En novembre 2023, à la veille de la première du film au Moyen-Orient dans le cadre du Red Sea Film Festival, le réalisateur accorde un entretien à Alex Ritman, journaliste au « Hollywood Reporter ». Dans cette interview, Halkawt Mustafa raconte comment il a réussi à garder son projet secret pendant quasiment les quatorze années qu’a duré cette aventure, le rôle crucial de Tinder dans sa fabrication, l’adaptation dramatique qu’il a commencé à développer avec le scénariste du Discours d’un roi ainsi que la difficulté de rendre humain un dictateur sans pitié, responsable de la fuite de sa propre famille de la région.
Quand avez-vous eu pour la première fois l’idée de retrouver l’homme qui avait caché Saddam Hussein ?
Dès qu’ils ont découvert Saddam Hussein dans le trou, j’ai été très intrigué. D’abord, est-ce que c’était vrai ? Beaucoup de gens ne parvenaient pas à le croire. Et puis, comment était-ce possible ? Il était le président tout-puissant, comment avait-il pu finir dans ce trou ?
Mais je ne savais pas comment retrouver l’homme qui l’avait aidé. J’ai cherché pendant deux ans et puis, en 2012, le Washington Post a donné son nom. Et avec son nom, je pouvais désormais le pister. Cela m’a pris un an avant de m’asseoir face à lui, mais à ce moment-là il ne voulait pas parler. Il sortait de la prison d’Abu Ghraib. On le voit sur l’une des fameuses photos prises là-bas [avec la soldate américaine Lynndie England]. La seule raison pour laquelle il est en vie aujourd’hui, c’est parce que le scandale d’Abu Ghraib a éclaté et que la prison a été fermée.
Mais Alaa Namiq n’avait pas de lien avec Saddam lui-même ?
Non, depuis le début je m’attendais à ce qu’ils soient en lien, à ce qu’ils se connaissent. Mais non, il n’était pas du tout en relation avec lui. C’était juste un simple fermier qui, par hasard, a été choisi pour cacher Saddam aux yeux de sa famille, de ses amis et de 150 000 soldats.
Est-ce que vous avez toujours su que c’était juste un homme ?
Non, et cela a fait partie intégrante du processus de fabrication du film. La chose la plus importante que j’ai apprise, c’est à quel point il faut être patient pour raconter une histoire. Et il n’y avait pas que le fait de raconter son histoire ; je devais le rendre humain et comprendre l’histoire de son point de vue. On a toujours vu Saddam Hussein comme le dictateur, le président tout-puissant, et d’un seul coup on voit le roi qui perd sa couronne, c’est une question d’équilibre, Alaa prend le pouvoir.
En tant que Kurde dont la famille a été obligée de fuir à cause de la brutalité de Saddam Hussein, qu’est-ce que cela vous a fait d’explorer sa part humaine ?
Pour être honnête avec vous, faire ce film était vraiment difficile. Ma mère vient de la région qui a été bombardée par les armes chimiques de Saddam. Mais j’ai vraiment tenu à donner à Alaa l’opportunité de raconter l’histoire du point de vue arabe, parce que presque tout ce que l’on a vu à propos de l’invasion en Irak a été raconté du point de vue occidental. C’est pourquoi j’ai décidé, quasiment depuis le début, de le laisser raconter l’histoire exactement comme il le souhaitait.
À partir du moment où vous avez trouvé Alaa, comment avez-vous réussi à le convaincre de vous parler ?
Je pense que la chose que j’ai faite et que n’a pas faite le Washington Post, c’est que j’ai été patient. J’ai passé quatorze ans là-dessus du tout début jusqu’à la fin. Mais le moment décisif a été L’État Islamique en Irak et en Syrie, parce que quand ils ont pris le pouvoir, Alaa m’a dit que tout ce que Saddam lui avait dit qu’il allait se passer en Irak était effectivement arrivé. Et alors il a réalisé qu’il devait raconter cette histoire. Tout ce que Saddam avait prédit concernant le futur de l’Irak s’est avéré.
De votre point de vue, cela a dû être fascinant, indépendamment du documentaire, d’apprendre comment et pourquoi ce fermier irakien avait accepté de cacher l’homme le plus recherché au monde.
J’avais tellement de questions. Pourquoi n’a-t-il pas vendu Saddam pour empocher les 25 millions ? Pourquoi n’a-t-il pas simplement dit : désolé, je ne peux pas vous aider à cause des 150 000 soldats qui sont à votre recherche ? Pourquoi le cacher, pas seulement des soldats américains mais même de sa propre famille ? Personne ne savait. C’était vraiment difficile de comprendre, pour moi scandinave : pourquoi ne pas juste s’enfuir avec sa famille. Mais en adoptant son point de vue, d’une certaine manière j’ai commencé à comprendre, surtout quand on n’a qu’une seule chaîne de télévision dans son pays et que tout ce qui touche à son président est magnifique et parfait, et qu’après il vient chez vous et demande de l’aide. Dans la culture arabe, on ne demande jamais à ses invités combien de temps ils vont rester. Saddam a demandé s’il pouvait rester pour une nuit, au final, ça a été 235.
Étant donné la progression de l’État Islamique, est-ce que la sécurité a été une vraie préoccupation ?
Oui, l’État Islamique avait pris le contrôle de l’endroit où nous voulions tourner le film. Finalement, J’ai emmené Alaa en Norvège en secret, parce qu’il n’y avait aucun lieu sûr au Moyen-Orient pour mener l’entretien. Il y a aussi cette drôle d’anecdote : toutes nos communications avant cela se faisaient sur Tinder. Pas directement mais par des intermédiaires, parce que c’était plus sûr. Nous avons créé des profils Tinder pour les hommes qui me connectaient avec Alaa. Presque tout ce qui concernait ce projet est resté secret jusqu’aux deux derniers mois.
Comment fait-on pour réussir à garder secret un film sur lequel on travaille pendant 14 ans ?
C’est ce que j’ai dû apprendre ! Même pendant la post-production, les personnes qui travaillaient dessus ne connaissaient pas le sujet, et en Irak, quand nous tournions, j’ai écrit un scénario sur la disparition de l’eau potable dans la région. Ils pensaient que je tournais un film sur le changement climatique.
Je suppose que c’était principalement pour la sécurité d’Alaa ?
Oui. Nous nous sommes vus de nombreuses fois pour savoir comment assurer au mieux la sécurité d’Alaa. Mais il disait que la seule chose qu’il voulait avant de mourir, c’était de raconter cette histoire, de raconter la vérité sur ce trou.
De toute évidence, derrière le caractère sérieux de cette histoire, on a aussi l’impression que la relation entre Saddam et Alaa contient des éléments de comédie dramatique, principalement à cause de l’inversion des rôles, où le simple fermier devient le seul protecteur du président.
Oui, en fait c’est une histoire d’amitié. C’est pour cette raison que je suis en train de travailler sur une fiction basée sur cette histoire avec David Seidler, qui a écrit *Le Discours d’un roi*. Nous avons déjà un scénario, et j’espère que c’est moi qui le réaliserai.