Fiction / Suisse, Argentine, Chili, France

ZAHORÍ

La steppe de Patagonie est balayée par un vent gris… Mora veut devenir « gaucho », chevauchant les plaines sur sa monture. Elle se rebelle contre l’école et s’affirme contre ses parents, deux suisses italiens qui tentent de se construire une nouvelle vie dans cet ailleurs, sans bien y parvenir. Un lundi matin alors qu’elle doit retourner à l’école, accompagnée de son petit frère Himeko, Mora va se perdre loin dans la steppe pour aider son seul ami Nazareno, un vieux gaucho Mapuche qui a perdu sa jument, Zahorí.

ANNÉE
RÉALISATION
SCENARIO
AVEC
FICHE TECHNIQUE
DATE DE SORTIE

2021

Marí ALESSANDRINI

Marí ALESSANDRINI

Lara TORTOSA, Santos CURAPIL, Cirilo WESLEY, Sabine TIMOTEO, Pablo LIMARZI…

1h45 – Couleur – 2.39 – Dolby Digital 5.1

6 Juillet 2022

ENTRETIEN AVEC MARÍ ALESSANDRINI

Pouvez-vous nous parler de votre parcours et de la naissance du projet de Zahorí ?

 

Je suis originaire de Patagonie. La ville où j’ai grandi s’appelle Bariloche, elle se situe à la frontière entre les montagnes et la steppe. Les montagnes et les forêts représentent le visage fertile et aisé de la Patagonie, en opposition à la steppe. Quand j’étais enfant, la steppe était très difficile d’accès, encore plus qu’aujourd’hui, même s’il n’y a toujours pas beaucoup de routes pour y accéder et que tout y est délaissé par le gouvernement. Je suis allée pour la première fois dans l’internat que l’on voit dans le film pour jouer une pièce de marionnettes, je faisais alors partie d’une troupe de théâtre itinérante. A l’époque, je faisais également un peu de photographie et j’ai fait mes premiers portraits noir et blanc en prenant en photo des enfants de cet internat. Cette école isolée au milieu du désert et ces gens qui vivaient dans une réalité parallèle pourtant située si proche de chez moi m’ont vraiment impressionnée et interrogée. Depuis, j’ai continué à y aller régulièrement avec mon appareil photo, pour rendre visite aux gens, pour voir d’autres écoles, participer à leurs fêtes populaires, et explorer de nouveaux territoires possibles.

 

Mora s’inspire t-elle de vous ?

 

Partiellement. J’ai puisé dans mes souvenirs d’enfance, mon rapport à l’école, le besoin pressant que j’avais de m’échapper, le désir de liberté, d’être dehors, de vivre et d’apprendre des choses en lien avec la nature. J’ai longtemps évolué seule ou dans des bandes de garçons où je me retrouvais être la seule fille. Le chemin que j’empruntais pour aller à l’école est l’endroit où j’estime avoir réellement grandi.
Mais le film est aussi nourri par ma vie d’adulte. Il y a une part de moi chez les parents de Mora, j’ai vécu ce défi de « construire une maison moi-même dans la nature », avec peu de moyens. J’ai expérimenté cette vie en décalage culturel, la pression et la difficulté que ce choix crée.

 

Comment s’est déroulé l’écriture de Zahorí ?

 

Je suis partie de mes souvenirs, certes, de mes expériences, mais je voulais aussi ancrer le film dans une steppe plus contemporaine. J’ai effectué plusieurs séjours sur place pour faire des recherches, j’ai réalisé deux court-métrages documentaires avec les enfants dans l’internat et Felisa, une vielle dame Mapuche. J’ai parcouru la Patagonie pour le casting, un long processus qui m’a permis de vivre avec ses habitants et faire évoluer le scénario au quotidien.
Dès le début, l’histoire que j’imaginais avait plusieurs voix : l’histoire de Mora était liée à celle de Nazareno, à la steppe, au cheval, aux parents, aux irruptions des missionnaires… ces vies parallèles et ces pauses au sein de l’histoire de Mora me semblent nécessaires pour la comprendre plus profondément et pour offrir une vision riche de la steppe, lieu qui regorge de belles excentricités.

