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AÏCHA

Fiction / Chili

Aya, la vingtaine, vit encore chez ses parents dans le sud de la Tunisie et se sent prisonnière d’une vie sans perspectives. Un jour, le minibus dans lequel elle fait quotidiennement la navette entre sa ville et l’hôtel où elle travaille s’écrase. Seule survivante de l’accident, elle réalise que c’est peut-être sa chance de commencer une nouvelle vie. Elle se réfugie à Tunis sous une nouvelle identité, mais tout est bientôt compromis lorsqu’elle devient le principal témoin d’une bavure policière.

Année

2024

RÉALISATION

Mehdi M. BARSAOUI

SCENARIO

Mehdi M. BARSAOUI

AVEC

Fatma SFAR, Yasmine DIMASSI, Nidhal SAADI

FICHE TECHNIQUE

2h03 - Couleur - Dolby Digital 5.1

DATE DE SORTIE

12 MARS 2025

AVANT-PREMIÈRE | MARDI 18 MARS À 20H45

Avant-première en partenariat avec l’Association des Tunisiens des Grandes Écoles.

ENTRETIEN AVEC LE RÉALISATEUR

Portrait d’une femme, radioscopie d’un pays, comment est née l’idée d’AÏCHA ? 

 

En 2019, un fait divers a secoué l’opinion publique en Tunisie. Une jeune femme, qui avait miraculeusement survécu à un accident de bus, a décidé de se faire passer pour morte afin de tester l’amour de ses parents. Prendre la décision de tout quitter, du jour au lendemain, sans préméditation, plonger dans la clandestinité, en laissant derrière elle sa famille, son passé, ses blessures… Je trouvais cela fascinant, héroïque et profondément triste à la fois… 

 

Comment peut-on arriver à tant de désespoir  ? Comment, dans un pays où l’on se doit d’obéir corps et âme à ses parents, peut-on leur infliger une telle souffrance  ? Et surtout, pourquoi ? 

 

C’est en tentant de répondre à ces questions que l’idée du film a germé en moi. La jeune femme en question n’a tenu que trois jours avec son secret, mais cette histoire ne m’a plus quitté et m’a hanté jusqu’au jour où j’ai appris que j’allais être papa d’une petite fille. J’ai eu un déclic, une révélation. La paternité vous projette dans le futur, vous pousse à poser les bases des principes et des valeurs que vous souhaitez transmettre à vos enfants. Je me suis très vite questionné sur l’environnement dans lequel j’allais accueillir ma fille car, derrière la vitrine qui montre la Tunisie comme l’un des pays les plus modernes et libres du monde arabe, se cache en réalité une face complexe, pleine de paradoxes et de contradictions, où la majorité de la population survit au lieu de vivre.  Avec tous ces éléments, j’ai trouvé le titre du film : AÏCHA, qui en arabe veut dire « vivante ». 

 

Comment s’est construit le scénario ? 

 

En différentes étapes. Ayant pris beaucoup de liberté par rapport au fait divers originel, j’ai dû construire toute la trajectoire de mon personnage. En cherchant à définir ses motivations, à motiver sa quête de reconstruction, la réalité de la Tunisie m’a rattrapé. Entre frustration, injustice sociale, pression familiale, diktats sociaux et religieux, ce personnage personnifiait la jeunesse tunisienne brimée, bernée, que l’on avait privé de son libre arbitre au profit de croyances et de désirs ancestraux. Avec des rêves plein la tête et une soif de liberté sacrifiés sur l’autel de l’idéologie sociale, religieuse et économique d’un pays, mon personnage se heurte à différents obstacles : l’autorité familiale et le rapport de soumission, la misogynie, le sexisme, la place de la femme dans la société, mais surtout, la corruption et l’oppression de la police, son omniprésence et sa toute-puissance sur la population. Avec ce tournant dramatique, le film prend une tout autre direction. 

 

Plusieurs thèmes se télescopent dans le film : le social, l’intime, le politique, le policier, le thriller… 

 

C’est la narration qui dicte ses lois. En commençant à penser au film, je n’ai pas du tout réfléchi au genre. Ma priorité, c’était le personnage et les choix qui allaient découler de la mise en scène de sa mort. Le scénario a influencé le genre en imposant le rythme et la mise en scène. Tozeur n’est pas filmée comme Tunis. Aya n’est pas filmée comme Amira, qui n’est pas filmée comme Aïcha. C’était passionnant à mettre en boîte mais je devais être vigilant à la cohérence du propos et à l’évolution du personnage. Je dois beaucoup à mon équipe, qui m’a énormément épaulé dans ce processus, mais aussi à l’actrice principale, Fatma Sfar, qui a cerné à la perfection chaque facette du personnage qu’elle allait jouer. 

