Quelle a été la participation de Mr Malick à cette entreprise et en quoi l’a-t-elle influencée ?
Tout a commencé par une conversation entre Mr Malick et moi au cours de la postproduction de « The Tree of Life ». Avant même qu’il existe un synopsis ou un scenario, nous nous étions entendus sur les éléments de base nécessaires à la production d’un film et sur la façon d’y parvenir ; au plan de la distribution, du tournage, des décors, tout ce genre de questions fondamentales sur lesquelles il avait, à l’évidence, beaucoup plus d’expérience que moi et dont il continue à s’occuper. Il n’a pas pu collaborer directement à la production ayant lui-même deux films en chantier la même année, dont : outre « The Knight of Cups », Malick a tourné un film sur la scène musicale de Austin, avec Rooney Mara et Michael Fassbender.
Quelle influence « Le Nouveau Monde » a-t-il eu sur ce film?
Il paraît que c’est ce film que les gens ont cité après avoir vu « Sous l’aile des anges ». Quand on parle des films de Malick, c’est la comparaison qui vient à l’esprit, rythmiquement parlant. « Le Nouveau Monde » a été très important pour moi parce que c’est le premier long métrage sur lequel j’ai travaillé, en 2005, et qui m’a permis de rencontrer Terry. Cela a été mon apprentissage du cinéma, pour ainsi dire. Je trouve que c’est un chef-d’oeuvre et, avec le temps, il apparaît encore plus beau.
Est-ce par hasard ou la suite d’une démarche personnelle que vous avez travaillé avec Malick?
Je dirais que c’était le hasard parce qu’à cette époque, je vivais en Virginie où le tournage avait lieu. C’est alors que j’ai été engagé pour travailler dans la production grâce à Sarah Green que j’avais connue par un ami commun.
D’un point de vue stylistique « Sous l’aile des anges » donne presque l’impression, au début, qu’on nous lit une histoire.
C’est en effet une très belle façon de le définir. On doit avoir l’impression d’assister à une conversation au coin du feu, dans le sens où ce vieux narrateur, étant le cousin de Lincoln, est à même de fournir un témoignage de première main sur la vie intime de cette famille, ainsi que des anecdotes que lui seul pouvait connaître. Par ailleurs, il n’est pas un narrateur très objectif en cela qu’il introduit de la malice et de l’humour dans le choix de ce dont il décide de parler ou non. Tout est basé sur l’entretien réalisé au tournant du XXe siècle par Eleanor Atkinson avec Dennis Hanks, le cousin de Lincoln, au cours duquel celui-ci avait longuement parlé de sa vie et, en particulier, de sa jeunesse dans l’Indiana*.
*Souvenirs du cousin et camarade de jeu de Lincoln’ ont été publiés par la journaliste en 1908 sous le titre Lincoln’s Boyhood, Dennis Hanks.
Pourquoi avez-vous été tellement captivé? À cause de l’entretien ou de l’époque?
L’époque, incontestablement, mais cet entretien, on peut le lire. On rit tout haut en le lisant. On a l’impression de lire « Huckleberry Finn » ou « True Grit », des histoires où le narrateur a une voix vraiment particulière et parle de façon très rythmée. Il y a également un côté doux amer dans son « Appalachian attitude » ; il considère une chose avec humour et l’instant d’après, il se met à pleurer au souvenir de ce qu’il a perdu. Il passe d’un extrême à l’autre au plan des sentiments.
Est-ce que cela correspond à votre vision du monde?
Ah oui, j’aimerais bien. Selon moi, il faut s’efforcer de regarder le monde de cette manière, de trouver de l’humour dans le désespoir et la souffrance.
Ce film a été tourné parmi une multitude d’arbres et pourtant il est en noir et blanc.
