Fiction / Argentine

L'HISTOIRE OFFICIELLE

1983 – Alicia, professeur d’histoire dans un lycée de Buenos Aires, mène une vie tranquille et bourgeoise avec son mari et la petite Gaby qu’ils ont adoptée. Dans sa vie professionnelle comme dans sa vie privée, elle a toujours accepté « la version officielle » jusqu’au jour où le régime s’effondre. L’énorme mensonge se fissure, et Alicia se met à suspecter que Gaby pourrait être la fille d’un « disparu ». Débute alors un inexorable voyage à la recherche de la vérité, une quête dans laquelle Alicia pourrait bien tout perdre.

Oscar du Meilleur Film Etranger – 1986
Golden Globe Meilleur Film Etranger – 1986
Prix d’interprétation féminine – Festival de Cannes 1985

ANNÉE
RÉALISATION
SCENARIO
AVEC
FICHE TECHNIQUE
DATE DE SORTIE

1985

Luis PUENZO

Aída BORTNIK & Luis PUENZO

Héctor ALTEIRO, Norma ALEANDRO, Chela RUIZ, Chunchuna VILLAFAÑE…

1h52 – Couleur – 1.85 – Dolby Digital 5.1

1er Novembre 2023

REPÈRES HISTORIQUES

MARS 1973
Élection de Juan Perón à la tête de l’État argentin.

 

JUILLET 1974
Mort de Juan Perón, sa femme Isabelle lui succède.

 

MARS 1976
Coup d’état militaire. Dès lors, la Junte militaire gouverne l’Argentine en pratiquant un terrorisme d’État et menant une ‘guerre sale’ contre ses opposants, enlevés, internés, torturés, assassinés.

On compte plus de 30 000 disparus, leurs bébés font l’objet de trafics.

 

1982
Guerre des Malouines. La déroute militaire argentine précipite la chute de la Junte.

 

DÉCEMBRE 1983
Élection de Raul Alfonsin.

L'HISTOIRE DE ``L'HISTOIRE OFFICIELLE``

Tout a débuté en 1982. Avant la dictature, Luis Puenzo avait réalisé un long-métrage, « Luces de mis zapatos » (1973) puis un fragment du film collectif « Las sorpresas » (1975). Depuis, il travaillait dans la publicité sans penser à revenir au cinéma. « Pendant la guerre des Malouines, j’ai décidé de me remettre à tourner. Je crois que pour beaucoup, cette guerre fut un déclencheur. On commençait à se rendre compte que les hommes qui revenaient de là-bas allaient mal. Alors j’ai voulu faire un film qui parlait de l’époque qu’on était en train de vivre », raconte-t-il.

 

« J’ai commencé à écrire une histoire, un conte. Une grand-mère en était le personnage principal. Avec la force de caractère et les moyens limités d’une grand-mère, elle enquêtait sur ce qui était arrivé à sa petite-fille née en captivité, et découvrait ainsi ce qui s’était passé dans le pays. J’ai écrit pendant plusieurs mois, mais à un moment donné, l’histoire ne progressait plus. Jusqu’à ce que j’inverse le point de vue et que je regarde l’histoire sous un autre angle : celui de la famille qui s’était appropriée l’enfant, celui de la femme qui commençait à douter de l’origine de sa fille adoptive. C’était un changement fort, car il m’a permis de transformer le drame en tragédie. La définition propre de la tragédie, c’est d’aller à l’encontre de ses propres intérêts. Là, l’histoire a pu se développer. »

 

À partir de ce moment, Puenzo écrit avec la collaboration de Aída Bortnik, journaliste renommée. « Je connais Luis depuis très longtemps », dit Aída. Un jour, il est venu à la maison et m’a proposé d’écrire un film auquel il avait pensé sur les enfants des Disparus. Je lui ai demandé comment il allait procéder et il m’a répondu qu’il ne savait pas, qu’il verrait bien, peut-être en cachette avec l’Espagne… J’ai immédiatement accepté. Nos expériences et nos vies différaient complètement, mais nous avions le même objectif : faire un film qui représenterait 95% du peuple argentin, ceux qui ne savaient pas, qui ne comprenaient pas, et qui pensaient n’être ni victimes ni bourreaux. »

 