 

Quelles sont vos influences artistiques pour ce film ?

 

Mes influences proviennent principalement de la Patagonie, mais aussi de mes différentes origines : argentine, italienne et russe. Pour Zahorí, je me suis principalement inspirée de la musique et de la littérature gaucho… sa prose, sa poésie. Il y a un minimalisme et un esprit désinvolte dans l’attitude, le chant et l’écriture gaucho (exclusivement masculine, malheureusement), que j’ai décidé de mêler à un style plus éclectique et auquel j’ai voulu donner une voix « féminine et gaucha ». Quant au prénom «Nazareno» c’est une référence au film «Nazareno cruz y el lobo» (1975) de Leonardo Fabio et d’un cheval que je montais quand j’étais enfant.

 

Et en terme de cinéma, certains éléments peuvent faire penser aux premiers films de Kiarostami ?

 

Kiarostami est en effet un réalisateur que j’apprécie énormément et qui quelque part m’encourage, me stimule. La relation artistique que je ressens avec lui est peut-être liée au désert, à ses personnages solitaires, à leurs conditions de vie minimalistes ; et sans doute je me retrouve aussi dans la narration de ses premiers films, proche de la fable.
Je n’ai volontairement pas d’éléments représentatifs de son influence dans mon film, ce sont peut-être certaines coïncidences spirituelles.

 

Vous avez fait le choix de filmer en scope, pourquoi ? Est-ce un hommage au western ? Mais un western qui semble résolument féministe si vous assumez l’hommage…

 

Avec le format scope, il y a tout de suite un espace pour mettre en scène la relation des humains au paysage, teintée d’une dimension mythique qui me semble essentielle. Les paysages de la steppe sont omniprésents dans Zahorí, toujours liés à l’intime des personnages, leurs rapports sociaux, leurs émotions… Certains vivent en harmonie avec cet environnement, d’autres y restent étrangers – les missionnaires – ou en conflit – les parents. Le scope est un format majeur du western, mais ce genre a beaucoup mis en scène la conquête d’un territoire par des hommes blancs, généralement à travers l’extinction, la soumission de peuples autochtones, l’oppression des femmes ou par la domestication, l’esclavage des chevaux. J’ai imaginé Zahorí comme un western avec une approche plus féministe et anticoloniale, oui… Mora s’émancipe de l’oppression sociale et trouve sa propre voie grâce à son amitié avec Nazareno. Elle a la force, la capacité et la volonté de s’affirmer malgré les moments difficiles à l’école et les rapports compliqués avec ses parents. On pourrait dire que c’est un hommage au changement, du western classique vers un western qui lutte pour la diversité. En somme, un western à l’envers : l’amitié essentielle entre une jeune fille « occidentale » et un vieil Indien. La libération de Mora – tant dans sa relation intime à la steppe qu’à Zahorí – remplace le thème de la conquête de l’Ouest.

 

Pouvez-vous nous parler du tournage ?

 

Le tournage était un énorme défi, une épreuve d’endurance. Les conditions étaient très rudes avec le soleil, le vent, le sable… Le matériel qui s’envole et se casse. Comme je vous disais, il n’y a pas toujours de routes pour atteindre certains endroits, la steppe est assez pauvre en infrastructures. Nous avons dû traverser des rivières en 4×4, avec obligation de rouler à 30km/h pendant des heures, on perd aussi beaucoup de temps en déplacements. Il faut donc aimer ce genre d’aventure ! Nous avons tourné en pleine crise économique et la dévaluation du peso argentin chaque semaine faisait que tout coûtait toujours plus cher. Notre budget n’avait plus la même valeur au début et à la fin du tournage.

 

Comment avez-vous procédé pour faire votre casting ?

