D’où vient l’idée de faire un film sur votre fils Anton ?
L’idée a cheminé en parallèle avec l’éclosion de son talent de peintre. J’ai trouvé fascinant que ce qui marquait sa différence dans la vie devenait une force lorsqu’il peignait. Ses perceptions particulières – son hypersensibilité aux sons, à la lumière, au mouvement, son attention aux détails, son sens du rythme, sa façon d’écouter la musique – sont en réalité très cinématographiques ! Je voulais qu’elles soient au cœur du film. Un des objectifs du film était de saisir et exploiter ces possibilités visuelles et sonores, de les transformer en expérience esthétique en les associant à ses tableaux. Tenter de voir le monde à travers les yeux d’Anton.
Quand avez-vous commencé à filmer Anton ?
Dès sa naissance, j’ai commencé à le filmer lui et notre famille. C’est arrivé presque par hasard. Un jour, un ami cinéaste m’a offert un caméscope, alors que j’étais très enceinte. Il m’a dit : « C’est le moment de commencer à filmer ! » J’étais cinéphile, mais je n’avais jamais tenu une caméra dans mes mains. Quelques rudiments sur le cadrage, le son, la stabilité de l’image… et je me suis lancée. Très vite, j’y ai pris goût. Le plaisir de filmer mon enfant et ma famille s’est progressivement mué en nécessité de filmer. Aujourd’hui, j’ai une centaine d’heures d’archives familiales. Cet ami, c’était Richard Leacock. La vie nous envoie parfois des signes.
C’est vrai, les images d’archives sont centrales dans Le voyage d’Anton…
En effet, elles constituent un des récits du film, c’est mon « carnet de bord vidéo » qui retrace les grandes étapes de la vie d’Anton. Le film mêle deux récits : l’un au présent et l’autre au passé.
Être mère et réalisatrice à la fois, est-ce que ça vous a posé problème ?
Je ne l’ai jamais vécu comme un problème, bien au contraire. J’avais le sentiment d’être la mieux placée pour raconter son histoire. Qui est aussi notre histoire. Car l’histoire d’Anton, c’est l’histoire de sa famille. J’ai d’abord trouvé ma voix, en tant qu’auteur et mère à la fois, dans l’écriture. Mon livre Le voyage d’Anton, paru en 2003, raconte l’histoire de mon fils et celle de notre famille qui se bat pour lui. Il a eu un certain succès – inattendu pour moi – qui m’a fait réaliser la résonance universelle de cette histoire intime. Vingt ans plus tard, je raconte la suite : ce film sur Anton en train d’accomplir ses premiers pas d’artiste reconnu.
Anton était-il à l’aise pendant le tournage ?
Anton a l’habitude d’être filmé, il me demande parfois de venir filmer dans son atelier. Il a adoré la présence de l’équipe de tournage. Une occasion pour lui de montrer son travail, de se faire des amis, de préparer des cafés, d’être moins seul.
Et pour vous, était-ce un défi de tourner ce film si personnel ?
C’était très certainement un défi, car c’est mon premier film en tant que réalisatrice. Et c’est un film intime dont les protagonistes sont mon fils, mon mari, ma fille, ma mère, ma famille, mes amis… Il a fallu trouver la bonne distance. Il y a eu des moments de doute, des moments douloureux, il a fallu trouver la manière de regarder de très près sans être voyeur, d’accepter d’être à l’image, de trouver ma voixoff pour faire entendre l’histoire d’Anton dans toute sa complexité. Ce fut un projet au long cours : 5 ans. J’ai eu la chance d’être bien entourée, de travailler avec une équipe de tournage et un monteur talentueux. Je le dois à Schuch Productions qui a vraiment porté le projet, puis le film, malgré les difficultés rencontrées, avec conviction et affection.
Quel est pour vous le vrai sujet du Voyage d’Anton ?
Rendre compte de l’espérance qui a jailli en nous quand son professeur d’art plastique, au centre Saint-Jean de Dieu, nous a dit : « Mais vous savez, Anton, c’est un peintre. »
Propos recueillis par Galia Loupan Marie Claire International