Au début de l’invasion à grande échelle, je deviens productrice exécutive pour des journalistes de la chaîne Al Jazeera English. Je n’avais pas prévu de faire ce travail mais face à l’horreur, cela me permet de tenir en réalisant une mission précise et utile. Je me retrouve au milieu de l’invasion, en train de la documenter. Je parcours de nombreuses zones de combat et je constate la réalité de la guerre.
Avec mes collègues, nous sommes une des premières équipes de presse à pénétrer et découvrir les horreurs de Bucha. Je découvre rapidement que les services de renseignements ukrainiens ont intercepté et rendu publiques des conversations téléphoniques d’occupants russes avec leurs proches en Russie. Je commence à écouter ces conversations le soir, à la fin de mes journées de travail. Le décalage entre la réalité brutale que je vis le jour et ce que j’entends la nuit est comme un électrochoc.
Dans les interceptions, les Russes ont l’air humains. Pourquoi commettent-ils des actes aussi inhumains ? C’est cette question qui m’a amené au film : par le cinéma, je commence à raconter la blessure collective de l’invasion, tout en essayant de décrypter ce que pense cet ‘autre’ qui envahit mon quotidien et le rend chaotique. Ici en Ukraine, le peuple ukrainien nomme les occupants russes des ‘orques’ ou des ‘zombies’, parce que face à leurs actions, ils les voient comme des êtres agressifs et amoraux.
Pourtant, les conversations interceptées montrent à quel point les soldats sont des gens normaux, terriblement humains, mais capables d’actes atroces. Pour moi, c’est la réalité la plus dure à accepter.