Très vite, Puenzo décide de travailler avec l’actrice Norma Aleandro. Elle se souvient : « Luis m’a raconté l’histoire en 1983. Je venais à peine de rentrer d’exil, mais il voulait faire le film avec moi. Il tenait à tourner coûte que coûte, même en 16 mm, et il voulait faire une coproduction avec l’Espagne, pour avoir une protection contre de potentielles persécutions et une inévitable censure. On était toujours sous la dictature. J’ai dit à Luis : « Je rentre d’exil, je ne peux pas faire ce film ». Mais il a fini par me convaincre. C’était un acte de courage de sa part de faire ce film. Les premières images qu’il a tournées en 1983 sont celles de la répression de la manifestation sur la Place de Mai. C’est une scène en prise de vue réelle. Personne ne savait que Luis et son équipe étaient en train de filmer. »

 

« Nous avions obtenu des accréditations de presse, pour donner le change », renchérit Puenzo. « Nous sommes partis avec deux Arri 35 et leurs pieds, parce que filmer caméra à l’épaule ne correspondait pas à la future esthétique du film. Les gens chantaient ‘ on va venir à bout ’. C’était la consigne pour les marches, les concerts de rock, les graffitis. On va venir à bout de la dictature militaire… C’était un souhait, mais nous ne pensions pas que cela arriverait si vite. Pourtant mi-1983, les militaires ont organisé des élections. »

 

Il est alors décidé de repousser le tournage. « Nous avions commencé par enquêter sur une question taboue, dont on savait peu de choses, et maintenant, mois après mois, semaine après semaine, jour après jour, les journaux révélaient de nouveaux cas. Les informations sur les enfants disparus étaient devenues publiques. Elles allaient au-delà de l’imagination. »

 

Alfonsin gagne les élections. Entre autres mesures, il confie à Aída Bortnik des missions d’ambassadrice culturelle qui impliquent sa présence en Europe. Luis Puenzo doit donc se partager entre les modifications à apporter à la version finale du scénario et la pré-production du film, qui devient un des deux premiers films tournés de la démocratie naissante.

 

Le tournage commence en avril 1984. Luis crée spécialement une société de production, Historias Cinematograficas. L’argent vient de Cinemania, sa structure de films publicitaires. Puenzo investit tous ses biens dans le long-métrage, et les risques ne sont pas qu’économiques. Son épouse, Nora Rousseaux, l’épaule de façon inconditionnelle, tant et si bien que la maison familiale à Acassuno devient le principal plateau de tournage. Elle sert de décor pour le domicile de Norma et Héctor. Et les bureaux de Cinemania sont utilisés pour représenter les locaux des Grand-mères de la Place de Mai.

 

À leur sujet, Puenzo raconte : « Le scénario indiquait que des photos étaient punaisées aux murs. Je n’aimais pas l’idée de refaire les photos des Grands-mères. Je leur en ai parlé, et elles m’ont prêté tout leur matériel. » Norma se souvient : « Je ne pourrai jamais oublier la séquence qui se passe au siège des Grands-mères de la Place de Mai. Mon personnage devait regarder des photos, pour tenter d’identifier les parents disparus de sa fille adoptive. Les Grands-mères nous ont donné le dossier réel des photos des Disparus. C’était terrible de le tenir entre mes mains. Mon personnage ne pouvait extérioriser ses émotions, mais moi j’avais envie de pleurer et de sortir en courant. »

 

Beaucoup de choses que l’on voit dans le film sont réelles : les manifestations, les pancartes, les fiches de renseignement… « Cependant », dit Puenzo, « on ne voulait pas réaliser un documentaire, mais permettre à un travail de mémoire d’exister à travers la fiction. Le film propose une réflexion non seulement sur les Disparus et leurs enfants, mais aussi sur ce qui s’est passé pour en arriver là. C’est le moment de la catharsis pour un cinéma qui fut muselé des années durant. Pour poser les bases d’un nouveau cinéma argentin, cohérent dans ses thèmes et ses idées. »

 

Toujours concernant les décors, c’est l’école Urquiza qui sert pour les scènes au lycée. Un ancien élève se souvient : « Je n’ai pas oublié Norma Aleandro jouant la professeure. C’était au tout début de la démocratie, et on se demandait ce qui allait se passer. On portait encore l’uniforme. On nous avait fait enlever le blason de la dictature et le recoudre à l’envers de la veste, sait-on jamais. Puenzo nous avait fait chanter l’hymne, avec plein de drapeaux et de cocardes ». Luis confirme : « C’était une façon de se réapproprier les symboles de la patrie, récupérés par les militaires comme tant d’autres choses. Plusieurs années ont passé avant que l’on ne puisse vraiment chanter l’hymne national comme quelque chose de festif, qui nous était cher. »

