« MA MONDIALISATION permet-il de comprendre comment un chef d’entreprise peut être obligé de délocaliser ? »
GILLES PERRET : « On pourrait discuter de cette notion d’«obligation», qui est ici très complexe. Mais il est vrai que si ces décolleteurs ne vont pas s’installer en Chine ou au Brésil pour suivre leurs donneurs d’ordres – Renault, Peugeot, et tous les constructeurs auto du monde -, ils passent vraiment pour des «has been» qui n’ont rien compris à la mondialisation et que c’est là-bas que ça se passe… »
« Ils sont largués… »
« Oui. Et surtout – certains le racontent dans le film – s’ils vont en Chine, c’est pour satisfaire et garder leurs clients, mais là-bas, en fait, ils produisent plus cher! Tant pis, ça fait classe, et c’est à le prix à payer… »
« Plusieurs chefs d’entreprise de la vallée de l’Arve participent au film… »
« Ce sont précisément ces témoignages qui m’intéressaient, mis en perspective avec les pro pos de syndicalistes et d’ économistes. On a l’habitude d’ entendre syndicalistes et ouvriers s’ ex p rimer sur les inquiétudes nées de la mondialisation, mais jamais les patrons. Je crois que l’originalité du film est de donner à écouter leurs arguments, qu’on les juge recevables ou non. Ce qu’ils nous disent, c’est qu’ils ne sont plus très à l’aise dans ce monde-là, qu’ils sont en passe de se faire rattraper par un modèle économique qu’ils ont, pendant de nombreuses années, largement soutenu. »
« Vous voulez dire qu’ils se sont un peu fait hara-kiri ? »
« En quelque sorte : ils ont soutenu ce libéralisme (on connaît le discours : «trop de charges, etc…»), et aujourd’hui ils en sont victimes, parce qu’à ce jeu ils ont trouvé plus forts qu’eux. Et ils voient les leviers s’éloigner de plus en plus de la vallée, tenus par des gens invisibles, pour la plupart des financiers qui ne connaissent absolument rien à la mécanique ni à l’industrie, et dont la gestion des sociétés est assez dramatique.
« Est-ce qu’ils remettent ce parcours en question ? »
« C’est difficile. Ils ont travaillé énormément et n’ont pas eu le temps de l’analyse, du recul. Bien sûr, ils ne vont pas mettre le système en cause – ce ne sont pas des révolutionnaires dans l’âme – , mais ils se rendent bien compte qu’il y a quelque chose qui ne marche plus, qu’ils sont en train de se faire déposséder de leur outil. »
D’après un entretien avec Yvon Chaloyard, à l’antenne de Radio Plus, mai 2006.