Documentaire / Belgique

PETIT SAMEDI

Damien Samedi a 43 ans. Quand il était enfant, dans son village wallon en bord de Meuse, on l’appelait le « Petit Samedi ». Pour sa mère Ysma, Damien est toujours son gamin, celui qu’elle n’a jamais abandonné lorsqu’il est tombé dans la drogue. Un fils qui a, malgré tout, cherché à protéger sa mère. Un homme qui tente de se libérer de ses addictions et qui fait face à son histoire pour s’en sortir.

« Notre chouchou ! A l’unanimité. Je trouve ce film beau comme ce frère, beau comme cette mère, beau comme ce regard qu’elle a sur eux. C’est un premier film et déjà une grande maîtrise, une grande rigueur, une exigence, une précision. La géographie des lieux est précise, la façon de cadrer est inspirée, on sait où ça se passe et en même temps il s’en dégage quelque chose de noble. Où ? Quand ? Comment ? Quelque chose transcende tout cela. Un regard sur la fragilité, la maladie, la toxicomanie qui est merveilleux ; une appréhension autour de l’héroïne qui est très juste, sa façon d’être là dans sa vie, de manière diffuse, autoritaire et violente, et en même temps voluptueuse. Tout cela est extrêmement bien décrit avec beaucoup de précision et de pudeur. Et puis une mère merveilleuse qui essaye de se battre et de redonner confiance à ce garçon. Une réussite totale pour nous, esthétique et morale. Et en même temps un film émouvant. Petit Samedi, grand film ! »

Pierre Salvadori, Président du Jury du festival d’Angers 2021, lors de la remise des prix

ANNÉE
RÉALISATION
SCENARIO
AVEC
FICHE TECHNIQUE
DATE DE SORTIE

2020

Mehdi HMILI

Paloma SERMON-DAÏ

Damien SAMEDI et Ysma SERMON- DAÏ

1h15 – Couleur – Dolby Digital 5.1

7 Juin 2023

ENTRETIEN AVEC LA RÉALISATRICE

Paloma, pouvez-vous nous dire quelques mots sur votre parcours ?

 

Je viens de Sclayn, le village où est tourné le film et où mes parents habitent encore.

Je n’étais pas une élève très brillante, j’étais un peu perdue dans mes choix, dans ce que j’avais envie de faire. J’ai eu la chance d’intégrer une option théâtre à 15 ans, et cela m’a ouvert sur un monde que je ne connaissais pas, et qui m’a menée petit à petit au cinéma. Je suis rentrée à la HELB quand j’avais 20 ans. C’est là que j’ai fait mes armes, des courts documentaires à la fin de chaque année.

Je cherchais un moyen d’expression. Je ne pense pas être une grande cinéphile ou une grande intellectuelle. J’ai plutôt une intelligence émotionnelle, je travaille dans l’instinct. Le théâtre m’a permis de dépasser mes plus grandes peurs, et d’apprendre à avoir une voix. Mais je sentais que j’avais des barrières que je ne parviendrai pas à dépasser, et le cinéma me permettait de m’exprimer sans trop d’anxiété, sans être trop exposée.

Mon film de fin d’étude, « Makenzy « ,se tournait déjà à Sclayn, j’y suivais un petit garçon que je connaissais. J’y traitais beaucoup plus du territoire, d’une manière plus muette que « Petit Samedi » qui est beaucoup plus dans la relation et dans le dialogue.

 

Pourquoi se tourner vers le documentaire ?

 

Je pense que j’avais beaucoup de choses à dire sur mon territoire, et sur des sujets qui me sont très intimes, même si je ne veux pas m’enfermer dans ce format. Je pense que je pourrais tout à fait venir à la fiction ultérieurement. D’ailleurs ce film-ci a commencé à l’écriture de manière beaucoup plus kaléidoscopique, avec plus de personnages, plus de mise en scène, notamment à travers des petites scènes burlesques qui rythmaient le film, et qui ont finalement disparu au montage au profit du réel.

 

Comment avez-vous décidé d’aborder ce sujet ?