 

Puenzo raconte : « Le tournage se passait bien, et tout le monde était très impliqué dans le film. J’oserais même dire que nous étions heureux, malgré la dureté du thème et le poids de l’actualité chaque jour. On approchait déjà de la fin du tournage quand les menaces ont commencé à tomber. La petite Analia, qui jouait Gaby, rentrait avec sa mère tous les soirs en voiture. Un soir, alors que sa mère arrivait à la maison avec la fillette endormie dans ses bras, elle a été menacée par des types. Ils voulaient qu’elle renonce au film. Ils l’ont attrapée par le cou et plaquée contre un mur. On a suspendu le tournage. On a annoncé partout qu’on avait terminé le film. Et on a continué, quand on pouvait, comme on pouvait, presque clandestinement, en changeant les lieux de tournage, en filmant avec une équipe réduite. »

 

Finalement arrive le moment de la sortie, calée en octobre 1984. Le distributeur avait négocié un lancement du film dans le circuit de salles Coll-Saragusti, les affiches étaient déjà placardées dans les rues. Mais dans les semaines qui précèdent, deux films argentins aux sujets politiques sont des échecs au box-office. Après une longue nuit d’échanges avec Nora, Puenzo décide qu’il faut repousser la sortie. Dès le matin, il appelle le distributeur pour lui en parler. Celui-ci lui donne raison et lui demande quand il voudrait sortir le film. Puenzo répond la première chose qui lui passe par la tête : « l’année prochaine, pendant la Semaine Sainte. »

 

Luis recommence à faire des films publicitaires pour équilibrer ses finances. Début 1985, le festival de Berlin invite « L’histoire officielle » en compétition mais Puenzo refuse. Il a le sentiment qu’il faut attendre Cannes même si aucun film argentin n’y a concouru depuis 20 ans. C’était un risque à prendre mais le film est bien sélectionné en compétition au festival de Cannes en mars 1985, pour une présentation deux mois après.

 

Le film sort en salles en Argentine le 3 avril 1985. Les critiques sont globalement bonnes, mais il démarre doucement. En quatrième semaine, il ne passe plus que dans une seule salle à Buenos Aires. C’est le succès à Cannes, où le film obtient le Prix d’interprétation féminine pour Norma Aleandro (qui le partage avec Cher pour son rôle dans « Mask » de Peter Bogdanovic) et le prix du jury oecuménique, qui permet de relancer sa carrière. Il attire au final près de 900.000 spectateurs, devenant numéro 1 du box-office argentin.

 

Suivront de nombreux succès à l’international, notamment en Amérique du Nord où la photo de Cher et Norma recevant leur prix côte à côte circule dans tout le continent. Le film remporte le Prix du Public au festival de Toronto et rafle tous les prix au festival de Chicago. Au mois de mars 1986, c’est la consécration avec l’Oscar du meilleur film étranger. Sur la scène du Dorothy Chander Pavilion de Los Angeles, Puenzo saisit la statuette et déclare : « Il y a dix ans jour pour jour, le 24 mars 1976, nous vécûmes le dernier coup d’état militaire de notre pays. Nous n’oublierons jamais ce cauchemar, mais nous commençons à rêver de nouveau. Merci. »

ENTRETIEN AVEC LE RÉALISATEUR 30 ANS APRÈS

Quand vous avez tourné « L’histoire officielle » il y a trente ans, on ne savait encore rien des enfants des Disparus.

 

Je crois qu’à cette époque en Argentine, de même que dans tous les pays du monde, on pouvait savoir si on le voulait. Mais une grande partie de l’Argentine a choisi de ne pas savoir. Ce que nous avons écrit et filmé dans « L’histoire officielle », c’était des choses que les gens pouvaient savoir, sinon nous ne les aurions pas sues nous-mêmes. Alicia, le personnage principal, est professeure d’histoire mais choisit de ne pas savoir. Ses retrouvailles avec Anna, l’amie exilée qui revient au pays, réveillent ce besoin. C’est ce qui s’est passé pour une grande partie de la société à un moment ou à un autre.

