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JE NE VEUX PLUS Y ALLER MAMAN

Documentaire / France

« Je suis journaliste à Charlie Hebdo, et le 7 janvier 2015 j’ai échappé à l’attentat par la grâce d’un concours de circonstances saugrenues. L’onde de choc passée, une introspection s’est imposée à moi pour redonner un sens à ma vie fragmentée par ce drame.
Parmi tous mes camarades assassinés, il y avait Elsa Cayat, la psychanalyste fantasque, qui tenait une rubrique dans le journal. Nous avions même commencé un film ensemble, sous forme d’entretiens. Guidé par les réminiscences de la parole d’Elsa, je revisite mon histoire et les raisons de mon engagement dans Charlie. Mon film est une quête à la fois sensible et décalée, questionnant le pouvoir des images et les ressorts du mot liberté. »
(Antonio Fischetti)

Année

2023

RÉALISATION

Antonio FISCHETTI

SCENARIO

Antonio FISCHETTI, Anne-Laure DE FRANSSU

AVEC

-

FICHE TECHNIQUE

1h50 - Couleur - Dolby Digital 5.1

DATE DE SORTIE

11 Décembre 2024

HORAIRES DU 4 AU 10 DÉCEMBRE 2024

À VENIR

ENTRETIEN AVEC LE RÉALISATEUR : ANTONIO FISCHETTI

Comment et quand est né le projet de faire le film ?
C’est une longue histoire. Il y a une vingtaine d’années, j’avais commencé la réalisation d’un film avec la psychanalyste Elsa Cayat, qui deviendra ensuite chroniqueuse à Charlie, et périra dans l’attentat du 7 janvier 2015. Mais il s’agissait d’un film autour de la fascination de la prostitution. Vers 2018, mon producteur Philippe Bouychou, m’a convaincu de me replonger dans ces heures de rushes qui dormaient dans ma cave.

En revoyant les cassettes, je me suis rendu compte qu’il y avait dans le discours d’Elsa, beaucoup de choses qui résonnaient aujourd’hui encore en moi, et qui allaient bien au-delà de la prostitution. Des relations commençaient à se tisser, entre des univers à priori totalement différents : quand j’ai connu Elsa, j’étais fasciné par l’image de la prostituée… et mes amis ont été tués, pour des images intolérables aux yeux de certains. Je sentais qu’il y avait des enjeux là-dessous liés au pouvoir du sexe, de la religion, et des images. Pour démêler ce sac de nœuds, j’ai décidé de reprendre cette quête intime en compagnie du psychanalyste Yann Diener, qui écrit aujourd’hui la chronique de psychanalyse dans Charlie.

Comment as-tu conçu le film ?
L’idée était de le construire sous forme de journal intime. Les images tournées à un moment donné, déterminent les séquences ultérieures. Le scénario ne pouvait donc pas être complètement écrit d’avance. Quand nous avons lancé un crowdfunding pour financer les débuts de la production, j’avais précisé : « je ne sais pas où je vais aller avec ce film, mais est-ce que vous voulez m’accompagner ? ». Eh bien, il y a quand même eu un millier de personnes qui m’ont suivi, je ne les remercierai jamais assez ! Ce cheminement m’a conduit à rencontrer différentes personnes, guidé par les réminiscences des paroles d’Elsa, et les rencontres actuelles avec Yann Diener, comme fil conducteur. Ce film n’est évidemment pas une psychanalyse, mais il y a dedans quelque chose d’une psychanalyse. Par exemple, il y a de vraies prises de conscience devant la caméra. Il s’est écoulé plus de vingt ans entre les premières images tournées avec Elsa, et les dernières séquences. Mais la durée fait aussi partie aussi et comme me l’a dit un jour Yann Diener, en plaisantant à moitié, « il y a des psychanalyses qui durent plus longtemps ».

Peut-on dire que dans le film, il y a un humour Charlie ?
Beaucoup de gens, parmi ceux qui ne le lisent pas, se font une idée un peu fausse
de l’ « humour Charlie ». On imagine généralement des dessins plus ou moins graveleux.

Charlie n’est pas seulement ça. Pour moi, l’essentiel est de traiter de sujets profonds avec légèreté, de choses très sérieuses, sans se prendre au sérieux. En ce sens oui, il y a un humour Charlie dans mon film. Mais je me sens aussi beaucoup d’affinités avec les comédies italiennes, où l’on parle souvent de sexe et 5 de religion, qui sont des thèmes éminemment graves dans le fond, mais toujours avec dérision.

