Quelle est la toute première idée à l’origine du projet ?
Philippe Lupien : Le premier flash remonte à 2010-2011. J’ai toujours été fasciné par les phénomènes d’objets volants non identifiés; tout ce qui est extraterrestre. Ça remonte à l’enfance. On parlait souvent de ça, Marie-Hélène et moi. Et puis à un moment donné, on s’est rendu compte que ce qui nous intéressait là-dedans, au fond, c’était le parallèle à faire entre la solitude d’un individu sur terre, et la solitude humaine à l’échelle de l’univers.
Marie-Hélène Viens : Il y avait également le paradoxe de Fermi, sur lequel on avait lu, et qui nous fascinait. Fermi présente tout son argumentaire concernant la possibilité d’autres formes de vies dans l’univers, et il conclut par la question « Where is everybody? » [« Où est tout le monde? »]. On a eu cette citation accrochée sur notre mur pendant des années. Mais bref, c’est la juxtaposition de ces deux solitudes-là, individuelle et universelle, qui nous parlait le plus. Dans nos recherches, on s’est aperçu qu’il y a beaucoup de ça, au niveau des témoignages des gens affirmant s’être fait enlever par des extraterrestres : l’élément de solitude, d’isolement.
Et Léo, ce protagoniste livreur de pizza, comment est-il né ?
MHV : Léo a connu plusieurs incarnations et a eu des âges différents. On a commencé le scénario à deux, Philippe et moi, mais quand c’est devenu clair pour nous que ça devait être un récit plus personnel, plus introspectif, c’est là que j’ai repris l’écriture en solo, mais en étroite collaboration avec Philippe. Et c’est là aussi qu’on a trouvé notre Léo.
PL : C’est vraiment Marie-Hélène qui écrit le scénario, qui crée les dialogues, qui se casse la tête avec les morceaux de Lego.
MHV : Mais on discute tout le temps. Je fais lire à Philippe des passages dont je ne suis pas certaine, où que je veux pousser plus loin.
PL : C’est une collaboration très fluide. Pareil lorsqu’on co-réalise. On a des approches et des sensibilités différentes, mais on est en même temps parfaitement complémentaires. Sur le plateau, on se comprend à demi-mots; souvent, un regard suffit. On se connaît depuis 22 ans…
MHV : Au sujet de Léo, j’ai ramené le personnage à moi, très proche, à un moment de ma vie où j’étais isolée et très seule; je n’allais pas super bien. Ce sentiment où tu as l’impression que tu es prête à couper les ponts par rapport à tout et avec tout le monde, à t’isoler, et à te dire que tu n’es peut-être pas faite pour ce monde-là… Tu te détaches de tes émotions, tu te détaches des gens qui t’entourent… En même temps, c’est une étape que vivent beaucoup de jeunes adultes : tu avais des amis, des relations, et puis hop!, dans les bouleversements du passage à l’âge adulte, tu perds ces amitiés-là ou ces relations-là, et tu te retrouves momentanément devant rien. Et là, tu te dis que, peut- être, c’est ça ta vie. Évidemment, tu es alors trop jeune pour savoir que tu vas te relever, et qu’il y a autre chose après. Durant ce moment précis de l’existence, tu as l’impression que c’est la fin du monde, et que tu es seul au monde. C’est ce que vit Léo. Le personnage de John, le chauffeur de taxi, s’est manifesté comme ça. C’est-à-dire qu’il est devenu l’incarnation de ce versant sombre de Léo. John agit un peu comme cette partie de la conscience de Léo qui lui donne raison de s’isoler. John le conforte dans l’idée qu’il n’est pas à sa place dans ce monde-ci. Il lui dit : « Viens, je vais t’enlever, je vais t’emmener ailleurs ». Finalement, la rencontre avec Rita, ça rattache Léo. Tout ça est un peu basé sur notre histoire à Philippe et moi, donc il y a vraiment une dimension très personnelle.Avant ce premier long métrage, vous avez co-réalisé plusieurs courts : vous devez avoir un mode de fonctionnement bien rodé sur un plateau.
PL : On est très préparé. On établit tout en amont, au fil de nos discussions. On se fait complètement confiance, et on se pose constamment des questions comme : « Est-ce qu’on est à la bonne place ? », « Est-ce qu’on est en train de raconter ce qu’on a envie de raconter ? » Autant on est différent, Marie-Hélène et moi, autant, dans le travail, dans notre duo, il y a quelque chose de symbiotique.
