C’est l’histoire d’une vie. Je suis entré comme conducteur de travaux à France Télécom en 1987, après de longues années de boulots usés et gâchés par la précarité. France Télécom représentait le Graal d’un véritable avenir.
Mais ce sont aussi les années où les dirigeants du monde décident de mettre à mal les acquis ouvriers et les protections sociales. Les services publics sont les proies de ces nouveaux argentiers avides et sans retenue : « There Is No Alternative » chantait l’Angleterre à tue-tête tandis que la France, à droite comme à gauche, creusait une « troisième voie » dans l’ornière des politiques d’austérité.
Mauvaise pioche. Le paradis France Télécom se transforme rapidement, trop rapidement, en une machine à perdre. Le syndicalisme des PTT s’use à résister aux sirènes de la privatisation, et les premières années de France Télécom n’étaient dorées que pour les nouveaux actionnaires.
La tragédie est connue. Privatisation, endettement colossal, plans d’austérité, départ de 40 000 fonctionnaires de 1996 à 2006, puis 22 000 départs en 3 ans, de 2006 à 2009. C’est l’ère du Pdg Lombard, ingénieur des Télécoms converti à l’argent facile avec son annonce de départs « Par la fenêtre ou par la porte ».
Les visages sont graves, les collègues se séparent, rares sont ceux qui trouvent les issues, la plupart sont déboussolés, dégoutés, blessés profondément. Le syndicalisme, la solidarité sont mis à rude épreuve par une direction de choc.
Mais nous avons réussi à résister, à reconstruire les conditions d’un sursaut. Il a fallu aussi capter le regard de la société française. Combien de situations dramatiques de familles avons nous communiquées dans la presse locale puis nationale pour que les projecteurs de la presse poussent enfin à une intervention de l’État fin 2009.
C’est à ce moment-là que nous avons décidé de porter cette affaire au pénal car le sang et les larmes avaient coulé. Personne ne pouvait tourner la page des ces années sans exiger une condamnation nette et sans appel d’une direction.
Ce documentaire « Par la fenêtre ou par la porte », c’est à la fois l’histoire de nos luttes syndicales et de nos doutes. C’est aussi l’histoire de nos rencontres avec la sidération d’une société civile qui ne ménagera pas sa solidarité. C’est enfin l’histoire d’une aventure judiciaire qui mènera à une enquête de deux juges d’instruction pendant quatre années et à un procès exemplaire en première instance qui condamnera ces dirigeants du CAC 40 à la prison.
C’est aussi, et c’est sans doute le plus important, un message pour l’avenir. Notre histoire n’est pas une histoire singulière. Elle est aussi l’histoire d’une mutation profonde du monde du travail, des règles de solidarité sociale, des liens entre les générations au moment où la planète semble vaciller.
C’est un message d’espoir.