Vous trouvez que les arbres auraient dû être en couleur? Moi, j’estime que le noir et blanc représentait l’austérité. C’est une sorte d’époque idyllique quand on songe à la vie des pionniers. Effacer le romanesque et créer une esthétique plus sévère a contribué à produire une immédiateté, et le noir et blanc engendre de l’abstraction où les choses paraissent plus iconiques, plus rudes, on supprime toute activité, tout bruit, on peut regarder les choses telles qu’elles sont dans leur essence. Donc, assurément, rater un automne new-yorkais a été douloureux mais je ne changerais ça pour rien au monde parce que j’adore l’immédiateté que lui donne la palette monochrome.
Qu’est-ce qui vous a poussé à vouloir tourner en forêt? Quelque chose en lien avec votre éducation?
Je ne dirais pas ça. Je ne suis pas ce qu’on appelle une personne de plein air. Je crois que l’histoire l’exigeait et aussi l’iconographie typique de ces contrées reculées, avec ces arbres imposants, ces hautes canopées, ces alignements de feuillus. Pour moi, quand on fait un film, l’objectif final est de découvrir en quoi consistent votre imagerie, vos icônes, comment elles peuvent raconter une histoire, plutôt que les dialogues. Il me semble que cette forêt intacte et le fait que le jeune Lincoln paraisse si petit en comparaison engendre une superbe histoire visuelle, dans ce film.
Je suppose que l’idée était d’évoquer la naissance de l’Amérique: vous montrez le drapeau, le comportement des enfants, etc. Etant donné la façon dont vous avez écrit ce film, est-ce ainsi que vous avez orienté le récit?
Oui. Il y a quelque chose d’intéressant dans le fait de dire que « Le Nouveau Monde » parle de la naissance de l’Amérique parce qu’il y a une citation que j’aime bien et qui m’est restée dans la tête : « La Révolution américaine est la conception et la guerre de Sécession est la naissance. » C’est là que l’Amérique, après les effets de la guerre civile, atteint son objectif initial, à savoir que tous les hommes étant nés égaux, ils sont dotés par notre Créateur de droits inaliénables. La Révolution, aussi importante et merveilleuse qu’elle ait été, n’a pas réalisé ces objectifs. Elle a laissé le serpent de l’esclavage tapi sous la table sur laquelle a été signée la Déclaration d’Indépendance. La guerre de Sécession a été l’accomplissement de tout ce qui aurait dû se produire après la Révolution. « Le Nouveau Monde » se passe deux cents ans environ avant les évènements de mon film, mais le seul fait de parler de la naissance de l’Amérique est important.
On dit que Malick réécrit ses films jusque dans la salle de montage. Avez-vous procédé de cette façon concernant la narration?
Je pense qu’il y a toujours des changements et il faut être souple et malléable. Le film a été tourné de façon à ce qu’on ne se retrouve pas au pied du mur dans la salle de montage. Sans couverture de presse, nous nous sentions plus libres au niveau du montage. Je ne dirais pas qu’on a réécrit certaines choses mais on a laissé le film prendre sa propre forme, comme un enfant, en faire à sa tête et grandir comme il le jugeait bon, suivre un processus plus naturel.
En grandissant, on est davantage porté à aller voir des films de genre. Comment en êtes-vous arrivé à préférer le style de cinéma de Malick?
Je ne dirais pas que, plus jeune, le style des films que j’allais voir était si différent de celui de ce film, parce que j’ai toujours aimé les films uniques. La Nouvelle Vague française… Après tout, les jump cut n’ont pas commencé avec « Le Nouveau Monde », mais dans les années 1960, avec Godard. La profondeur de champ (deep focus) était là avec Welles et Kubrick, et la focalisation sur la nature dans Pather Panchali ou dans les films de Mizoguchi. Toutes ces choses que nous croyons devoir à Malick existaient auparavant. En grandissant j’ai été influencé par tant de films. L’austérité dans le noir et blanc, c’est Bresson.
Interview d’A.J. Edwards par Kaleem Aftab.
Remerciements à Filmmaker Magazine.