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SEBASTIAN

Fiction / Royaume-Uni

Max, un aspirant écrivain de 25 ans, mène habilement son chemin vers le succès dans les sphères culturelles de Londres. La nuit, il s’adonne à une toute autre activité : il vend ses charmes auprès d’hommes plus âgés sur des sites d’escorting sous le pseudonyme de Sebastian. Il décide d’utiliser cette expérience pour nourrir son premier roman. Tandis que Max s’efforce de maintenir un fragile équilibre dans sa double-vie, il doit comprendre si Sebastian n’est réellement qu’un avatar pour obtenir la plus grande authenticité dans son écriture, ou s’il se révèle être plus que ça.

Année

2024

RÉALISATION

Mikko MÄKELÄ

SCENARIO

Mikko MÄKELÄ

AVEC

Ruaridh MOLLICA, Hiftu QUASEM, Jonathan HYDE

FICHE TECHNIQUE

1h51 - Couleur - Dolby Digital 5.1

DATE DE SORTIE

9 Avril 2025

HORAIRES DU 23 AU 29 AVRIL 2025

Mer 23 • Sam 26 : 22h05


Ven 25 • Mar 29 : 12h10


Lun 28 : 22h00

HORAIRES DU 30 AVRIL AU 6 MAI 2025

SAM 3 • DIM 4 : 21h50

BIOGRAPHIE DU RÉALISATEUR

Mikko Mäkelä est un scénariste/réalisateur finno-britannique vivant à Londres, décrit par IndieWire comme un cinéaste LGBTQ en pleine ascension.

Son premier long métrage Entre les Roseaux a été projeté dans près de 100 festivals à travers le monde, y compris au BFI de Londres, le Göteborg Film Festival, le Seattle International Film Festival ou Frameline à San Francisco. Son deuxième long métrage, Sebastian, a eu sa première mondiale à Sundance en compétition internationale. Mikko Mäkelä a participé à la formation Berlinale Talents ainsi qu’au programme BIFA Springboard sponsorisé par Netflix. Il est le co-fondateur de Bêtes Sauvages et travaille également comme producteur aux côtés de son partenaire James Watson. 

ENTRETIEN AVEC LE RÉALISATEUR

Parlez-nous des origines de Sebastian. Comment l’idée du film est-elle née ?

 

Je suis allé à Londres après mon diplôme des Beaux-Arts, et en découvrant la scène queer de la ville, j’ai commencé à remarquer un nombre croissant de jeunes hommes gays, mes pairs, qui vendaient leurs charmes. Ils n’avaient rien des stéréotypes auxquels on associe les escorts , c’étaient des étudiants et des jeunes diplômés, des gens qui essaient de percer dans le milieu artistique, mais qui peinent à joindre les deux bouts. Facilitée par les applications de rencontre et les sites de services d’escorts, certains acceptaient occasionnellement une proposition payée sur Grindr, tandis que d’autres s’y adonnaient à temps plein, marketant leurs services en ligne sans honte ou peur de la stigmatisation. 

 

Pour beaucoup, le travail du sexe semblait devenir juste ne option acceptable, de plus en plus normalisée, un petit boulot comme les autres, au lieu d’être perçu comme un dernier recours comme cela a parfois été le cas. Je voulais créer le portrait d’un personnage pour qui le commerce du sexe serait un choix et non quelque chose de subi – un jeune homme avec de nombreux de nombreuses autres possibilités, mais qui est néanmoins attiré par le travail du sexe – et spécifiquement quelqu’un qui exerce ce travail dans le contexte actuel de l’Internet et des applications, se vend via un personnage en ligne. Mais je voulais aussi lier cela à une réflexion sur la nature même de la narration, et dresser le portrait d’un jeune artiste en devenir, qui cherche à se faire une place dans le milieu littéraire. L’histoire de Max est devenue un moyen pour moi de porter mon regard sur mon propre processus créatif, d’examiner et de réfléchir à la relation entre l’expérience vécue et la production créative : explorer non seulement comment nous façonnons les récits que nous choisissons de raconter, mais surtout, comment ces récits finissent par nous façonner.

