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Documentaire / France

J’AI RENDEZ-VOUS AVEC UN ARBRE

J’avais entendu parler d’Eudaldo, un peintre chilien, auteur d’un millier de toiles, disparu depuis longtemps. On m’avait donné une adresse au bord de la Loire, au numéro 640 d’une route qui n’existait déjà plus. Personne n’était venu ici depuis des dizaines d’années. Tout était resté là, comme si quelqu’un avait fui.

ANNÉE
RÉALISATION
SCENARIO
AVEC
FICHE TECHNIQUE
DATE DE REPRISE

2024

Benjamin DELATTRE

1h17 – Couleur – Dolby Digital 5.1

17 Septembre 2024

ENTRETIEN AVEC LE RÉALISATEUR

Comment est venue l’idée de ce film ?

 

Benjamin Delattre : « Tout a commencé par la découverte d’une maison abandonnée. C’était il y a plus de dix ans, un jour éclatant d’été. J’avais à peine vingt ans. Personne n’avait eu l’idéede piller cette petite maison en pierre isolée au milieu des champs, à quelques mètres de la Loire. Elle semblait avoir été abandonnée la veille. Tout, dans ce décor fabuleux, rappelait la présence des êtres qui y avaient vécu. Je me souviens encore de chacun des objets restés là, des vêtements, de l’atelier remplis de tableaux, des tubes de peintures prêts à être utilisés, de deux grands chevalets, des grands masques en céramique, des pantins en bois, des piles de journaux des années 80, des livres en espagnols ouverts à la page où ils avaient été laissés. Je me souviens de l’odeur de la maison qui semblait être restée à travers le temps. Ce jour-là, je ne savais encore que très peu de choses de celui qui avait habité ce lieu hanté. J’ai appris que c’était le dernier atelier du peintre chilien Eudaldo et qu’il était resté à l’abandon pendant trente ans. »

 

Qu’avez-vous voulu raconter ?

 

« En déterrant tout ce qui surgissait de mes fouilles dans la maison, j’ai d’abord voulu comprendre ce qui avait pu amener ce peintre chilien jusque dans cette maison. J’ai imaginé de quoi avait pu être faite cette vie que je découvrais morceau par morceau. Au terme de mes recherches, j’ai fini par m’expliquer cette maison et ce personnage : cette maison, où Eudaldo avait rassemblé toute sa vie, racontait la passion entière de quelqu’un pour son art. J’ai imaginé qu’il avait aimé la peinture plus que tout et tout sacrifié pour elle. Dans le film, j’ai essayé de décrire la croyance absolue d’un peintre en son art, une croyance presque mystique. Le film raconte le rêve de ce personnage guidé par le bonheur de peindre, mais aussi l’histoire de celles et ceux qui l’ont accompagné dans ce rêve ou qu’il a abandonnés pour ce rêve. »

 

Que s’est-il passé après la découverte de cette maison abandonnée ?

 

« Pendant mes années de recherche, qui se sont étirées sur douze ans, je me suis plongé dans la vie d’Eudaldo, en Amérique latine et en France, afin d’essayer d’arracher le coeur du mystèred’Eudaldo, accumulant les indices et les sources les plus contradictoires. Je suis allé dans les tous lieux où Eudaldo avait vécu, j’ai rencontré tous ceux qu’il avait connus et qui vivaient encore, retrouvé ses enfants – l’un est exilé à New York, les deux autres sont au Pérou. J’ai cherché toutes les toiles, sculptures, dessins, rassemblé toutes les lettres et carnets possibles. Tout cela a donné au film une matière infinie. Par exemple, dans les Pyrénées orientales, à la frontière espagnole, je suis tombé sur des photographies d’Eudaldo avec Picasso qui joue au clown avec un faux-nez. Dans la cave d’une maison, en Ardèche, par où était passé Eudaldo, j’ai retrouvé la valise qu’il avait quand il est arrivé par bateau en France, avec l’étiquette du navire et la date de son voyage… Dans la maison abandonnée au bord de la Loire, il y avait, au fond d’un panier en osier, des centaines de négatifs qui venaient de l’appareil photo d’Eudaldo, des centaines de photographies que j’ai restaurées, des images de vie et de travail avec nombre de peintres, sculpteurs, et sculptrices de l’époque. Au Pérou, j’ai retrouvé des lettres d’Eudaldo, envoyées après son départ vers l’Europe, adressées à sa femme Luisa, et à son père. Toutes ces découvertes ont été des points de départ pour le film. »

 

Comment est né ce film ?

