Documentaire / France

GUÉRILLA DES FARC, L’AVENIR A UNE HISTOIRE

Retour sur 50 ans de vie de la guérilla colombienne. Des femmes et des hommes, qui ont pris les armes dans un contexte de profondes inégalités sociales et de violence politique, racontent leur vie de combattants et leur sortie du maquis, sans se renier. Depuis le début des négociations de paix en 2012, jusqu’à l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement progressiste en 2022, l’histoire d’un nouveau combat.

ANNÉE
RÉALISATION
SCENARIO
AVEC
FICHE TECHNIQUE
DATE DE SORTIE

2024

Pierre CARLES

Stéphane GOXE et Pierre CARLES

2h22 – Couleur – Dolby Digital 5.1

11 Décembre 2024

NOTE DU FILM

Pourquoi ce film sur les insurgés des FARC ?

Les hasards de la vie ont fait que j’ai vécu une partie de mon adolescence à Bogota, où ma mère, une institutrice française, fréquentait un cinéaste de gauche, Duni Kuzmanich, le premier cinéaste à avoir tourné un film sur les guérillas colombiennes des années 50 sans dénigrer celles-ci, en ne condamnant pas la lutte armée, au contraire.

Duni, mon beau-père, est mort en 2008, à Medellin, au plus fort de la confrontation entre l’État colombien et la guérilla des FARC.

À son époque, la presse nationale et internationale présentait les guérilleros comme des « narcoterroristes », afin de les disqualifier. Cela a duré longtemps et aucun film n’a documenté sérieusement cette histoire de résistance armée s’étalant sur plus d’un demi-siècle.

Tout comme Duni a dédiabolisé les rebelles colombiens des années 50, alors taxés de « bandidos », il m’a semblé utile de raconter l’histoire méconnue de ces femmes et hommes d’origine rurale, pour l’essentiel, ayant combattu les grands propriétaires terriens qui accaparent ou volent des terres, couverts par l’armée colombienne soutenue par les États-Unis.

Duni ne pouvait pas imaginer que, peu de temps après sa mort, des négociations de paix verraient le jour entre le gouvernement colombien et les FARC, aboutissant au retour à la vie civile des rebelles, leur offrant la possibilité de poursuivre leur combat par la voie légale. Il ne pouvait pas imaginer non plus que l’ex-guérillero du M19 Gustavo Petro arriverait au pouvoir en 2022, porté par un puissant mouvement social.

Dix ans (2012-2022) m’ont été nécessaires pour tourner ce film et pouvoir raconter à ce beau-père, à qui je dois tant, ce qu’il a « raté » depuis sa disparition, ce qui est source d’espoir et de… désespoir. Ce film est aussi une tentative de reprendre le flambeau d’un certain cinéma engagé et de rendre hommage à deux réalisateurs Français, Bruno Muel et JeanPierre Sergent, qui avaient porté haut ce cinéma-là lorsqu’ils sont allés filmer les FARC à leurs débuts, en 1965.

 

Extrait du scénario

« Ce film sera le lieu d’un questionnement, que l’on aimerait universel, sur les conditions de l’engagement politique. Celles-ci évoluent selon les périodes et les circonstances; la manière dont elles sont perçues et évaluées, aussi. La lutte armée a pu constituer dans certaines circonstances une réponse adaptée, inévitable ou contrainte (“on n’a pas fait la guerre par plaisir, on ne nous a pas laissé le choix”, signalait Marulanda dans les années 90), comme elle a pu être dans d’autres contextes une erreur historique, un échec cuisant et prévisible. Mais nous remarquerons surtout que le même fait d’armes peut faire l’objet d’interprétations très différentes selon l’époque qui le considère. En abordant le cas particulier mais significatif de l’action guérillère des FARC, ce film sera aussi l’occasion de parler d’engagement et de perception de l’engagement en ce jeune xxie siècle. Et de se demander, in fine, si la fin du plus vieux maquis communiste de la planète marque par là même la fin d’une forme de lutte caractéristique du xxe siècle : celle qui a vu des femmes et des hommes s’enfoncer dans la forêt, dans la montagne, les armes à la main, pour y mener une guérilla révolutionnaire et espérer ainsi changer la société ? »

 