 

En 2018, mon frère Damien n’allait pas bien du tout, il traversait une période où il essayait de se soigner mais il peinait à trouver une structure qui lui corresponde. Il était perdu, et ma mère était en panique. J’ai grandi avec ça. J’avais envie de prendre tout cela comme un gros bloc de terre, et de dire: « Toute cette boue, on va en faire une statue ». Peu importait la forme finalement. Au début, le film était totalement axé sur Damien. Je l’ai fait beaucoup se raconter… J’avais envie de connaître son histoire, et son point de vue. Et puis petit à petit, j’ai remarqué que chaque fois que je filmais Damien seul, sa carapace était beaucoup plus épaisse que quand il était avec ma mère. Quand ils étaient à deux, ils étaient rassurés en présence l’un de l’autre. Quelques mois avant le tournage, lors des essais avec l’équipe, il nous a semblé évident que le film serait sur eux deux. A l’écriture j’avais eu peur que la relation ne suffise pas à porter le film. Mais au bout du compte, leur relation était tellement vraie et forte que j’ai simplifié le film et sa forme au montage. C’est comme en cuisine, quand on a de bons produits, il ne faut pas rajouter trop d’ingrédients en plus, sinon on perd le goût…

 

Comment avez-vous convaincu votre famille de vous faire confiance ?

 

Quand j’ai abordé le sujet pour la première fois avec Damien, il avait envie d’aider les autres, et donc d’en parler pour les aider. Que les gens touchés par l’addiction puissent se dire: « Je ne suis pas tout seul ». Comme le dit ma mère dans le film, toutes les familles sont touchées par des problèmes, d’une façon ou d’une autre. Et malgré tout, les gens qui ont des addictions comme Damien se soignent rarement. Il a beaucoup d’amis morts très jeunes, faute d’avoir eu la même force de vie, et un entourage qui les soutient. Il voulait parler. Le film est une vraie chance pour eux et pour moi, car cela a été difficile de lever tous ces tabous et de parler aussi ouvertement de l’addiction. J’ose penser que le film a permis de déclencher quelque chose chez mon frère. C’était impératif pour notre projet qu’il aille en thérapie, et ça a peut-être mis le moteur en route. Aujourd’hui, il a dépassé beaucoup de choses, il a trouvé les bonnes personnes pour l’accompagner, et il va mieux.

 

Votre mère Ysma nous permet de porter un autre regard sur la maternité…

 

Ma mère s’occupe beaucoup de Damien, mais c’est une codépendance. Damien s’occupe aussi beaucoup de ma mère, elle peut compter sur lui.

C’est un personnage fascinant, elle est très bavarde. Elle parle même toute seule. Plus jeune, elle envoyait des cassettes audios à sa soeur, qui habitait en Afrique, comme on peut le voir dans le film. Elle est en conversation constante avec ellemême et les autres.

Je suis contente que l’on ait abordé la question de l’addiction à travers une relation mère/fils, qu’on soit dans quelque chose d’un peu différent de ce qui peut se faire sur ce sujet, dans le format aussi. Finalement, c’est d’abord une histoire d’amour, un film sur ce que c’est qu’être une mère, ce que c’est qu’être un fils. Si Damien n’aimait pas sa mère, il aurait beaucoup plus mal tourné. Ma mère est son point d’ancrage; sa raison de garder la tête hors de l’eau, de rester quelqu’un de respectable.

Quand Damien se confie auprès de sa thérapeute sur son état de fragilité émotionnelle, on entend aussi un discours sur la masculinité, sur ce qui est acceptable pour un homme.

Damien est quelqu’un de très sensible, qui a une grande part de féminité. Ce qui est en jeu ici, c’est de se dire qu’on ne se drogue pas pour rien, tout comme on ne s’alcoolise pas pour rien ou on ne se perd pas dans les jeux vidéos pour rien. On n’est pas addict pour rien, il y a toujours quelque chose derrière. Damien a commencé très jeune, au sortir de l’adolescence, et il s’est construit en tant qu’homme avec cette carapace-là. L’addiction est une maladie mentale, qui parfois en cache d’autres. Ce n’est pas simplement quelque chose qu’il faut sevrer, c’est aussi quelque chose qu’il faut soigner.