 

Comment s’est passé le processus de casting pour le rôle de Max, et qu’est-ce qui vous a convaincu que Ruaridh Mollica était la bonne personne pour ce rôle ?

 

Dès le début, je savais que je voulais un acteur peu connu pour ce rôle. Le film est une histoire de découverte de soi – la relation la plus significative étant celle entre Max et Sebastian – et je voulais que le public vive ce même voyage de découverte de Max à l’écran, sans le bagage de personnages joués précédemment. En travaillant avec le directeur de casting Martin Ware, nous avons commencé une recherche de talents émergents au Royaume-Uni, en passant par plusieurs sessions de casting. Mais dès que j’ai vu l’enregistrement de Ruaridh, il m’a frappé par son intensité. Il y a une audace chez Ruaridh qui ressort à certains moments, combinée à un contrôle et une précision qui transcrivent parfaitement la dualité de Max / Sebastian. Max est un personnage très intérieur, avec une façade généralement contrôlée, et Ruaridh est un acteur si précis qui peut transmettre les moindres changements de pensée et d’émotion avec les plus petits gestes. Je suis un réalisateur très axé sur la performance, et je savais que je devais travailler avec quelqu’un capable de délivrer une performance avec la subtilité que cela implique.

 

Le film évoque le travail du sexe de façon décomplexée, explorant la gamme d’émotions que Max vit sans tomber dans les clichés. Max parle même de ne pas vouloir raconter « une histoire triste » dans son livre. Comment avez-vous abordé cet équilibre dans l’écriture du film ?

 

Beaucoup de représentations antérieures de la prostitution masculine se sont concentrées sur un aspect traumatique – soit comme point de départ pour se lancer, soit comme conséquence inévitable – et c’est quelque chose que je  voulais éviter absolument. Bien qu’il existe un système problématique d’exploitation dans le travail du sexe, cela ne devrait pas définir cette activité dans son ensemble. Le fait est qu’il existe aussi de nombreux travailleurs du sexe heureux et épanouis qui aiment ce qu’ils font et sont bien rémunérés pour cela. Plusieurs fois durant le développement, on m’a parlé de la « blessure » de Max. Peut-être un sens fragile de l’estime de soi (mais quel jeune de 20 ans n’y est pas confronté ?), il était essentiel pour moi de suggérer un certain soutien et même un filet de sécurité derrière lui, ainsi que les attentes assez traditionnelles de sa famille quant à sa carrière et son chemin de vie. C’est dans ce contexte que l’attrait transgressif de la prostitution pour Max peut être compris – le plaisir d’explorer le tabou, l’interdit. Les personnes queer semblent particulièrement sensibles aux aspects de « bonne » et « mauvaise » représentation, ce qui suggère parfois que les personnages ne doivent pas subir de souffrance ou de difficultés ; il existe un véritable mouvement du public pour les « histoires queer heureuses ». Chercher à peindre un portrait sans jugement ne signifie pas glamouriser ni éviter délibérément de montrer des aspects 

 

négatifs ou les dangers, et mon objectif a toujours été que le film soit franc et honnête dans son traitement de la prostitution. Bien sûr, il y a des situations potentiellement dangereuses et des risques, mais dans bien des cas, c’est l’écriture du roman qui pousse Max à s’y confronter. Il passe de l’hésitation à la mise en place d’un système, puis à la perte de contrôle – mais ses plus grandes difficultés proviennent de sa double vie, plutôt que d’une négativité inhérente au travail du sexe lui-même. Peu importe ce que Max vit, il ne se voit pas comme une victime.

 

Vous êtes passé de la Finlande à Londres pour vos études, et Max est originaire d’Édimbourg installé à Londres. Dans quelle mesure votre propre expérience de la vie queer à Londres a-t-elle influencé le film ? 

