Avant les questions philosophiques et technologiques, c’est le côté romantique du film m’importe davantage, que l’on vive le voyage romantique que nous avons tous fait en faisant ce film. Puis, il y a les questions auxquelles le film tente de répondre : que signifie aimer ? Que signifie commencer une relation ? Est-ce que nous nous en tenons aux mots, aux souvenirs, à ce que nous pensons de l’autre personne ? Ou y a-t-il aussi une dimension corporelle qui est fondamentale dans les relations ? J’ai l’impression que nous délaissons de plus en plus le contact corporel dans les relations humaines, pour valoriser davantage ce qui touche à leur dimension abstraite, les mots, les pensées, les souvenirs. Je veux dire par là être ensemble, pas le corps comme modèle esthétique. J’ai ressenti cette impression quand je suis devenu père, je suis tombé amoureux de deux petits êtres humains avec lesquels je ne pouvais pas parler, nous n’avions que le langage corporel pour nous comprendre. La seule connexion possible se faisait à travers nos différents sens. Et cette dimension ne concerne pas seulement les relations parents/enfants, mais tout type de relation. Je pense que partager un espace est la manière la plus spirituelle d’être ensemble avec une autre personne.
DÉCORS
L’équipe me demandait quel genre de film de science-fiction nous devions faire, et je leur donnais autant de références que possible. J’essayais simplement de les aider à suivre mon idée, ma vision. Puis petit à petit, je me suis rendu compte qu’en essayant d’exprimer quelque chose, je trahissais ce que je voulais faire. Il fallait que ce soit plus intuitif, il y avait ce qui appartenait à ce monde et ce qui n’y appartenait pas. Nous avons donc commencé à sélectionner des objets, des paysages et des photos de différentes villes. Je voulais créer un monde qui serait abstrait, suspendu, comme une sorte de conte de fées. J’ai réalisé à la fin de ce long processus empirique que je créais un décor qui ne s’attachait pas à un genre spécifique mais qui était plus proche de l’émotion de l’histoire. Tout ce qui résonnait avec ce que je ressentais à travers mon histoire entrait dans le film. Et plus ce processus se développait, à travers la découverte d’objets, de paysages, etc., plus le décor devenait spécifique. Nous avons commencé à tout découvrir ensemble, Another End s’est en quelque sorte créé tout seul.
ACTEURS
Dans mon premier film, j’ai eu la chance de travailler avec Juliette Binoche, ce qui m’a amené à apprendre à travailler d’une certaine manière avec les acteurs. Il m’avait fallu plusieurs jours pour m’adapter et me détendre. Avec Another End, j’étais définitivement plus détendu. Gael, Rentate, Bérénice et moi avons noué de très bons liens entre nous, et il y avait également une merveilleuse ambiance avec toute l’équipe. Nous avons partagé une expérience humaine incroyable. Après le tournage, nous sommes restés proches, tant pour partager l’expérience du film que nos expériences personnelles. Le film a été comme un atelier intensif, où de nombreuses idées sont apparues en cours de tournage, en parlant ouvertement de nous-mêmes.
SCIENCE-FICTION
J’ai construit le film avec trois genres différents : la science-fiction, le thriller et le mélodrame. Ce dernier est le plus important pour moi, l’histoire d’amour. Les trois genres fonctionnaient bien dans le scénario, mais c’est pendant le tournage qu’il m’a été difficile de les rendre harmonieux, de les faire fonctionner ensemble. Tout ce qui me fascine finit par entrer dans mes films, même si ce n’est pas de manière consciente. En revoyant récemment mon premier film, j’ai réalisé que la première scène était en fait une recréation d’une installation de Bill Viola intitulée Observance que j’avais vue il y a des années au MoMA. Je ne m’en étais pas rendu compte à l’époque. Ma référence principale a sans aucun doute été La Jetée de Chris Marker. Il y a une scène avec des images et une femme qui se réveille, et Another End en est directement inspirée. En ce qui concerne la science-fiction, je voulais surtout éviter les stéréotypes de genre, éviter toute référence aux classiques de la science-fiction.
RYTHME
Il y a dans le film une séquence que je pense être la meilleure que je pourrai tourner dans ma vie. Dans la scène, le personnage de Gael parle avec un psychiatre car il ne reconnaît pas sa femme dans le corps inconnu. Il n’arrive pas à briser la barrière de voir un corps différent. Le médecin lui donne alors ce conseil: parle avec elle, disputez-vous, car la dispute peut activer des souvenirs et des sensations cachées. Quand je me dispute avec quelqu’un, le rythme de mon corps change et la vitesse élevée de la connexion avec l’autre efface en quelque sorte la pensée excessive. Votre esprit ne fait que répondre à ce qui se passe. Je pense que le rythme est l’aspect fondamental de mon travail de réalisateur. Je travaille avec les acteurs presque exclusivement sur le rythme, davantage que sur la psychologie des personnages ou d’autres aspects. J’ai donc tourné la scène de dispute comme une chorégraphie, avec un début lent, avec beaucoup de réflexion, puis lentement le rythme s’accélère et tout le reste s’efface petit à petit. Ce que les deux personnages vivent maintenant est de l’émotion pure, ils peuvent donc se reconnaître. Il m’a fallu beaucoup de temps pour tourner cette scène. J’ai réalisé que j’avais besoin d’un espace plus large pour créer le bon rythme, alors nous avons ajouté cinq mètres au salon du studio. L’espace, l’éclairage, les acteurs, tout fonctionne pour créer ce rythme spécifique.