 

Parlons du choix de Fatma Sfar qui joue Aya sous toutes ses facettes.

 

C’était un choix évident avec Fatma. Je ne suis pas adepte des habituels essais caméras que l’on fait passer aux acteurs sur des scènes du scénario, souvent trahies, jouées dans des bureaux froids et impersonnels, sans aucune âme, c’est frustrant. On s’est mis d’accord avec le directeur de casting pour imaginer une audition originale, en laissant aux actrices beaucoup de liberté. La première étape du casting était un exercice d’improvisation qu’on avait mis en place. Les comédiennes ne savaient pas grand-chose de l’histoire, elles savaient seulement qu’elles devaient tenir le maximum de temps face à un policier, en cachant le plus longtemps possible leur identité. Elles avaient le droit de tout dire et de tout faire. 

C’était passionnant de voir le talent de chacune dans cette situation. Fatma s’est imposée dans cet exercice et s’est ensuite confirmée dans des essais plus classiques. J’ai été frappé par son magnétisme, j’ai tout de suite su que c’était elle.

 

Et Nidhal Saadi qui joue le rôle de l’adjoint-chef ? C’est une véritable star en Tunisie.

 

Nidhal est une star en Tunisie, connu grâce à des séries télévisées. Je ne le connaissais pas personnellement, c’est mon directeur de casting qui nous a présentés. J’étais un peu réticent au départ car Nidhal est très différent du personnage de Fares que j’avais en tête en écrivant le scénario. Il a un corps athlétique, une énergie incroyable, alors que j’avais imaginé Fares plutôt éteint, taciturne, avec un physique corpulent. Pendant les exercices d’improvisation, il m’a totalement scotché, il était extrêmement crédible dans le rôle du policier. Il n’a pas hésité à prendre 20 kilos pour le film, à délaisser son image de beau gosse pour camper un policier qui se laisse aller, peu soucieux de son physique. Fares est un personnage complexe, dont on ne cerne pas tout de suite les motivations et choisir Nidhal pour l’incarner a donné de l’épaisseur au personnage, lui évitant de tomber dans le cliché du policier déshumanisé, sans scrupules, qu’on devine dès la première expression. 

 

Aya est plurielle dans le film. Comment avez-vous géré sa métamorphose ?

 

Aya passe par différentes étapes avant d’essayer de devenir celle qu’elle a toujours voulu être. C’est une trajectoire écrite mais qui s’appuie sur beaucoup de détails de mise en scène. 

Tout a été pensé en fonction de l’évolution du personnage, des accessoires aux costumes, en passant par le maquillage, la coiffure, le cadre, la lumière, la façon de se tenir, de marcher, de regarder… Tous ces détails ont été minutieusement travaillés avec les différents chefs de départements et Fatma pour que la métamorphose d’Aya, qui passe par Amira avant de devenir Aïcha, soit crédible. Avec Antoine Héberlé, le chef opérateur, nous avons opté pour deux façons complètement différentes de filmer le personnage. À Tozeur, au début du film, nous avons une caméra organique mais plutôt passive, qui assiste, capte, suit le personnage dans son quotidien terne. À Tunis, la caméra change avec Aya qui devient Amira. La caméra devient moins contemplative, elle oriente le regard, elle devient active, comme le personnage, les couleurs deviennent plus flamboyantes et le terne du début laisse place à des couleurs éclatantes. 

 

Les décors prennent une place prépondérante dans le film. 

 

Absolument. Tozeur et Tunis sont des personnages à part entière. Les villes ne servent pas seulement de contexte à l’évolution de la narration mais jouent un rôle très important dans la psychologie de la protagoniste. Si chez Aya, Tozeur représente l’immobilisme, la passivité et la monotonie d’un quotidien terne, Tunis est tout le contraire avec son immensité, son énergie et sa vitalité. Aya idéalise Tunis qu’elle fantasme. C’est une ville où l’impossible devient possible, qui lui permet de vivre son rêve. Les décors sont une sorte de personnages troubles qui viennent brouiller les pistes et brouiller les cartes. 

