Riedlingen à l’âge de 102 ans.

 

Contemporain des deux guerres mondiales, Jünger s’engage volontairement en 1914, à 19 ans, dans les troupes de choc « les Sturmtruppen ». Il est victime de nombreuses blessures et en 1917 reçoit la croix pour le mérite la plus haute distinction militaire allemande.

 

Il transmet son expérience et ses souvenirs de la Grande Guerre et des tranchées dans le livre « Orages d’acie »r, publié en 1920, dans lequel il décrit les horreurs vécues, mais aussi la fascination que l’expérience du feu a exercée sur lui. Ce livre le rend célèbre et il devient une figure intellectuelle majeure de cette époque.

 

Après la guerre, il expérimente les drogues les plus diverses – auxquelles, blessé à la tête, il a goûté, dès 1918 – auprès d’Albert Hofmann, l’inventeur du LSD. Il relate cette expérience personnelle dans son essai « Approches, drogues et ivresses » (1970).

 

Ernst Jünger est à la fois un homme d’ordre et un avant-gardiste qui a su penser la modernité. Qualifié parfois par ses biographes d’« anarchiste conservateur », son oeuvre doit être considérée sous l’éclairage des expériences vécues par l’homme dans sa vie intime.

 

Jusqu’à la fin de sa vie à plus de cent ans, il a publié des récits et de nombreux essais ainsi qu’un journal des années 1939 à 1948 puis de 1965 à 1996 faisant de lui un témoin précieux de l’histoire européenne du XXè siècle.

 

Il reçoit en 1982 le prix Goethe pour l’ensemble de son oeuvre. Francophile et francophone, Ernst Jünger fait partie des auteurs allemands les plus traduits en France.

LISTE TECHNIQUE

Image : François Lagarde
Montage : Christine Baudillon
Son et Musique : Jean-Luc Guionnet
Mixage : Mikaël Barre
Voix : Hubertus Biermann
Traduction française : Henri Plard

CE QU'EN DIT LA PRESSE

BANDE À PART

Mise en images d’Orages d’acier, « Le Rouge et le gris », projet titanesque du photographe François Lagarde, est une adaptation qui retrouve le souffle et l’humanité du récit guerrier écrit il y a près de cent ans par Ernst Jünger.

 

LIBÉRATION

C’est à la fois un admirable travail historique et une envoûtante plongée dans le gris du passé, parmi des paysages dévastés et des regards fantômes.

 

CAHIERS DU CINÉMA

Avec ces milliers de soldats photographes qui sont autant de regards, le cinéaste a su recomposer le portrait du monde que nous avons perdu.

 

L’OBS

Les trois heures et demie passent comme un cauchemar de soie, absurde et profondément humain.

 

POSITIF

Comme autant de gravures à la manière noire, les images illustrent une histoire du conflit vu par des vaincus, sans amertume, sans héroïsme, scandée de phrases cristallines et la basse continue d’une belle partition.

 

LE MONDE

En s’associant ainsi par les pouvoirs du cinéma, image et littérature ouvrent un point de vue inédit sur l’expérience traumatique de la guerre, d’une puissance de suggestion bien au-delà des artifices de la fiction.

HORAIRES DU 8 AU 14 NOVEMBRE

Samedi : 16h40