 

Pour le personnage de Nazareno, je suis allée moi-même dans la steppe faire du porte-à-porte comme les missionnaires du film (rires). J’attachais beaucoup d’importance au fait que mon acteur soit un Mapuche de la région. « Radio National » m’a aussi beaucoup aidée, en transmettant des messages à la radio comme dans le film, mais cette fois pour trouver les comédiens. Pour le rôle de Mora, je pense avoir vu une soixantaine de jeunes filles toutes originaires de Patagonie. Je cherchais surtout quelqu’un qui ressente un amour profond pour la nature, avec des caractéristiques féminines et masculines, qui soit forte physiquement et déjà un peu indépendante… Lara Tortosa avait tout ça, on la laissait seule dix minutes et on la retrouvait en haut d’un arbre en train de jouer avec un insecte. Avec Himeko c’était un processus similaire mais plus bref ; Cirilo Wesley est un garçon endurant qui a grandi dans la steppe, et qui est très créatif.

 

La steppe est un personnage à part entière qui semble imposer son rythme au film ?

 

Oui, le rythme du film correspond à cette relation très étroite entre la steppe et les émotions des personnages, une relation que j’ai imaginée dès l’écriture. La steppe est également liée à différents niveaux de réalité, de perception, à l’image du rêve de Nazareno ou de ce moment où il perd conscience. Dès lors, le rythme a été une affaire d’équilibre, entre une narration aux allures de fable et la caractérisation de situations bien concrètes et réalistes.

 

Comment avez-vous travaillé avec les comédiens non professionnels ?

 

On a beaucoup travaillé le scénario en amont, comme si nous répétions une pièce de théâtre. On a consacré un mois à travailler les scènes pour que la relation frère/soeur et Mora/Nazareno se créent. Comme il s’agit d’enfants et d’un homme Mapuche originaire de la steppe, il fallait qu’ils soient accompagnés, bien préparés, pour les habituer à la caméra notamment. Aussi, lorsque le tournage a commencé, ils avaient pu faire le plein de confiance en amont et ne craignaient plus de se tromper devant les techniciens. Ces répétitions ont aussi beaucoup aidé à créer une relation familiale.

 

Et avec Zahorí ?

 

Pour la jument, j’ai travaillé avec un dresseur qui a mis au point une méthode non violente pour dresser les chevaux, c’était important pour moi. Il a passé beaucoup de temps avec Zahorí, puis avec Zahorí et Lara afin de créer une confiance entre la jeune fille et l’animal. Un cheval fait ce qu’il veut et si on le force, il devient nerveux, or ce n’est jamais vraiment possible de faire plusieurs prises avec les animaux et nous n’avions évidemment pas les moyens financiers pour nous offrir une doublure de Zahorí. Donc on a fait d’abord instinctivement et aussi avec les moyens du bord, je suis très contente du résultat final.

LISTE ARTISTIQUE ET TECHNIQUE

Liste Artistique

Lara TORTOSA (Mora),
Santos CURAPIL (Nazareno)
Cirilo WESLEY (Himeko)
Sabine TIMOTEO (La mère)
Pablo LIMARZI (Le père)
Federico LUQUE (Oncle Steph)
Colo SUSINI (Eddy)
Carol JONES (Selva)
Francisca CASTILLO (Perla)
Michael SILVA (Le gardien de nuit)

 

Liste Technique

Réalisatrice : Marí ALESSANDRINI
Scénario : Marí ALESSANDRINI
Directeur de la photographie : Joakim CHARDONNENS
Montage : Marí ALESSANDRINI
Décors : Anna Carolina VERGARA
Costumes : Maria SOL MUÑOZ
Produit par : Juan MARISTANY, Dominga SOTOMAYOR, Valentina NOVATI,
Omar Zúñiga HIDALGO, Linda DIAZ, Nadejda MAGNENAT

 

CE QU'EN DIT LA PRESSE

LIBÉRATION

Superbe récit d’errance et d’initiation, le «western inversé» de Marí Alessandrini fait se croiser des duos incongrus et des couples impossibles dans la rude immensité de sa Patagonie natale.

 

LES FICHES DU CINÉMA

Entre missionnaires dépassés, vent entêtant et animaux totémiques, un premier film sublime, sur fond de western initiatique.

 

LE JOURNAL DU DIMANCHE

Originaire de la région, la réalisatrice rebat les cartes du western en jouant avec ses codes (format scope) au fil d’un récit d’émancipation féministe et touchant qui restitue l’atmosphère envoutante de son cadre splendide.