 

Bien que l’histoire soit fictive, le film explore et joue avec l’idée d’autofiction, posant plusieurs questions sur la relation entre la vie d’un auteur et son œuvre. Bien sûr je me suis inspiré de mes propres expériences : j’ai aussi été un free-lance d’une vingtaine d’années à Londres, vivant à Hackney, sortant au Dalston Superstore ou à The Glory, essayant de percer dans cette ville et trouver ma voie en tant qu’artiste, ressentant la précarité des petits boulots ainsi que la pression de réussir rapidement. Il y a certains endroits à Londres qui m’ont beaucoup marqué, et j’étais très désireux de capturer l’ambiance et le style de vie de cette ville. Mais même lorsque l’on commence d’un point de vue proche de soi, très vite on doit laisser les personnages vivre leurs propres vies et permettre à l’auteur de faire un voyage avec eux qui est avant tout fictif et quelque part séparé de soi-même et de ses propres expériences.

 

La relation entre la vie d’un écrivain et son œuvre est un thème fréquemment exploré, et il y a eu une montée de l’autofiction chez les jeunes écrivains émergents. Pouvez-vous nous parler de la relation entre authenticité et expérience dans la narration?

 

C’est véritablement à double tranchant : d’un côté on accorde beaucoup d’importance à l’authenticité, aux histoires vraies et autobiographiques, mais d’autre part, la créativité doit aussi s’appuyer sur l’imagination. Bien que Max adhère plutôt à cette première idée, mon but n’est pas d’argumenter pour l’un ou l’autre côté, mais plutôt d’examiner l’autofiction comme une sorte de mode de vie ; les répercussions sur sa vie personnelle et que tout cela devient tellement entrelacé avec son art qu’il semble impossible de séparer les deux , et qu’on est autant observateur qu’acteur de sa propre existence. Dans le domaine du cinéma, Almodóvar a dit que « la réalité quotidienne est simplement là pour fournir du matériel à son prochain film », et Mia Hansen-Løve a suggéré qu’elle ne peut plus distinguer ses vrais souvenirs des récits cinématographiques de ces événements qui les ont remplacés. La vie d’un auteur se transforme donc en « histoire » tout en étant en même temps une reproduction de l’histoire en elle-même.

 

Votre premier long-métrage, Entre les roseaux, est également une représentation très franche et honnête de la sexualité gay. En tant que réalisateur, pourquoi est-il important pour vous de montrer ces moments d’intimité à l’écran ?

 

Il y a quelque chose dans le fait de trouver l’intimité dans et autour des rencontres sexuelles qui me fascine lorsque je les dépeins. Je pense que le sexe, en tant qu’outil de communication, est certainement sous-estimé au cinéma. Pourtant, pour beaucoup de personnes (LGBT ou hétérosexuelles), le sexe est un mode de communication, une manière de se connecter au monde autour de nous, mais aussi un mode d’expression – et c’est définitivement un aspect que je cherche à mettre en avant dans mon travail. Une grande partie de l’intimité peut exister dans et autour des rencontres sexuelles éphémères, mais je ne pense pas que cela devrait les dévaloriser. Il semble y avoir une échelle morale concernant la durée d’une relation intime et comment elle devrait être considérée.

 

Pouvez-vous nous parler du style visuel du film ?

 

Le postulat de départ était de réaliser un portrait intime, au plus près des personnages, donc je savais dès le début que je voulais suivre les journées et les nuits de Max avec des plans serrés qui capturent les émotions et créer une connexion immédiate avec le personnage. J’adore étudier le visage avec la caméra et je tends aussi à privilégier les gros plans pour valoriser la performance de l’acteur. Filmer Max seul dans les moments plus calmes de solitude était aussi très important pour moi, que ce soit en l’observant dans sa chambre ou lors de ses trajets à travers la ville pour saisir véritablement l’atmosphère de son quotidien. Mais je voulais aussi ponctuer ce sentiment de proximité avec quelques cadrages plus larges afin d’ancrer Max dans la réalité physique des différents environnements dans lesquels il évolue.