Peux-tu nous parler de ton parcours au sein de Charlie ?
Cela remonte à mon enfance. Charlie est le premier journal que j’ai lu, car mes sœurs l’amenaient à la maison. Mes sœurs qui, d’ailleurs, apparaissent dans le film. De plus, le créateur de Charlie était Cavanna, un Rital comme moi, et c’était une affinité supplémentaire. Cela renvoie aussi au poids de la religion. À l’époque, je lisais Charlie, comme Hara Kiri, surtout pour les dessins sexuels, qui alors scandalisaient. Aujourd’hui, ce sont les images religieuses qui condamnent à mort.
Il y a des relations entre ces deux dimensions et mon histoire avec Charlie.
Il ne reste aujourd’hui plus d’anciens membres de ce Charlie des années 1970, à part Willem (qui fait l’objet d’une très séquence émouvante dans le film), soit qu’ils ont été tués dans l’attentat, soit qu’ils sont morts avant, comme Gébé ou
Cavanna. J’ai aujourd’hui l’âge qu’ils avaient quand je les ai découverts, étant enfant. Pour moi, Charlie est une affaire de famille, et c’est ce que j’ai voulu dire aussi dans ce film.

Dans le film, nous retrouvons Elsa Cayat, une des victimes du 7 janvier 2015 à Charlie. Peux-tu nous raconter votre complicité et vos projets communs ?
J’avais rencontré Elsa au début des années 2000, alors que je voulais faire un film avec une prostituée. Nous avions formé un étonnant trio : l’homme, la prostituée, la psychanalyste. Ce film n’a jamais vu le jour. Mais avec Elsa, nous avons publié un livre d’entretiens « Le désir et la putain », chez Albin Michel. A partir de la figure de la prostituée, nous avons tenté de démêler beaucoup de fils autour de la sexualité, et notamment, ses rapports avec la religion. C’est aujourd’hui un tout autre film, qui n’a plus rien à voir avec ces questions. C’est aussi un hommage à Elsa, même si ce n’est pas un film « sur » Elsa, mais un film « avec » Elsa. Et je suis sûr qu’il lui aurait plu. Par son côté baroque, non conventionnel, comme elle l’était elle-même.

Le massacre de Charlie va bientôt avoir 10 ans. Quel est ton sentiment sur ces 10 années écoulées depuis le drame ?
En janvier 2015, quasiment toute la planète clamait « Je suis Charlie ». Et aujourd’hui, on voit beaucoup de gens qui l’étaient à l’époque, dire qu’ils ne sont plus du tout Charlie. Sans parler des jeunes, qui étaient alors enfants, et qui voient ça comme de l’histoire ancienne.

On peut évidemment ne pas aimer Charlie, pour un tas de raisons différentes. Mais être Charlie, c’est brandir le droit républicain d’être athée et de blasphémer.
Perpétuer cet esprit chaque semaine, est une façon de faire vivre nos amis assassinés, et de ne pas abandonner les idées pour lesquelles ils sont morts.

Quelles sont les valeurs que tu aimerais faire émerger grâce à ton film ?
Ce que j’ai voulu explorer à travers ce film, c’est une façon intime d’être Charlie, qui va au-delà de la liberté d’expression. « On croit que les clés de la liberté elle sont en l’autre, mais elles sont en soi », disait souvent Elsa. On a tous en nous, des images mentales dont on n’a pas forcément conscience, et qui nous emprisonnent, qu’elles renvoient à la religion, au sexe, ou autre chose… Être iconoclaste, c’est déboulonner ces idoles intérieures qui nous empêchent de vivre.
À chacun de trouver les siennes pour s’en libérer.