Septembre 1965 :

deux jeunes cinéastes s’enfoncent dans la jungle colombienne à la rencontre de guérilleros dont ils ignorent à peu près tout, si ce n’est qu’ils ont fondé quelques mois plus tôt un mouvement de guérilla nommé FARC, Forces Armées Révolutionnaires de Colombie. Quand Bruno Muel et Jean-Pierre Sergent débarquent dans le secteur de Rio Chiquito, en pleine offensive de l’armée régulière, les FARC ne sont composées que de quelques centaines de combattants, pour la plupart des paysans. Les journaux de la capitale les qualifient de bandits. Les deux réalisateurs français vont pour la première fois montrer leurs visages et dévoiler au monde l’existence d’une guérilla communiste en Colombie. La tonalité de leur reportage, Rio Chiquito, est clairement favorable aux insurgés: cela n’empêchera pas sa diffusion à la télévision d’Etat dans un programme prestigieux et de grande audience : Cinq colonnes à la Une.

Il faut dire qu’à cette époque le cinéma engagé avait droit de cité, dans les salles mais aussi à la télévision. Quantité de cinéastes filmaient alors comme l’on respirait l’air du temps, animés par des convictions, saisis par l’urgence de contester l’ordre établi, de dénoncer l’exploitation sous toutes ses formes ou d’embrasser la cause des mouvements de libération. Il s’agissait a minima de témoigner de ces combats, de les soutenir le plus souvent, d’y prendre part d’une façon ou d’une autre. Pour Muel et Sergent, tout commença avec la guerre d’Algérie. C’est dans ce contexte qu’ils filmèrent une lutte armée dont, sans ambiguïté, ils se proclamaient solidaires (Algérie année zéro, réalisé avec Marceline Loridan). Solidarité avec le peuple algérien en lutte pour l’indépendance, puis, plus tard, solidarité avec les peuples d’Amérique latine dressés contre les oligarchies nationales et l’impérialisme nord-américain (Camilo Torres, Rio Chiquito, Septembre chilien de Muel et Robichet). En France, c’est en milieu ouvrier que Bruno Muel s’investit intensément durant les années soixante et soixante-dix, au sein notamment du groupe Medvedkine.

Certains filmaient donc comme ils vivaient, en se battant, sans redouter l’étiquette de cinéaste militant, assumant même celle de cinéaste partisan. Ainsi Muel définissait-il son engagement cinématographique : « Un métier que j’ai toujours rêvé de pratiquer comme une déclaration d’amour, pensant que le meilleur moyen de s’attaquer à ceux du camp adverse était de faire aimer ceux du camp que j’avais choisi, parce que c’est le camp des humiliés, mais surtout parce que c’est celui des humiliés qui relèvent la tête et se battent. (…) C’est pourquoi j’ai fait par la suite tous ces films partisans parce qu’il me fallait dire le contraire, montrer le contraire, de ce qu’on nous serine tous les jours. Partisan ne veut pas dire menteur. Partisan veut dire qu’on a choisi son camp » (in Rushes de Bruno Muel, éditions Communes, sept. 2016).

Au début des années quatre-vingt, alors que le reflux du cinéma militant était une affaire entendue, Bruno Muel retournera en Colombie auprès des FARC pour y tourner un documentaire produit par TF1, quelque temps avant sa privatisation. Dans Longues marches, Muel ne cachait pas sa sympathie pour les guérilleros – c’est même un des ressorts du film. Visionner aujourd’hui ce documentaire en se souvenant qu’il a été diffusé sur la première chaîne de télévision française donnerait presque le vertige. Se ressaisissant, on se dira qu’une telle expérience permet aussi de mesurer ce qu’en terme de pluralité des points de vue, de diversité des approches, de marge de manoeuvre, nous avons perdus. Tous, cinéastes et spectateurs.

La nostalgie n’étant d’aucun secours, laissons notre époque nous rattraper par la manche : elle est peu réjouissante et les raisons ne manquent pas de se frotter au réel, de prendre position et de passer à l’action, d’offrir un contre-champ radical. De fait, le cinéma dit « engagé » existe toujours. Il bruisse même de mille initiatives… qui demeurent invisibles pour la plupart. Là est le hic. On filme tous azimuts, on décrypte, on dénonce, on hurle parfois… mais dans le vide, ou peu s’en faut. Si quelques salles ouvrent encore leurs portes, la télévision a refermé les siennes depuis belle lurette. La diffusion sur internet? Elle compartimente et cloisonne le public au point de le dissoudre en tant que puissance collective. Restent les festivals et leur programmation éclectique, laquelle ouvre une large fenêtre sur les questions sociales et politiques. Mais en ces lieux privilégiés, ne finit-on pas par s’y sentir comme dans un musée du temps présent, avec sa collection des oeuvres de l’année que l’on remise une fois exhibées?