 

Le film fait référence à plusieurs oeuvres dont À Nos Amours de Maurice Pialat. Pouvez-vous parler un peu de vos influences en tant que cinéaste, tant cinématographiques que littéraires ?

 

En termes de références littéraire d’auto-fiction queer en lien avec l’écriture de Max, j’avais en tête des figures comme Bret Easton Ellis, Cyril Collard ou Jean Genet – comment chacun d’eux a intégré sa propre vie dans son travail, avec quelqu’un comme Genet en particulier qui a transformé son histoire personnelle en une sorte d’œuvre d’art transgressive. Je pensais aussi à comment Max pourrait être inspiré à modeler sa vie et sa pratique artistique inspirées par des icônes littéraires (comme Cyril Collard qui, dans une certaine mesure, s’est inspiré de Genet et l’a imité). 

 

Au-delà de des écrivains homosexuels, *The Golden Notebook* de Doris Lessing a aussi été une œuvre influente pour moi en ce qui concerne la réflexion sur l’auto-fiction et la méta-fiction, dans la manière dont elle expose et ouvre à la discussion les processus de fictionnalisation et la simple mise en mots de la vie d’un écrivain.

 

En ce qui concerne les films, beaucoup de mes films préférés, qui ont pu servir de références pour Sebastian viennent du cinéma français : en particulier les œuvres de François Ozon et Olivier Assayas, qui travaillent tous deux avec des méta-récits, réfléchissant constamment à la narration et à la création artistique et, pour Assayas en particulier, aux systèmes commerciaux dans lesquels cette créativité prend place, comme dans Sils Maria et Doubles Vies. Le regard franc d’Ozon sur la sexualité, ainsi que l’idée d’un « cinéma du corps » au sens large, ont aussi été une source d’inspiration. J’ai vu A Nos Amours de Pialat pour la première fois au tout début du processus d’écriture de Sebastian, et cela m’a inspiré dans la manière de dépeindre un personnage comme celui de Max. 

 

Il y avait comme un parallèle avec le film que je réalisais, dans la manière dont Suzanne reste légèrement opaque pour le public, mais est dans un processus de recherche d’elle-même en tant que jeune femme, découvrant sa sexualité et apprenant à se comprendre à travers elle.

Vous démarrez votre film par un extrait de journal télévisé en anglais, relatant une attaque de drones en Somalie. Votre intention était-elle de nous amener à basculer consciemment du point de vue anonyme des médias sur un pays au « gros plan » qu’offre une histoire individuelle ?

 

La vidéo vient d’un bulletin d’informations de la chaîne britannique Channel 4. L’idée était de commencer le film avec la perception occidentale, pour faire ressentir au public ce qui est d’ordinaire montré de cette région du monde. Je voulais aussi montrer comment certains événements, comme l’attaque de drones dans ce cas, sont présentés avec un sensationnalisme qui n’a rien à voir avec la réalité. Dans le film, on voit la situation telle qu’elle est vraiment : il s’agit de gens comme les autres, et ces frappes de drones sont un facteur avec lequel ils doivent composer dans leur vie quotidienne.

 

Quelle relation avez-vous avec la Somalie  ? Était-ce important pour vous de faire le film là-bas ?

 

Je suis né et j’ai grandi en Somalie. Je tenais tout particulièrement à y tourner mon film et le projet n’aurait pas vu le jour si cela n’avait pas été possible. Au-delà de tout le reste, parce que c’est là que vivent les personnes avec qui j’ai travaillé sur mes deux derniers courts-métrages – WILL MY PARENTS COME TO SEE ME et LIFE ON THE HORN.

 

L’action se déroule dans un village baptisé Paradis. Quel a été votre processus de réflexion pour arriver à ce nom ambigu ?