NOTE DU PRODUCTEUR : PHILIPPE BOUYCHOU

Tout a commencé il y a une vingtaine d’années. Un « jeune » journaliste qui cherchait une maison de production de films m’a été présenté par un ami cadreur. Antonio Fischetti venait de rentrer chez Charlie Hebdo et voulait se «frotter» à la réalisation de films documentaires. Il n’avait aucune expérience dans ce domaine. Sans financement extérieur et avec notre seul désir de faire exister un film, nous avons commencé à tourner. Ce projet documentaire avait pour sujet : une enquête personnelle autour de la prostitution.
Cela dura six semaines, puis Antonio décida d’écrire un livre avec la psychanalyste Elsa Cayat qu’il avait rencontrée pour le film. Une maison d’édition fut plus facile à convaincre qu’une chaîne de télé :« Le désir et la putain » était publié chez Albin Michel. Nos rushes devenaient orphelins.
Le 7 janvier 2015, je découvris l’horreur des attentats en écoutant la radio.
Antonio était vivant, mais beaucoup d’autres – dont Elsa – avaient perdu la vie.
Le temps passant, je ne pouvais rester sans rien faire.
Après en avoir longuement parlé avec Antonio, nous avons décidé d’imaginer un nouvelle écriture pour donner une réalité contemporaine à ce qui avait déjà été tourné. Antonio a exhumé les anciens rushes de sa cave et nous nous sommes mis à travailler.
Le chemin a été long et nous avons volontairement attendu que les films «commémoratifs» soient diffusés, que le temps passe… Pour qu’Antonio prenne lui aussi de la « distance ».
Antonio était à un enterrement le jour de l’attentat et donc absent de la réunion de rédaction. Le chemin qu’il parcourt aujourd’hui avec ce film lui permet de recoller les morceaux d’une image, celle qu’il n’a pas vue et qui pourtant le hante encore. Il va donc chercher dans sa propre histoire d’autres images, celles qui lui permettront de se confronter au présent en dessinant les contours de cette image manquante.

Le ton du film est très proche de celui de Charlie Hebdo, mais pas seulement, on pourra penser aussi à Nanni Moretti et Woody Allen et plus près de nous, à Luc
Moullet tant le personnage est à la fois lunaire, inattendu et comme « présent » malgré-lui. La cohérence du récit de ce film est portée par le dialogue entre le personnage principal (le réalisateur) et son inconscient révélé par le psychanalyste incarné par Yann Diener, le successeur d’Elsa Cayat à Charlie. Elle se construit avec une part importante de mise en scène qui pourrait s’apparenter à un dispositif de fiction.

Un récit tel que celui-ci, sensible et personnel, peut se retrouver dans le cinéma comme une expérience narrative, ce qui en littérature serait « essai », et en art plastique « expérimental », tend ici vers le documentaire de création. La force du personnage qui cherche son chemin réside en partie dans ses hésitations et ses doutes, il ne peut avancer qu’avec sa fragilité et la forme du film en est tout naturellement imprégnée.

Cette quête intime, qu’il mène depuis des années, a pris aujourd’hui une toute autre dimension et vient questionner avec ce film – dans le fond comme dans la forme – la liberté de fabriquer de nouvelles images. Ce chemin, nous le partageons depuis le début de notre rencontre.

FICHE TECHNIQUE

Images Antonio Fischetti / Anne-Laure de Franssu / André Demartini / Louise Legaye / Franck Dubuc / Virginia Ennor

Sons Benoît Hardonniere / Renaud Michel

Montage Anne-Laure de Franssu

Musique originale Pascal Comelade

Étalonnage Jean-Luc Fauquier

Mixage Sylvain Philipon

Distribution Philippe Élusse / AKTIS Cinéma – DHR

Production Les Films de la Boussole – II Mots en images – Le Mans Télévision

Producteur Philippe Bouychou

 

Avec LMTV : Pascal Brulon – Directeur des programmes

Avec le soutien du Centre National du Cinéma et de l’Image Animée

de la PROCIREP – société des producteurs et de l’ANGOA

 

de la Région Occitanie Pyrénées-Méditerranée en partenariat avec le Centre National du Cinéma et de l’Image animée

de la Mairie de Paris en partenariat avec le Centre National du Cinéma et de l’Image animée

 

des 920 donateurs du crowdfunding

BIOGRAPHIE DU RÉALISATEUR

Au départ, rien ne prédisposait Antonio Fischetti à devenir journaliste à Charlie Hebdo. Il a suivi des études de physique, et son grand intérêt pour les sons l’a mené à un doctorat d’acoustique, puis à l’enseignement de cette discipline dans des écoles de cinéma.

Par goût pour la diversité et la communication, il est devenu journaliste scientifique. Mais il avait surtout envie d’aborder la science sous un angle social, politique, et personnel. Pour cela, l’espace idéal était la rubrique scientifique de Charlie Hebdo.

C’est ainsi qu’il y est entré, en 1997. Sans l’avoir jamais prévu, il était devenu le collègue de ses idoles d’enfance.

En plus de l’écriture, il n’a pas oublié son intérêt pour le son et l’image. Il l’a exprimé en réalisant des reportages pour ARTE Radio et en animant des émissions scientifiques pour RFI. Il a aussi écrit et réalisé plusieurs films sur la communication des animaux.

Malgré les apparences, il y a une cohérence dans ce parcours : le rapport à l’autre.