L’Évangile de la Révolution raconte l’histoire tragique du rêve révolutionnaire en Amérique Latine à travers la participation des chrétiens à ces luttes. Qu’est-ce qui vous a poussé à vous intéresser à ce sujet ?
Mon imaginaire politique a été profondément marqué par l’Amérique latine, où je voyage depuis mes vingt ans. Le soulèvement zapatiste de 1994 a façonné mon éducation politique comme la révolution cubaine pour d’autres générations. Je biberonnais les écrits du sous-commandant Marcos, fasciné par l’histoire révolutionnaire du continent, ce rêve fracassé par la violence des dictatures militaires. En 2002, j’ai assisté à la première élection de Lula. C’était l’âge d’or de l’alter-mondialisme. Une vague de gouvernements de gauche portait alors un espoir politique, déçu par la suite. Longtemps, un prisme anti-clérical m’a empêché de comprendre la contribution du christianisme à cet élan révolutionnaire. Élevé dans une éducation catholique conservatrice, j’ai cessé de croire en Dieu à l’âge adulte, embrassant l’idée de Marx que la religion est l’opium du peuple. De fait l’Église a légitimé le génocide indien, l’esclavage, la colonisation, les structures d’un ordre social inique encore visible aujourd’hui. Mais elle a parfois été du côté des dominés. Des millions de chrétiens se sont engagés pour la justice, non pas en dépit mais au nom de leur foi. Que la religion puisse être vecteur d’émancipation et non d’aliénation, cela relevait pour moi d’une contradiction qu’il me fallait comprendre. J’ai alors tout lu sur le christianisme de la libération. Quand j’ai vu qu’aucun film n’avait encore raconté l’histoire de ce mouvement, dont les protagonistes s’éteignaient peu à peu, je me suis senti la responsabilité de le réaliser.
Comment avez-vous construit le film ?
Comme un carnet de voyage dans le temps et l’espace, à la rencontre d’hommes et de femmes qui ont cru voir dans la révolution l’avènement du Royaume. C’est le sens du titre, un renvoi à l’étymologie du mot Évangile, littéralement la Bonne nouvelle. On n’est pas loin des lendemains qui chantent ! Je ne voulais pas faire un documentaire d’Histoire au sens classique, je n’ai pas fait appel à des historiens, chacun des personnages parle depuis sa propre expérience. Je souhaitais surtout faire des allers retours entre passé et présent, entre ce temps où la L’Évangile de la Révolution raconte l’histoire tragique du rêve révolutionnaire en Amérique Latine à travers la participation des chrétiens à ces luttes.
Qu’est-ce qui vous a poussé à vous intéresser à ce sujet ?
Mon imaginaire politique a été profondément marqué par l’Amérique latine, où je voyage depuis mes vingt ans. Le soulèvement zapatiste de 1994 a façonné mon éducation politique comme la révolution cubaine pour d’autres générations. Je biberonnais les écrits du sous-commandant Marcos, fasciné par l’histoire révolutionnaire du continent, ce rêve fracassé par la violence des dictatures militaires. En 2002, j’ai assisté à la première élection de Lula. C’était l’âge d’or de l’alter-mondialisme. Une vague de gouvernements de gauche portait alors un espoir politique, déçu par la suite. Longtemps, un prisme anti-clérical m’a empêché de comprendre la contribution du christianisme à cet élan révolutionnaire. Élevé dans une éducation catholique conservatrice, j’ai cessé de croire en Dieu à l’âge adulte, embrassant l’idée de Marx que la religion est l’opium du peuple. De fait l’Église a légitimé le génocide indien, l’esclavage, la colonisation, les structures d’un ordre social inique encore visible aujourd’hui. Mais elle a parfois été du côté des dominés. Des millions de chrétiens se sont engagés pour la justice, non pas en dépit mais au nom de leur foi. Que la religion puisse être vecteur d’émancipation et non d’aliénation, cela relevait pour moi d’une contradiction qu’il me fallait comprendre. J’ai alors tout lu sur le christianisme de la libération. Quand j’ai vu qu’aucun film n’avait encore raconté l’histoire de ce mouvement, dont les protagonistes s’éteignaient peu à peu, je me suis senti la responsabilité de le réaliser.
Comment avez-vous construit le film ?
Comme un carnet de voyage dans le temps et l’espace, à la rencontre d’hommes et de femmes qui ont cru voir dans la révolution l’avènement du Royaume. C’est le sens du titre, un renvoi à l’étymologie du mot Évangile, littéralement la Bonne nouvelle. On n’est pas loin des lendemains qui chantent ! Je ne voulais pas faire un documentaire d’Histoire au sens classique, je n’ai pas fait appel à des historiens, chacun des personnages parle depuis sa propre expérience. Je souhaitais surtout faire des allers retours entre passé et présent, entre ce temps où la révolution semblait l’horizon du continent et un ici et maintenant obscurci, où l’idée même d’émancipation collective parait anachronique. Le récit est conduit par une voix-off à la première personne.