 

Pour moi, le titre du film LE VILLAGE AUX PORTES DU PARADIS fonctionne sur deux niveaux. D’un côté, on a ce village au bord de la mer, dans un lieu magnifique, et on a donc l’impression qu’on est « aux portes du paradis ». Il y a des coins fabuleux en Somalie, avec de splendides plages sauvages. D’un autre côté, le titre peut aussi représenter la Somalie elle-même, un pays au potentiel énorme, avec le plus grand littoral d’Afrique, l’océan Indien d’un côté et le golfe d’Aden de l’autre, et moins de 15 millions d’habitants. Malheureusement, le pays est miné par les problèmes, qui sont autant le fait de sa population que de forces extérieures. Pour moi, la Somalie est réellement un « endroit aux portes du paradis » : c’est une sorte de paradis en puissance, mais pour d’innombrables raisons, ce potentiel n’arrive pas à se concrétiser.

 

Votre protagoniste masculin, Mamargade, est très émouvant, car tous ses ennuis viennent de sa volonté d’aider autrui. Qu’est-ce qui vous a influencé dans l’écriture de ce protagoniste et dans la configuration générale des personnages ?

 

L’idée de départ était de raconter les histoires d’une galerie de personnages en Somalie. Leur personnalité et leur évolution, tout cela s’est écrit à l’instinct. Évidemment, c’était clair pour moi dès le début que, même si j’inventais quelque chose, il fallait garder mes personnages au plus près de la réalité. La seule chose sur laquelle je refusais de transiger, c’était de les dépeindre comme des victimes. Malgré tous les obstacles de leur vie quotidienne, les gens que je mets en scène n’abandonnent jamais  ; au contraire, ils trouvent le moyen de contourner ou de débloquer une situation. Mamargade ne réfléchit pas vraiment aux conséquences de ses actes. C’est ce qui le rend aussi humain. Il ne dit jamais « non », et parfois, ça joue contre lui. Tous les personnages ont une chose en commun : ils se serrent les coudes. Cette cohésion est aussi la raison pour laquelle les habitants de Somalie ont tenu malgré les épreuves 

 

Quand les personnages du film donnent leur nom, ils annoncent systématiquement le nom du clan auquel ils appartiennent. On remarque aussi que la famille représentée n’est pas la famille nucléaire habituelle.Le thème principal du film était-il la «  famille  » de façon plus générale ?

 

Ce qui m’intéressait n’était pas forcément ce qu’on entend d’habitude quand on parle de «  famille  » mais, dans un sens plus large, ce qui constitue les caractéristiques d’une famille. Les villageois s’aident et se soutiennent quand c’est nécessaire. Pendant longtemps, il n’y a pas eu de gouvernement en exercice ni de protection de l’État. La seule raison pour laquelle ces gens ont survécu, c’est le système de clans. Qui est, quelque part, une famille.

 

Bien qu’il n’ait pas un sou en poche, Mamargade investit dans l’éducation de son fils. Dans une scène, il creuse une tombe pour une femme qui a perdu sa fille et elle lui dit : « Ça ne rime à rien d’avoir des enfants ». Votre histoire semble refuser cette affirmation. Le film nous dit-il l’importance qu’une société ait confiance en l’avenir ?

 

Ce que je veux souligner, c’est qu’il n’y a qu’ensemble qu’on peut avancer. J’ai aussi à cœur de montrer que ces personnages restent optimistes. Ils n’ont pas le choix. Pour moi, ce n’est pas une décision consciente, c’est simplement qu’ils n’ont pas le luxe de rêver à un avenir meilleur. Chaque décision doit être prise le jour même, ou le lendemain au plus tard. Mamargade est certain de vouloir une vie meilleure pour Cigaal, son enfant. Mais il ne décide pas de l’envoyer au pensionnat tout de suite, il y réfléchit. Puis il rencontre cette femme qui a perdu sa fille dans une attaque de drones et parle avec elle. Tout cela vient peser dans son choix. Je trouve très humain de sa part que son objectif – tout mettre en œuvre pour assurer l’avenir de son fils par l’éducation – ne suffise pas ; il a encore besoin d’un encouragement extérieur D’ailleurs, il n’est pas complètement certain d’agir au mieux. Ce n’est pas un projet au long terme, il doit simplement décider ce qui vaut mieux, ce qui compte à cet instant précis. Cela marchera – ou pas.