Comment donc faire en sorte que les films dotés d’une réelle puissance critique atteignent le plus grand nombre, irriguent une réflexion commune, bref, soient plus largement diffusés? Vaste problème ! Sacré mal de tête… Pour se soulager, disons un peu, on se rappellera que le cinéma a commencé sa fabuleuse histoire de façon itinérante : de faubourgs en villages, de hameaux en quartiers. Au contact direct des habitants d’un lieu. Est-il permis de rêver qu’ainsi pourrait se déployer un cinéma dissident, dans sa diversité, son humanité, son goût pour la subversion?

 

BIO-FILMOGRAPHIES

Pierre Carles

Né en 1962 à Bordeaux (France). Après des études d’animation socioculturelle et de journalisme, il travaille comme caméraman d’actualité avant de tourner ses premiers courts-métrages documentaires dans l’émission belgo-française Strip Tease. En 1998, il réalise Pas vu pas pris, un film de critique des médias, sélectionné dans la programmation de l’Acid à Cannes et à Locarno, puis La Sociologie est un sport de combat (2001), un portrait du chercheur en sciences humaines Pierre Bourdieu. Depuis 25 ans, il a réalisé ou coréalisé une dizaine de longs-métrages, portant un regard critique sur le salariat, documentant la décroissance, abordant la question du recours à la lutte armée, faisant découvrir la politique anti-FMI du président d’Équateur Rafael Correa… Il a également coréalisé des portraits de personnalités singulières comme le professeur Choron, le dessinateur utopiste Gébé ou l’improbable candidat à la Présidentielle Jean Lassalle. Il achève actuellement le montage de Who wants Georges Ibrahim Abdallah in jail ?, un film-enquête sur le scandale de l’incarcération pendant 40 ans, sur le sol français, d’un résistant communiste libanais devenu le plus ancien prisonnier de la guerre israélo-palestinienne.

 

Stéphane Goxe

A la manière d’un artisan, Stéphane Goxe a réalisé avec Christophe Coello une série de documentaires sur la fin des dictatures au Chili (Chili, l’ombre du jaguar, 1998) et en Argentine (H.I.J.O.S: tu n’es pas mort avec toi, 1999) avant de signer deux films sur la lutte des indiens Mapuche (Mari Chi Weu, 2000; Retour en terre Mapuche, 2011). Coauteur et coréalisateur des longs-métrages Attention danger travail et Volem rien foutre al païs (2003 et 2007, avec Pierre Carles et Christophe Coello), Stéphane Goxe écrira entre autres collaborations les deux derniers volets de la Trilogie des gens de peu (réalisée par Christophe Coello), plongée dans les quartiers populaires de Perpignan. Depuis près de vingt ans, il vit sur les flancs d’une montagne dont il travaille la terre. De loin en loin, il écrit des projets de films documentaires, dont Guérilla des FARC, l’avenir a une histoire.

FICHE TECHNIQUE

Réalisation Pierre Carles

Scénario Stéphane Goxe et Pierre Carles

Image Pierre Carles, Georgi Lazareski

Son Cesar Salazar

Montage Céline Kélépikis

Assistante montage Luz Balaña

Montage son Robin Sebe

Mixage Armin Reiland

Étalonnage Félix Abt

Direction de post-production Ludovic Raynaud

Post-production Cairn et Avidia

Administration de production Jennifer Gastine

Produit par Annie Gonzalez et C-P Productions

avec le soutien du Centre national Du cinéma et de l’image animée et de La région Occitanie

en partenariat avec le CNC Distribution Les films des deux rives, Pauline Richard

Année 2024 – Durée 142 mn. Ce film a participé à ParisDOC Works-in-Progress – Cinéma du réel 2023 Sélection Harbour, Festival International du film de Rotterdam 2024 Cinéma du Réel, Paris 2024 FEMA La Rochelle 2024