Dans les bidonvilles de Delhi, Kolkata et Mumbai, à Manille et au Caire, dans les quartiers pauvres du Liban, je fais l’expérience de “lignes de front” où la vie s’écoule selon une autre temporalité que celle régissant dans mon imaginaire occidentale. Il n’y a pas de plans à long-terme. Le plus difficile, ce n’est pas la pauvreté en tant que telle mais l’absence d’opportunités qui en découle. Les individus que je rencontre, notamment les jeunes, sont aussi courageux que vulnérables. Mais c’est leur intelligence et leur énergie qui me frappent. Une intelligence vive, une vivacité presque extravagante, une joie indéniable, un sens aigu de la créativité qui ne demande qu’à être nourri. Un quotidien fait d’urgences, de nombreux manques, mais qui loin de susciter la pitié, inspire et force l’admiration. La division sociale qui régit toutes nos sociétés (“Nord” comme “Sud”) n’est évidemment pas sans lien avec une certaine division narrative. Les “pauvres” sont rarement “autorisés” à s’exprimer car ils n’auraient pas la légitimité de le faire. Le film “I am the future” a justement pour vocation de leur donner la parole. Les quatre jeunes adultes au cœur de ce film ne sont ni des victimes, ni des génies extraordinaires. Pourtant ils sont bel et bien en mesure de livrer leur vision du monde qui s’avère particulièrement pertinente.
Entre documentaire et fiction, notre film pose la question de la posture de chacun des personnages face à sa propre communauté. Sans jamais condamner ou s’apitoyer, il s’agit de mettre le doigt sur les fractures, les impossibilités, les injustices avec lesquelles ils sont en prise. En définitive chacun joue son propre rôle… la frontière entre réalité et fiction se faisant de plus en plus mince. Le choix de passer par des médiums artistiques différents renforcent encore ce procédé : Dian dessine et donc fictionnalise, Soumayraa fait poser les femmes qu’elle rencontre, Mamadou écrit littéralement une histoire. Laxmi construit une comédie musicale, inspirée de son expérience personnelle.
Enfin la notion de rêve est le motif fondateur du film. Rêver c’est toujours en un sens s’échapper de la réalité brutale. Ce film porte la voix de jeunes ayant traversé (traversant encore) des situations impossibles. Or n’est-ce pas précisément le terrain privilégié de l’art que ce champ d’impossibilités ? C’est lorsqu’elle s’avère trop difficile, qu’apparaît le droit (et parfois même le devoir, dirait Chris Marker) de nier la réalité.