Le paradoxe avec la sortie du film, c’est que maintenant, il faut assumer que tout ça soit livré au regard des autres. Forcément, on se dit qu’on sera peut-être jugé par les spectateurs et que ces spectateurs seront peut-être des gens que l’on connaît. Cependant, depuis le tournage du film et grâce à l’approche que Damien a maintenant face à la maladie, il est plus apte à faire face à ces regards. Le but était aussi de bousculer nos préjugés sur ce que peut être la toxicomanie.

 

Au fil du film, la caméra se rapproche de plus en plus des protagonistes.

 

Dès le départ, j’avais décidé de rester à une certaine distance, par pudeur vis-à-vis d’eux. Pour les scènes du début dans la chambre avec Damien, quand il se shoote, l’idée était de l’évoquer visuellement de manière subtile, de le donner à voir sans le montrer. On reste à l’extérieur de la scène, on le voit de dos. Il fallait trouver un regard juste. Cela n’aurait rien apporté au film d’être frontal dans ces moments un peu sombres où il se fait du mal.

C’était aussi une façon de travailler plastiquement l’environnement, la maison, son architecture, mais aussi le village, le regard des autres et le regard de Damien sur le village.

Et puis ces conversations nous ont donné envie de nous rapprocher de plus en plus, de leurs émotions, car on sentait qu’on pouvait se le permettre. C’est quand même un film très statique, et on a eu envie d’être de plus en plus intime. Cette proximité pousse aussi le spectateur à se demander ce que lui aurait fait à la place des deux personnages.

 

Si ce film est centré sur la relation entre Damien et sa mère, le territoire reste néanmoins bien présent.

 

C’est un microcosme, un petit village, tout le monde se connait, et cela a ses côtés positifs, et ses côtés négatifs. On est toujours dans le regard des autres. Dans Makenzie, le territoire était très présent visuellement, ce petit garçon face à ces rochers qui l’enfermaient. Ici c’est plus dans la parole, dans ce que Damien et ma mère en disent.

Les petits villages wallons comme celui là sont un peu laissés pour compte. Si Damien a grandi de cette manière, c’est aussi une question liée au territoire. Il faisait partie d’une bande de jeunes qui faisaient les 400 coups, partaient en voiture vers les soirées bruxelloises ou anversoises. Il y avait un effet de meute. La jeunesse en bord de Meuse… Des enfants perdus livrés à eux-mêmes et qui courent les rues. Damien avait la structure de sa famille comme refuge heureusement, mais il a eu une jeunesse mouvementée.

Jeunesse évoquée par la première scène du film, une scène de soirée techno déchaînée, qui trouve un écho plus tard dans le film…

A l’écriture, je voulais plus aborder la jeunesse de Damien, le moment où les addictions sont nées. Je voulais trouver une façon d’évoquer ça, mais aussi le fait que cette jeunesse soit un fantôme pour Damien. Il était un jeune comme les autres qui allait en soirée pour s’amuser et se découvrir. Jusqu’au jour où il fait la bêtise qui a tout changé dans sa vie: une fois, sur une mauvaise rencontre. Cette scène dans la grotte, où l’on retrouve cette musique, cela rappelle ce poids qu’il a sur les épaules depuis toujours. C’est très compliqué pour Damien de se dire qu’à cause d’une seule erreur il se retrouve vingt ans plus tard coincé dans cette vie.

C’est aussi ce que je voulais dire avec ce film, que ça pouvait arriver à tout le monde. J’ai une grande admiration pour ma mère, qui ne s’est jamais démobilisée. On a tous droit à une deuxième, troisième, quatrième chance. Surtout quand il s’agit de ses enfants. C’est ce que m’a appris ma mère.

 

En tant qu’autrice, comment envisagiez-vous la « fin » du film ?

 

Pour ce film, on a choisi de se focaliser sur un moment de leur vie, qui n’aboutit pas à un « dénouement » véritable. Le film ne termine pas sur la « consécration » de Damien, celle où il parvient à intégrer une structure de sevrage notamment. La fin laisse clairement ouverts de nombreux possibles. Mais un film est fait pour être vu et partagé, et cela pourra permettre à Damien de porter une parole après le film, de se raconter un peu plus. C’est aussi une manière d’ouvrir le débat. Les addicts aux drogues dures sont tellement marginalisés, qu’on préfère taire la souffrance. On parle de l’alcoolisme, de l’addiction aux médicaments, mais les drogues dures restent très taboues.