 

« L’enquête s’est donc déroulée au Chili, au Pérou, et dans de nombreux pays d’Amérique latine où Eudaldo a exposé, aux États-Unis et aux quatre coins de la France. La liste des personnes qui ont participé à cette enquête est très longue et je les remercie toutes et tous. Les enfants des peintres qu’Eudaldo a connus en France, que j’ai retrouvés, m’ont aussi donné de nombreuses pistes dans cette enquête. Je pense, en particulier, à Jean-Baptiste Manessier et Anne Le Moal. La cinquantaine de témoins que j’ai rencontrés a nourri la construction des personnages d’Eudaldo, Luisa, Consuelo, Danielle, et Domingo qui sont les personnages principaux du film… C’est seulement ensuite grâce à Baptiste Amigorena, le monteur du film, et Sophie Faudel, sa productrice, que la première pierre d’un film a commencé à pouvoir être imaginée. Ils sont tous les deux entrés passionnément dans cette longue recherche et jusqu’au bout… Le film leur doit son existence. La rencontre avec Renaud Personnaz le chef opérateur, Isabelle Poudevigne qui a collaboré au scénario, Amélie Canini au son et mixage, et Rémi Berge à l’étalonnage a permis de construire cet univers étrange et magique. Sans toutes ces personnes, le film ne serait que l’ombre de lui-même. Parallèlement au film, j’ai mesuré, photographié, localisé systématiquement chacune des œuvres d’Eudaldo, pour achever un catalogue raisonné avec Michel-Georges Bernard, écrivain d’art. Malgré tout cela, je ne suis pas sûr d’avoir percé tout le mystère d’Eudaldo… »

 

Pouvez-vous décrire les personnages du film, à commencer par Eudaldo ?

 

« Eudaldo s’est fait connaître dans sa vingtaine en Amérique latine pendant les fronts populaires des années 30. Sa peinture est joyeuse et naïve, ses personnages sont souvent des travailleurs étranges et beaux entourés d’animaux figurés dans des décors de nature surréalistes et poétiques. Eudaldo multiplie alors les tournées d’expositions et les entretiens dans la presse de tout le continent, il est acclamé par la presse de l’époque comme « Le Peintre du Pacifique ».

 

À 24 ans, Eudaldo déclare à la presse : « Toute la vie je peindrai c’est mon seul plaisir: une espèce d’obligation m’enferme dans ma chambre et me pousse à transposer sur la toile tous les motifs du peuple – ses joies, ses peines, son élan. Je veux que la peinture soit une fête largement ouverte et gratuite, je veux rompre les liens malsains de la culture et de l’argent ».

Il s’installe au Pérou puis quitte brusquement l’Amérique latine et sa famille pour rejoindre Paris. Il arrive à Liverpool par bateau, le « Reina del Pacifico », le 6 juillet 1949. Sa peinture, marquée par sa culture andine, se transforme avec l’effervescence qu’il connaît à Paris pendant cet âge d’or. Il côtoie de nombreux peintres arrivés à Paris après-guerre. Il travaille entre l’Ardèche, Paris, les Pyrénées orientales à la frontière espagnole, et son atelier au bord de la Loire. Eudaldo meurt à l’été 1987, sans laisser assez d’argent pour payer sa tombe.

Dans le film, il y a trois autres personnages principaux : Luisa une institutrice péruvienne laissée seule à Lima avec leurs trois enfants, Consuelo une artisane et costumière péruvienne qui a été un mentor pour Eudaldo, Danielle une potière française qui l’a soutenu à Paris tandis que lui l’aidait à élever son fils, alors qu’Eudaldo avait laissé ses propres enfants au Pérou, sans jamais parvenir à les revoir, ces enfants étant aussi des personnages du film… »

 

Pourquoi ce titre : J’ai rendez-vous avec un arbre ?

 

« Le titre du film est tiré des derniers manuscrits d’Eudaldo. Juste avant de mourir, il a écrit des poèmes très courts sur des petits morceaux de papier. Dans un de ses derniers poèmes, il écrit “Demain sera un jour autrement vrai, autrement seul. C’est le printemps qui s’annonce. J’ai rendez-vous avec un arbre qui fleurit dans mon jardin”. « J’ai rendez-vous avec un arbre », c’est aussi une invitation à plonger dans la splendeur de la nature avec la peinture d’Eudaldo. C’est enfin mon étrange rencontre avec ce personnage disparu et envoûtant. »