Quelle a été la genèse du film ?
Horizonte est né d’un désespoir : pourquoi continuonsnous à nous tuer les uns les autres dans un conflit armé sans aucun sens ? Cette question m’obsédait. Tous nos enfants sont pourtant originaires du même pays, de la même terre. D’une certaine façon, entreprendre la réalisation de ce film était donc une tentative pour moi de comprendre ce qui était arrivé à notre société. La seule chose dont je suis sûr aujourd’hui, c’est que le principal problème se trouve à l’intérieur de chacun d’entre nous.
Nous sommes un peuple qui s’est tellement habitué à la mort que nous oublions ce que vaut vraiment la vie. C’est douloureux pour moi de l’avouer mais force est de constater à quel point nous sommes désensibilisés à la violence et combien on peine à éprouver de l’empathie face aux douleurs des autres.
Mon angoisse s’est exacerbée avec les résultats du Plebiscito por la Paz de 2016 (un référendum colombien qui s’est tenu pour approuver l’accord de paix entre le gouvernement colombien et les Forces Armées Révolutionnaires de Colombie). Dans cette consultation, il était demandé à toute la population s’il fallait signer un accord de paix avec la guérilla des FARC, avec qui l’État Colombien était en conflit depuis plus de cinquante ans. Le choix était simple : Oui ou Non. Le Non a fini par gagner, ce qui est révoltant ! J’ai commencé à me poser plusieurs questions. Comment pouvons-nous rester humains face à des conditions si inhumaines ? Est-ce qu’il y a véritablement quelque chose d’assez puissant pour s’opposer au cynisme et au désespoir ?
La structure du film est singulière. On passe d’une époque à l’autre, au gré des souvenirs des personnages. Pourquoi ce choix de narration ?
L’un de mes plus grands défis était de construire, avec le plus de rigueur possible, l’espace dans lequel allait se dérouler le film. À savoir un espace spirituel, une sorte de limbe. J’ai construit un univers qui m’est propre. Pour informer les vivants, je devais représenter les morts. De la même manière, pour parler du fini, il fallait que j’évoque l’infini. Sans pour autant verser dans le fantastique ! Au contraire, mon intention était de faire un film extrêmement réaliste, qui se déroule dans des endroits où la violence a vraiment été présente, avec des personnages les plus humains qu’ils puissent exister même s’ils ne sont plus de ce monde. Je cherchais une façon de parler depuis leur monde, avec le reflet de leurs actes et de leurs esprits. Cet autre univers se construit à travers eux, à travers leurs gestes, leurs regards, leurs souvenirs, leurs sensations et leurs expériences. Mais également à travers les fantômes des victimes et des bourreaux puisque l’on ne peut pas parler de la violence en omettant des personnes.
Cela m’a mené à me pencher sur la manière dont le temps devait se ressentir dans ce monde spirituel où se déroule le film. Ce que j’ai trouvé et voulu exprimer tournait autour de ce temps subjectif où le présent et le passé pouvaient exister simultanément. C’était une condition fondamentale pour la construction de ces personnages qui ne sont pas juste coincés entre la vie et la mort. Ils existent dans un temps qui n’est qu’une expression de leurs émotions et de leurs pensées. Cela finit par former tout un univers physique, moral et spirituel.
Au centre du propos, il y a ces deux personnages, une mère et son fils. Horizonte n’est-il pas avant tout une œuvre sur la filiation et la transmission ?
Je vois plutôt les choses ainsi. Si deux personnes pouvaient penser ou ressentir quelque chose en même temps et de la même manière, alors il serait plus facile pour eux d’arriver à une compréhension mutuelle. Mais c’est impossible. En conséquence, la seule façon d’arriver à connaître et comprendre l’autre est le dialogue. C’est pour cette raison que le film est centré sur une mère et son fils. Il y a ce lien physique, affectif et spirituel puissant qui ne pourrait pas exister entre deux personnes qui ne sont pas de la même famille.