MHV : C’est vrai qu’il y a une bonne part d’instinct dans notre dynamique. Il y a aussi une certaine candeur, je pense, dans notre processus.
PL : C’est d’ailleurs toujours comme ça, nos projets : ça commence avec une idée ou un concept simple, et puis soudain, il y a cet angle oblique qui nous vient, comme une wild card qu’on n’avait pas prévue, et qui change la donne. J’ai l’impression que c’est notre manière de travailler, qui fait en sorte qu’on se retrouvent constamment dans ces zones-là, un peu insolites.
Le film est certainement insolite, mais ce qui est intéressant justement, c’est que vous traitez le fantastique de manière sobre. Même chose pour le volet comédie romantique, où vous optez pour un humour doux-amer, presque mélancolique.
PL : Ça vient beaucoup de l’écriture de Marie-Hélène. Ensuite, lors du tournage, l’équilibre de ton repose énormément sur les épaules de nos fantastiques acteurs. On a beaucoup discuté avec eux, en amont, afin d’être sur la même longueur d’ondes au moment du tournage. On a travaillé avec les acteurs pour que tout soit ressenti d’une façon réaliste et sobre: on ne voulait pas surjouer les passages comiques ou étranges.
MHV : Ce que les personnages ressentent et vivent doit être ancrés dans leur réalité, dans leur quête, dans leurs vraies émotions. Dans leur réalité, quand ils vivent la peur, ils la vivent pour vrai. Quand Léo a pour la énième fois la même conversation avec sa mère, c’est drôle pour nous, mais pas pour lui : lui, il est blasé de ça, comme on le serait à sa place dans la vraie vie par rapport à notre propre mère.
PL : On arrive hyperpréparé, avec une vision super claire de ce qu’on veut, mais en même temps, on aime se laisser surprendre par les acteurs, par le lieu, par une trouvaille imprévue à la direction photo…
Parlant de direction photo, le film se déroule très majoritairement de nuit. Est-ce que ça représentait un défi particulier ?
MHV : On a tourné en novembre, alors que les heures de clarté diminuent. Parfois, on commençait à quatre heures de l’après-midi afin d’avoir le plus de « nuit » possible. Un avantage d’un tournage de nuit auquel je ne m’attendais pas, c’est l’atmosphère que ça a créé sur le plateau. La nuit, pour pas déranger les voisins, tout le monde a tendance à chuchoter. Tout le monde est comme un peu plus calme…
PL : Ça instaure aussitôt sur le plateau un climat chaleureux, intime. Et ça convient parfaitement à notre personnalité, cette espèce de douceur-là. Et puis, il y a comme une magie qui se produit, entre les gens, la nuit. Je ne sais pas si c’est parce que tout le monde devrait être dans son lit en train de dormir, mais on dirait que nos senseurs émotionnels sont plus aiguisés, plus à l’affût. Le film a bénéficié de cette atmosphère-là, c’est clair.
Après avoir porté ce projet si longtemps, à présent que vous l’avez mené à terme, lorsque vous y repensez, quels en sont les aspects qui vous sont le plus chers?
MHV : Ce qui m’émeut, c’est qu’on ait réussi à immortaliser, dans le film, ce moment de la vie où, comme jeune adulte, tu te sens seul dans l’univers. Et pour nous deux, ce moment-là est déjà dans le passé. C’est pour ça qu’il y a une part de nostalgie, dans le film, dans le ton autant que dans la facture : c’est là, mais sans qu’on tombe dans une esthétique vintage…
PL : Pour ma part, le volet romantique, c’est ce que j’ai eu le plus de plaisir à tourner. Filmer des personnes qui se regardent dans les yeux et qui tombent en amour, c’est merveilleux. Il y a quelque chose là-dedans de très pur, de très feel good. Et puis, je pense que c’est ce qui permet au public d’adhérer au surnaturel. Quand tu ris ou que tu souris, tu décroises les bras, tu abaisses ta garde, et tu deviens alors disponible pour accueillir l’extraordinaire.
Propos recueillis par François Lévesque, critique de cinéma et auteur