Quand Wong Kar wai réalise As tears go by, il est déjà crédité comme scénariste sur une douzaine de films. Mais, de son propre aveu, il est intervenu, à des degrés divers, sur plus de cinquante titres, le plus souvent sans voir son nom au générique. Après avoir commencé des études de photo, sa passion du cinéma – qu’il doit en partie à sa mère, très cinéphile – l’a emporté. D’abord assistant à la télévision, il a vite rejoint, comme ça se passe à Hong-Kong au début des années 80, un « pool » de scénaristes qui mettent leurs idées en commun et façonnent à plusieurs des films de genre qu’à l’arrivée un seul d’entre eux finit par signer. Il n’y a pas que des polars: films d’action, d’arts martiaux, voire séries B horrifiques semi-parodiques (comme The Haunted Cop shop II qui lorgne sans vergogne sur le succès de Ghostbusters), Wong Kar wai touche à tout. Il a souvent comme commanditaire le prolifique Barry Wong (1946-1992), auteur de plus de soixante scénarios dans quasiment tous les genres, et notamment de celui de À toute épreuve, de John Woo, sorti après sa mort prématurée. Parmi les scénarios signés Barry Wong, plusieurs sont de Wong Kar wai, réputé pourtant pour disparaître de longs mois avant de rendre tardivement sa copie. Car, déjà, le futur cinéaste souffre d’écrire, il a du mal avec cette étape intermédiaire, il dit devoir inventer le film en entier pour le décrire dans le scénario, et non pas l’imaginer à partir de la trace écrite… Wong Kar wai s’est aussi lié d’amitié avec un cinéaste légèrement plus âgé que lui, Patrick Tam (né en 1948), dont le premier film, The Sword (1980), un «wu xia pian » (ou « film de sabre », visible en France en dvd), fait de lui l’un des leaders de ce qu’on appelle alors la « Nouvelle vague de Hong-Kong » aux côtés d’Ann Hui ou de Tsui Hark (Wong Kar wai fera plutôt partie de la « Seconde vague »). On surnomme Patrick Tam le « Godard de Hong-Kong». Les deux amis ont l’idée d’une trilogie (« La Trilogie d’Apu rencontre Mean Streets », expliquera plus tard plus ou moins sérieusement Wong Kar wai) qui suivrait deux petits voyous à trois âges de leurs parcours criminels. Non pas des caïds, mais de petits losers.
De la troisième partie de ce projet, Patrick Tam tire son cinquième film, Final victory (1987), scénario de Wong Kar wai, avec en vedette un couple inattendu formé par Tsui Hark et Eric Tsang (qui, quinze ans plus tard, sera le truculent gangster Sam dans Infernal Affairs).
Quand le producteur Alan Tang suggère à Wong Kar wai qu’il est l’heure pour lui de faire ses premiers pas de cinéaste, ce dernier pense d’abord à un film sur un policier et une femme mystérieuse dans le quartier de Mongkok. Mais pas question, a fortiori quand Alan Tang obtient l’accord d’Andy Lau pour tenir le rôle principal, de faire autre chose qu’une histoire de gangsters.
Wong kar wai se tourne alors vers la deuxième partie de la trilogie (dont il s’inspire librement: Patrick Tam n’est pas crédité au scénario). Ironie du sort, le film garde, dans son titre cantonais, la trace du projet sur la « femme mystérieuse » : Wàngjiao kamén, soit « Carmen à Mongkok », ce qui est assez intrigant quand on voit As tears go by, mise à part la dimension tragique du film.