 

Sur quoi vouliez-vous insister dans la représentation d’Araweelo, le personnage féminin principal ?

 

Je n’ai pas l’impression que le choix d’en faire un personnage féminin ou masculin se soit fait de façon très consciente. Je tenais à avoir des personnages très variés. Araweelo aurait pu être Mamargade, d’une certaine façon. Quand j’ai terminé le scénario, j’ai même hésité à intervertir leurs rôles. C’est très intéressant, quand on a écrit un scénario ou un traitement, de se demander ce qui arriverait si on inversait les personnages masculins et féminins. Pour moi, c’est plutôt Araweelo l’héroïne du film. Les spectateurs s’imaginent qu’on raconte son histoire à lui… et en fait, c’est son histoire à elle. C’est la seule qui accomplit ce qu’elle veut. D’ailleurs, ce qu’elle cherche est là depuis le début, mais elle ne le voit pas. Elle le cherche ailleurs, et puis, par hasard, elle se rend compte qu’elle a déjà tout ce qu’il lui faut. Mais elle ne peut en prendre conscience que dans l’adversité.

 

Bien qu’il s’agisse d’un film réaliste, il y a des moments de fantaisie : je pense à la brève séquence onirique, ou encore au masque que Cigaal porte sur la tête. Que cherchiez-vous à faire ?

 

Ces moments découlent de la situation. La séquence onirique a lieu parce que Mamargade mâche des feuilles de khat pour essayer d’oublier sa culpabilité envers son enfant. Dans le rêve, on voit son fils en colère contre lui, et lui-même en train d’être jugé. La scène naît des pensées ou de l’inconscient de Mamargade, mais je voulais aussi montrer de façon tangible la légèreté des villageois, y compris dans les situations difficiles. Je voulais montrer qu’ils ne se prennent pas trop au sérieux, je n’avais pas envie d’un film pesant. C’est ça, pour moi, l’humanité. Avoir des problèmes, ça ne vous empêche pas de vous amuser, de raconter des blagues, de mentir, de jouer, de lézarder à la plage. Les gens ont de nombreuses facettes ; ils se racontent des histoires, ils rêvent.

 

Comment s’est déroulé le tournage en Somalie ?

 

J’ai compris tout de suite que ça prendrait plus longtemps qu’un tournage habituel. Nous voulions une équipe locale, tout en étant conscients des défis que ça poserait ; comme il n’existe pas d’infrastructures cinématographiques en Somalie, il n’y a que très peu de professionnels qui ont les compétences nécessaires. Quelques personnes s’étaient un peu fait la main sur le tournage de mes courts-métrages. Je considère d’ailleurs que beaucoup de métiers d’un plateau peuvent s’apprendre sur le tas, pour peu qu’on y mette du temps, de la patience et de la motivation. Pour les départements qui exigeaient un savoir-faire technique, on a recruté dans les pays voisins : l’équipe image et lumière en Égypte, l’équipe son au Kenya et en Ouganda. Par chance, les habitants des lieux de tournage nous ont beaucoup aidés pour trouver des décors ou obtenir des permis. On a commencé le tournage sans avoir décidé de la totalité des lieux, et il y a eu des jours où, sitôt nos scènes dans la boîte, on sautait en voiture pour aller faire du repérage. On avait conçu le plan de tournage pour se donner assez de temps pour ça

 

Comment avez-vous trouvé vos acteurs ? Certains sont-ils professionnels ?