Beaucoup d’entre nous connaissions des Disparus, que ce soient des membres de notre famille, des amis ou de simples connaissances. Mais rares étaient ceux qui s’intéressaient aux questions des Droits de l’Homme et des Disparus. Les gens préféraient ignorer. Nous avons fait le film pour ces gens-là, pas pour ceux qui militaient déjà. Il nous semblait plus intelligent de ne pas nous afficher comme un film militant.

 

Ce qui est en permanence sous-jacent dans votre film, c’est la dimension complice de la société civile.

 

C’est plus que la complicité civile, c’est la paternité civile. L’origine du gouvernement militaire en Argentine et en Amérique latine a un point de départ économique. C’est très facile de dire que tout ce qui s’est passé est lié la folie d’un petit groupe de militaires. Mais c’est oublier le rôle des politiques et des économistes. On le voit dans le film, à travers le personnage du mari d’Alicia. Cela a commencé avant 1976 et ce n’est toujours pas terminé.

 

Si vous deviez tourner « L’histoire officielle » aujourd’hui, comment serait Alicia ?

 

Je dirais que la suite de « L’histoire officielle », je l’ai déjà filmée quand j’ai fait « La Peste ». La grande parabole du livre d’Albert Camus, c’est que la bactérie ne s’en va jamais totalement, elle reste dans les mouchoirs, dans les recoins, et un jour les rats reviendront dans une ville quelconque. De la même façon, il y a toujours un fil entre la dictature et les hommes politiques d’aujourd’hui. Alicia ferait partie de tous ceux qui n’arrivent pas à voir ce lien, cette continuité. Tel serait son déni aujourd’hui.

 

Pourquoi avoir laissé une fin ouverte à « L’histoire officielle » ?

 

Avec la coscénariste, Aída Botnik, on s’interrogeait sur le sort à donner à Gaby, le personnage de la fillette. Au moment de l’écriture, en 1983, il n’y avait que trois cas de petits-enfants retrouvés par les Grands-mères. On ne pouvait pas s’arroger le droit de dire ce qu’il adviendrait de Gaby, parce que cela aurait figé son histoire. Chaque cas est individuel, c’est le centre même du film. On était conscients que dans les cas qui ne manqueraient pas de surgir au fil des années, il y aurait de tout. Et c’est exactement ce qui est arrivé : des enfants ont été élevés par les assassins de leurs parents et n’ont jamais retrouvé leur nom, d’autres ont récupéré leur identité puis vécu à la fois avec leur famille biologique et celle qui les avait élevés, d’autres ont rompu tout lien avec leur famille « d’adoption ». Il aurait été arrogant qu’une personne extérieure à ces dilemmes dise ce qu’il fallait faire. Mais ne pas donner de résolution ne veut pas dire que le film n’a pas de fin : le dénouement est la transformation d’Alicia, qui réalise que ni son histoire personnelle, ni celle enseignée à l’école ne peuvent continuer à être l’histoire officielle. Elle quitte Roberto. On sait que la petite fille va retrouver sa grand-mère biologique. Et on entend la chanson de Maria Elena Walsh « ce pays du je-ne me-souviens-pas », un nom tellement pertinent, aujourd’hui encore.

 

Propos recueillis par Eduardo Febbro en octobre 2015

LISTE ARTISTIQUE ET TECHNIQUE

Héctor Alteiro : Roberto
Norma Aleandro : Alicia
Chela Ruiz : Sara
Chunchuna Villafañe : Ana
Analia Castro : Gaby

 

Réalisation : Luis Puenzo
Scénario : Aída Bortnik & Luis Puenzo
Image : Félix Monti
Montage : Juan Carlos Macías
Musique : Atilio Stampone
Son : Abelardo Kuschnir
Direction artistique : Abel Facello
Costumes : Ticky García Estévez
Produit par : HISTORIAS CINEMATOGRAFICAS
Producteurs : Nora Puenzo & Luis Puenzo
Producteur délégué : Marcelo Piñeyro
Distribution France : Pyramide
Ventes internationales : Pyramide International
Edition vidéo : Pyramide Vidéo

HORAIRES DU 22 AU 28 NOVEMBRE

Jeudi : 18h15