Mon regard est celui d’un agnostique, croyant repenti, qui revisite l’histoire politique du continent à travers l’engagement de ses anciens coreligionnaires. Il est empreint de ce qu’Enzo Traverso appelle la mélancolie de gauche. Une attention portée à la mémoire des vaincus, non pas par nostalgie ou résignation, mais comme un chemin vers les espérances du passé inachevées, en attente d’être réactivées. Je ne voulais pas faire de ce film un mausolée à la mémoire de la théologie de la libération, car si elle a été presque anéantie par la répression, son héritage demeure bien vivant. Je voulais aussi qu’il puisse parler à tous, croyants ou non. Je pense que ce mouvement a des choses à nous apprendre. Sa façon de penser par le bas, de défendre des modes d’organisations horizontaux sont un antidote aux abus du pouvoir. Vous avez tourné ce film dans quatre pays – le Brésil, le Mexique, le Salvador et le Nicaragua.
Pourquoi avoir choisi ces pays en particulier ?
Le christianisme de la libération a traversé toute l’Amérique latine et j’ai voulu le raconter comme une expérience collective. Mais pour tisser cette aventure avec les singularités historiques de chaque pays, il m’a fallu faire des choix, tant pour des contraintes de production que de lisibilité du récit. Le Brésil s’imposait car l’Église a eu une influence déterminante sur la chute de la dictature. Elle est à l’origine du Mouvement des Sans-terre, la plus grande organisation sociale d’Amérique latine. Elle a aussi inspiré la création du Parti des Travailleurs de Lula. Au Mexique, la théologie de la libération s’est exprimée au travers des luttes indigènes, notamment au Chiapas. Elle a fortement influencé le mouvement zapatiste, dont l’expérience de démocratie directe demeure irremplaçable. En Amérique centrale ou en Colombie, la participation des catholiques aux mouvements de guérilla a été massive. Plusieurs prêtres sont morts les armes à la main. Le film devait éclairer ce choix de la lutte armée, alors que le chrétien est supposé refuser la violence. J’ai choisi d’incarner cette question à travers l’histoire du Salvador, où la mémoire de la guerre civile est encore à vif. Enfin, la révolution au Nicaragua de 1979 a marqué l’apogée du mouvement, quatre ministres du premier gouvernement sandiniste étaient prêtres ! J’y raconte à la fois l’espoir énorme qu’a suscité cet événement chez les chrétiens, mais aussi la désillusion, quand les révolutionnaires d’hier sont devenus les tyrans d’aujourd’hui.
Votre film relie les récits de ces chrétiens à des archives filmiques et photographiques. Comment avez-vous intégré ce matériau et d’où provient-il ?
Ces images portent l’empreinte brûlante d’un temps où cette aspiration révolutionnaire venue d’Amérique latine bouleversait le monde. Il fallait faire résonner au présent leur écho puissant, en les articulant aux récits de mes personnages. L’espérance dont leur parole est porteuse montre que ce vieux rêve, fixé sur ces archives en pellicule, bouge encore. Le christianisme de la libération a été abondamment filmé par les télés occidentales, à une époque où les actualités s’intéressaient davantage à l’Église. On trouve beaucoup de reportages sur des prêtres-ouvriers européens engagés auprès des pauvres, du Brésil à la Bolivie. A partir du coup d’état au Chili, de nombreux cinéastes ont filmé les mouvements de résistance aux régimes militaires, comme par exemple Patricio Guzman avec La Croix du Sud. Leurs films intègrent souvent une messe ou une lecture de l’Évangile. Citons aussi Nicaragua No Pasaran du réalisateur australien David Bradbury, un documentaire au cœur de la Révolution sandiniste.
Je lui emprunte l’incroyable messe de Jean-Paul II à Managua en 1983. Farouche opposant à la théologie de la libération, il est hué par la foule quand il attaque la Révolution. Enfin les films de propagande des mouvements de guérilla ont souvent mis en scène des prêtres, pour montrer au peuple que les chrétiens ont non seulement le droit mais aussi le devoir de se révolter. J’ai réalisé ce travail de recherche parallèlement à mes voyages de repérages. Quand un personnage attirait mon attention dans une archive, j’essayais de retrouver sa trace. C’est comme ça que j’ai rencontré celui qui ouvre le film : le prêtre belge Roger Ponseele, qui a accompagné la guérilla au Salvador pendant douze ans. Un autre matériau d’archive important est la chanson latino-américaine, pour laquelle je nourris une passion. Presque tous ses grands noms ont chanté la théologie de la libération : Victor Jara, Daniel Viglietti, Violetta Parra… Certains ont même composé des messes, comme Milton Nascimento avec la Missa dos Quilombos ou Carlos Mejia Godoy avec la Misa Campesina Nicaragüense, que l’on entend deux fois dans le film.
Il y a aussi ces fresques murales stupéfiantes, dont beaucoup ont été effacées. Ce mouvement était une révolution culturelle qui a embrassé la musique, la peinture, la littérature… J’essaie de faire revivre ce bouillonnement qui participait pleinement à l’élan révolutionnaire, dans une forme d’hommage à un héritage artistique qui m’a tant nourri