Pourtant, Basilio et Inés n’arrivent pas à se reconnaître au début. Pas seulement dans leurs rôles de victime et de bourreau mais aussi parce qu’ils ne partagent aucune expérience commune. C’est pour cette raison que, dans Horizonte les protagonistes ne peuvent pas avancer individuellement. Ils ont besoin de l’autre pour comprendre ce qu’ils sont et ce qui leur est arrivé. Je vois plutôt les choses ainsi. Si deux personnes pouvaient penser ou ressentir quelque chose en même temps et de la même manière, alors il serait plus facile pour eux d’arriver à une compréhension mutuelle. Mais c’est impossible. En conséquence, la seule façon d’arriver à connaître et comprendre l’autre est le dialogue. C’est pour cette raison que le film est centré sur une mère et son fils. Il y a ce lien physique, affectif et spirituel puissant qui ne pourrait pas exister entre deux personnes qui ne sont pas de la même famille.
Pourtant, Basilio et Inés n’arrivent pas à se reconnaître au début. Pas seulement dans leurs rôles de victime et de bourreau mais aussi parce qu’ils ne partagent aucune expérience commune. C’est pour cette raison que, dans Horizonte les protagonistes ne peuvent pas avancer individuellement. Ils ont besoin de l’autre pour comprendre ce qu’ils sont et ce qui leur est arrivé.
Le film est très visuel, notamment avec cette brume dans laquelle évolue vos protagonistes. Aviez-vous des références en tête ?
J’avais en tête un voyage physique et spirituel dans un monde complétement dévasté par la guerre où Dieu habite dans les silences. C’était un vrai défi sur le plan de la photographie ! (rires) Pour arriver à ce résultat, j’ai travaillé avec mon chef opérateur, Mateo Guzmán. Nous avons essayé de dépeindre cet univers tout en laissant le spectateur maître de son interprétation. Qu’elle soit intellectuelle ou émotionnelle. Nous avons fait des associations poétiques, en utilisant la logique de la poésie comme une façon d’établir un rapport avec la réalité.
Nous devions utiliser le langage cinématographique pour traduire les pensées et les sentiments de nos protagonistes. Arriver à saisir l’intériorité de nos personnages exigeait des éléments nécessairement concrets. Les visages devaient être comme des paysages qui extériorisent leurs passions internes. Nous avons tenté de donner une émotion propre à chaque séquence par l’utilisation de la lumière. Enfin, l’observation de la nature construisait une idée sur le spirituel et le sacré.
En ce qui concerne les références, j’avais en tête des peintres tels que Goya avec ses « Pinturas Negras » (Peintures Noires) ou quelques œuvres de Caspar David Friedrich comme “Le Voyageur contemplant une mer de nuages”. Sur le plan littéraire, j’ai été influencé par des auteurs comme Dante ou l’écrivain mexicain Juan Rulfo.
Enfin, d’un point de vue purement cinématographique, il y a Andreï Tarkovski bien sûr. Pas seulement pour sa conception du temps ou ses façons d’utiliser le matériel cinématographique, mais surtout pour la manière dont il a essayé de rapprocher les spectateurs de la vie.
Malgré son ambiance parfois éprouvante, l’épilogue de Horizonte tend vers une forme d’optimisme. Comment aimeriez-vous que les spectateurs interprètent ce dénouement ?
De mon point de vue, Horizonte est un exercice d’humanisation autour du vrai sens de la vie dans un monde qui veut constamment nous faire croire que tout est perdu. Ce que j’aimerais que le spectateur comprenne, c’est que nous sommes capables de créer même si nous pouvons détruire les choses. De la même manière, nous sommes autant capables d’infliger des blessures que de les guérir. Enfin, nous pouvons avoir de l’espoir ou croire que tout est perdu. Finalement, notre plus grande vertu en tant qu’êtres humains devient aussi notre plus grande tragédie. Nous sommes absolument libres de faire ce monde à l’image de ce que nous avons dans nos cœurs et nos esprits. Si Horizonte se passe dans l’au-delà, c’est aussi pour nous rapprocher de la vie, pour nous reconnecter à elle.
Dans le rôle de Basilio, Claudio Cataño est saisissant. Comment l’avez-vous choisi ?