 

Y-a-t-il des univers de référence qui ont nourri le film ?

 

J’ai un drôle de rapport à ça, je ne travaille pas beaucoup dans la référence. Je n’en fournis pas beaucoup à l’équipe. J’ai une culture assez populaire en fait, et j’aime autant la musique que le théâtre ou le cinéma. Néanmoins, j’ai été très touchée par le cinéma de Bruno Dumont, sa façon de filmer ces paysages, et d’aborder cette société du Nord. J’ai la sensation de m’y retrouver. Quand il s’agissait de filmer ma mère et le territoire, je me sentais assez portée par le cinéma de Chantal Akerman. Et puis si le film était censé être aussi burlesque à la base, c’est parce que je suis une amoureuse du cinéma indépendant américain, comme les films d’Harmony Korine et ses personnages un peu destroys et burlesques. Je voulais aussi un film très solaire, et j’ai regardé beaucoup de séries du photographe Martin Parr. Je voulais éviter de tomber dans quelque chose de trop sombre ou dramatique. L’image va d’ailleurs souvent à l’encontre de ce qui se dit dans le film. Malgré le sujet dramatique, on est dans l’amour, quelque chose d’assez léger, et très posé. Cela correspond aux caractères de Damien et ma mère.

 

Entretien mené par Aurore Engelen, février 2020.

À PROPOS DE LA RÉALISATRICE

PALOMA SERMON-DAÏ

 

Née à Namur (Belgique) en 1993. Après des Humanités Artistiques au sein du conservatoire de Huy, elle entame en septembre 2014 un baccalauréat en Technique de l’Image à la Haute Ecole Libre de Bruxelles. Elle y réalisera trois courts métrages documentaires dont son film de fin d’études « Makenzy » en 2016, sélectionné notamment à Visions du Réel. Son premier long métrage « Petit Samedi » a été présenté à la Berlinale Forum en février 2020.

CE QU'EN DIT LA PRESSE

CAHIERS DU CINÉMA

Derrière son image placide, dans un geste d’une grande douceur, Petit samedi pose le doigt sur cette fêlure par laquelle la banalité d’une vie touche parfois au tragique.

 

LES FICHES CINÉMA

Un documentaire touchant, qui livre une réflexion profonde sur l’addiction, à travers les paradoxes d’une relation mère/fils.

 

TÉLÉRAMA

De leurs conversations déchirantes, on retient la lucidité et la résignation — Damien n’imagine pas vraiment être sevré un jour. « Si je t’avais mis à la porte, tu t’en serais mieux sorti ? », l’interroge Ysma. Réponse du fils : « Ou pas. »

 

L’OBS

La jeune réalisatrice – dont la belle première fiction, « Il pleut dans la maison », vient d’être présentée à la Semaine de la Critique à Cannes – déploie avec talent les outils du cinéma pour faire entendre les silences pudiques et capter les lourds regards désemparés.

 

LE MONDE

Ce portrait pudique montre la force d’une attache filiale qui revient au galop malgré les disparitions soudaines du fils et le regard des autres sur celui qu’on appelle « petit Samedi » (Samedi est son nom de famille).

 

PREMIÈRE

Afin de mieux exprimer cette douleur sourde, Paloma Sernon-Daï fait le choix d’un dispositif fixe avec de longues séquences filmées en plans larges où rien ne se dit, mais où tout est signifié. La pudeur de la mise en scène rend dès lors le film plus beau et involontairement plus intime.

LISTE TECHNIQUE

Avec : Damien Samedi et Ysma Sermon- Daï
Réalisation : Paloma Sermon- Daï
Image : Frédéric Noirhomme
Son : Thomas Grimm-Landsberg
Montage : Lenka Fillnerova
Montage son : Thomas Grimm-Landsberg
Mixage : Aline Gavroyl
Étalonnage : Chiara Pontuali

HORAIRES DU 7 AU 13 JUIN

Tous les jours (sauf Lundi) : 22h20
Mercredi, Vendredi, Dimanche, Mardi : 13h30
Jeudi, Samedi, Lundi : 16h50
Vendredi : 18h50