 

En dehors d’une personne qui a joué dans mes courts￾métrages, ce sont tous des acteurs non professionnels qui se trouvaient devant la caméra pour la première fois. À l’exception de la comédienne qui interprète Araweelo, on a surtout accosté les gens dans la rue pour leur proposer de participer. Mohamed, notre directeur de casting, a fait un boulot du tonnerre. Je passais 10 minutes à simplement observer les candidats potentiels. Ensuite, je leur parlais pendant plus d’une heure, en leur posant des questions, et je les regardais dans les yeux pour voir combien de temps on pouvait tenir et si on arrivait à mieux se comprendre et à établir un lien de confiance. Et ça a marché. C’était toute la préparation qu’il nous fallait. Les scènes et les répliques étaient déjà écrites. Pendant que l’équipe installait l’éclairage, on répétait les dialogues et ensuite, on faisait un essai. Le travail avec les comédiens a été facile. On ne faisait pas beaucoup de prises, disons 4 ou 5 en moyenne. Quand on devait retourner une scène, c’était plutôt pour des questions de son, à cause du vent.

 

Le film a une grande puissance visuelle. Vous avez collaboré avec le directeur de la photographie Mostafa el-Kashef. Comment avez-vous orienté vos compositions visuelles ?

 

Mostafa est un chef opérateur extrêmement doué, avec un œil très sûr pour les détails. Par ailleurs, c’est un type en or. Le film n’aurait pas été possible sans lui : il s’est engagé à venir en Somalie pour y passer plus de trois mois, ce qui l’a obligé à refuser beaucoup d’autres contrats, et il a convaincu son équipe égyptienne de le suivre : c’était une vraie marque de confiance et de loyauté. LE VILLAGE AUX PORTES DU PARADIS est son deuxième long-métrage, après de nombreux courts-métrages remarqués à l’international. On a fait connaissance au Festival du film du Caire, où nos courts étaient projetés dans la même sélection. J’ai apprécié son film et je l’ai félicité. Plus tard, on a échangé des messages en se disant qu’on aimerait bien travailler ensemble. Je voulais l’embaucher pour mon court-métrage WILL MY PARENTS COME TO SEE ME. Tout était organisé, il est allé à l’aéroport, et là, les autorités égyptiennes ont refusé de le laisser embarquer pour la Somalie. Finalement, il m’a envoyé son assistant-caméraman. Alors je lui ai promis qu’on ferait mon premier long-métrage ensemble. Sur ce film, on ne passait pas des heures à tout planifier. On arrivait sur les lieux de tournage et on décidait en 10 minutes des déplacements des acteurs et de la place de la caméra. Le reste, comme la couleur des tissus, était déjà prêt. Je souhaitais à tout prix éviter les stéréotypes. Les films tournés en Afrique sont souvent dominés par des tons jaunes, des tons chair, et beaucoup de vert, et je voulais éviter tout ça. Très souvent, on ne changeait rien aux lieux où on tournait, parce qu’ils étaient parfaits tels quels. On se concentrait sur l’emplacement de la caméra, le choix des objectifs et l’agencement de la scène. Avec Mostafa, on a mis un peu de temps à accorder nos violons, mais au bout d’une semaine, on avait seulement besoin de se dire les tailles d’objectifs pour se comprendre. D’ailleurs, on avait peu de temps pour palabrer ou faire des essais. C’était sans doute notre chance.

 

Entretien réalisé par Karin Schiefer / AUSTRIAN FILMS en mai 2024

CE QU'EN DIT LA PRESSE

LES FICHES DU CINÉMA

Tout en délicatesse et malgré la brutalité de son propos, le film interroge des thématiques familières, telles que l’authenticité en littérature et la relation complexe entre l’auteur et son double.

 

aVoir-aLire.com

Le cinéma de Mikko Mäkelä gagne en maturité avec ce scénario nuancé et troublant, double mise en abyme autour des thèmes de la prostitution et de la littérature. Une bonne surprise.