J’ai rencontré Claudio pendant le casting. Dès le début, j’ai été étonné par sa capacité à transmettre des émotions. Il passait d’un personnage extrêmement fort à un êtrefragile. Ces qualités étaient parfaites pour se glisser dans la peau de Basilio. Son personnage est un monstre, un être complètement déshumanisé en raison de tout ce qu’il a vécu pendant la guerre. Son but est de récupérer son humanité, mais pour y arriver, il devra se détruire physiquement, moralement et spirituellement. Claudio a su le comprendre et a réussi à construire cet univers intime et personnel. Je suis admiratif de son travail, parce que je suis conscient de la difficulté de s’attacher à un tel personnage, si cruel. Mais Claudio a démontré une grande intelligence en comprenant que son personnage ne se résumait pas juste à sa noirceur, qu’il avait aussi une part de lumière ainsi qu’un désir de transformation et rédemption. Malgré ses doutes, ses peurs et sa culpabilité.
Face à lui, Paulina Garcia est de nouveau incroyable. De quelle manière dirige-t-on une telle actrice ?
Paulina est une actrice d’exception. Elle est sensible, précise et surtout extrêmement généreuse. Travailler avec elle a été une magnifique expérience. Ensemble, nous avons beaucoup discuté de l’histoire, de son personnage, de certains passages déterminants du scénario. Elle avait le geste précis, le mot juste, le ton adéquat. Surtout, elle avait confiance en moi et m’écoutait, ce qui est fondamental dans le rapport créatif entre les acteurs et un réalisateur. Il y a également une autre chose à souligner. Le personnage d’Inés ne peut pas être réduit à celui de « mère d’un meurtrier ». Son univers, tant intérieur qu’extérieur, est beaucoup plus complexe que ça. C’est une victime, mais aussi une femme qui risque ses idéaux pour faire face à toute l’horreur de la guerre. C’est là où Paulina m’a montré toutes ses qualités en tant que personne et en tant qu’actrice. Elle ne s’est pas ménagée. J’ai été extrêmement chanceux de travailler avec elle et Claudio.
Quid de l’ambiance sonore ?
La question de la représentation de la violence dans le film a été compliquée. Je ne voulais pas montrer explicitement les horreurs de la guerre. Je ne voulais pas retranscrire la violence en tant que telle mais plutôt m’intéresser à ce qui reste et ce qui se passe après les traumatismes liés à la violence. Créer l’ambiance sonore d’un récit à la fois très sensoriel et rationnel. C’est pour ces raisons que le son est si important dans le film. D’un côté, il cherche à produire des sensations particulières comme le vide, la solitude ou encore la désolation. D’un autre côté, il devient l’écho d’un passé et d’actes qui sont toujours d’actualité dans certains endroits du monde. La question de la représentation de la violence dans le film a été compliquée. Je ne voulais pas montrer explicitement les horreurs de la guerre. Je ne voulais pas retranscrire la violence en tant que telle mais plutôt m’intéresser à ce qui reste et ce qui se passe après les traumatismes liés à la violence. Créer l’ambiance sonore d’un récit à la fois très sensoriel et rationnel. C’est pour ces raisons que le son est si important dans le film. D’un côté, il cherche à produire des sensations particulières comme le vide, la solitude ou encore la désolation. D’un autre côté, il devient l’écho d’un passé et d’actes qui sont toujours d’actualité dans certains endroits du monde.
Quels sont vos projets ?
Mes films parlent de qui je suis et d’où je viens. C’est ma façon de questionner notre rapport à l’existence. Par exemple, l’enjeu majeur de mon premier film, La Tierra y la Sombra, était la famille. Horizonte traite plutôt du rapport que j’entretiens avec mon pays. Si j’arrive à tourner un troisième long-métrage, j’aimerais parler d’une façon plus intime de ma propre expérience dans ce monde. De ce que j’aime et m’anime au quotidien.
Concrètement, j’aimerais tourner un film sur ce que je pense être la joie et la dignité sur cette terre. Ce sera une comédie cette fois. Tout du moins, je l’espère !