Les villes évoluent au long du film. La recherche des décors a été une étape passionnante pour moi, ça ancre les personnages dans un environnement qui déteint automatiquement sur leurs actions. Le choix des décors influence aussi la mise en scène. C’est une étape cruciale dans la mise en œuvre d’un film.

 

Vous ne portez aucun jugement sur vos personnages.

 

C’est ce que j’essaie de faire dès l’écriture du scénario, je l’aborde comme un parti pris. C’est important pour moi d’éviter une certaine forme de manichéisme, peu intéressant au cinéma. Nous cherchons des personnages complexes, nuancés, dont on ne devine pas la trajectoire. Je reste convaincu que nous sommes tous habités par des dualités et ces dualités m’intéressent. J’aime aussi déjouer les attentes des spectateurs, avec Lobna par exemple, dépeinte comme une fille tranquille, qui force l’admiration chez Aya mais qui s’avèrera être bien différente. 

 

Le film parle de la corruption au sein de certaines institutions. Qu’en est-il de la Tunisie, treize ans après le soulèvement de 2011 ? 

 

Il est indéniable que ce que nous avons vécu en 2011 est l’une des plus belles choses qui soit arrivée dans l’histoire contemporaine de la Tunisie. 2011 a permis à la jeunesse tunisienne de s’approprier une conscience politique et de se réapproprier la République. Certains jours sont moins heureux que d’autres car le chemin reste encore long pour avoir une démocratie pleine et entière. Des abus persistent encore aujourd’hui, c’est pour cela que nous les dénonçons. Il est important de les dénoncer et d’avoir les moyens de le faire, à travers l’art ou le cinéma. C’est au nom de la liberté d’expression, lourdement acquise, qu’il faut continuer le combat, pour la réussite de notre transition démocratique et pour que nous puissions léguer à nos enfants l’espoir d’un avenir et d’une société meilleures.

 

Le film est souvent tourné en gros plans, au format scope, pourquoi ce choix ? 

 

Nous avons fait ce choix avec le chef opérateur Antoine Héberlé très tôt, pendant l’écriture du scénario. J’ai commencé à faire lire à Antoine les différentes versions afin de l’impliquer en amont, et nous sommes rapidement tombés d’accord sur le scope qui, combiné aux gros plans, nous permet d’amplifier chaque regard, chaque émotion. Le scope, en plans larges, nous permet aussi de jouer avec les perspectives, d’isoler nos personnages dans les décors, il offre une multitude de compositions graphiques, nous donnant l’occasion de raconter la mise en scène à travers le cadre. J’aime le scope car il permet une certaine vitalité au niveau de la mise en scène en offrant un regard large, un découpage dans le plan, sans forcément passer par le montage. 

 

Parlons du montage justement car vous êtes monteur de formation.

 

Oui, je viens de l’école du montage mais je ne monte pas mes films. Je délègue cette tâche à Camille Toubkis, avec laquelle j’ai déjà collaboré sur mon premier film UN FILS. Honnêtement, l’étape du montage est celle que je préfère dans la fabrication d’un film. Être confronté à sa matière, sans échappatoire possible, coller ensemble les petits bouts de plans d’une manière artisanale, je trouve cela passionnant. Nous avons pris notre temps avec Camille pour explorer toutes les pistes possibles, pour être certains de nos choix. Le montage est l’écriture définitive du film, la touche finale que l’on apporte à notre récit. Le montage d’AÏCHA a été fastidieux. Ce qui a été compliqué, c’est de trouver le bon équilibre entre les différentes trajectoires qu’aborde le scénario. D’abord la trajectoire personnelle et intime de notre protagoniste, combinée à la trajectoire politique de l’affaire policière pour finir avec la résolution de l’intrigue. Pour trouver cet équilibre, nous nous sommes interrogés, pour nourrir le film et l’aider à prendre sa forme finale. 

 

Vous avez fait le choix d’une fin plutôt ouverte. Pourquoi ce choix de cette dernière image? 

 

C’est ce que devient Aya qui m’intéresse, non pas ce qu’elle va devenir. Ma priorité était la prise de conscience de la personne qu’elle veut devenir. Ce qu’elle va faire de sa nouvelle vie lui appartient. C’est même un autre film qui pourrait s’ouvrir. Je voulais m’arrêter sur cet élan, sur son premier pas dans sa nouvelle vie, son premier pas en tant qu’Aïcha, libre et plus que jamais « vivante ».