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Pendant près d’un mois, 60 enfants et jeunes se retrouvent au bord du lac Léman pour un défi exceptionnel. Encadrés par une quinzaine d’adultes, ils montent de toutes pièces un spectacle théâtral et musical qu’ils produisent ensuite dans les salles de la région. C’est le pari du dépassement de soi au sein de l’œuvre collective dans la création artistique qui est à l’oeuvre. De quoi donner envie aux petits et grands de participer !
2024
Pierre BECCU
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1h20 – Couleur – Dolby Digital 5.1
20 Novembre 2024
Comment est né ce film ?
Je sortais de deux longs-métrages documentaires où j’avais laissé les rênes du récit aux jeunes — des étudiants pour le premier, des jeunes enfants et des adolescents pour le second. Dans Regards sur nos assiettes et Graines d’espoir, ils ont enquêté, pris la parole, et inventé le futur qu’ils souhaitaient voir advenir. Cette expérience a été très enrichissante, mais aussi éprouvante. J’avais besoin de reprendre en main moi-même un récit, sans enfant derrière la caméra. J’étais loin de me douter que j’allais m’engager dans un projet avec autant d’enfants devant la caméra.
La question de la place de la jeunesse ne cesse de m’intriguer. Comment la jeunesse peut-elle participer davantage aux décisions qui la concernent en premier lieu ? On ne progresse pas du tout sur ces aspects ; on semble même régresser, tout en payant au quotidien le prix fort de cette inconséquence. Cela est valable partout dans le monde.
On m’a proposé d’aller passer une journée dans cette colonie de vacances un peu spéciale : les Allumeurs de Lune. J’ai été très impressionné par la démarche de la metteuse en scène et de son équipe. L’expérience a pleinement résonné avec les préoccupations qui étaient les miennes. Un an plus tard, nous avons accompagné la création en immersion pour faire ce film.
J’étais — et je reste — inquiet par la progression constante des technologies, des pratiques qui permettent de se replier encore plus sur soi tout en étant au milieu des autres. À l’inverse, les Allumeurs de Lune proposent l’ouverture aux autres pour se trouver soi-même, et je suis heureux d’avoir croisé leur route.
Comment raconter une création théâtrale qui est aussi une colo ? Quels ont été les parti-pris narratifs et filmiques ?
Tout d’abord, il était évident que nous devions filmer à hauteur. À hauteur d’enfants, de femmes et d’hommes, ce qui impliquait de changer de hauteur en permanence, ce qui impliquait de changer de point de vue. Nous avons dans le film des enfants de 6 ans ou plus qui dialoguent avec toutes les générations, cela va des jeunes animateurs à l’auteur de la pièce, retraité octogénaire, en passant par les costumières, les musiciens ou l’équipe de mise en scène.
Ensuite, comment se faire accepter, alors que tout se déroule très vite, avec une mise en danger permanente des enfants et des adultes ? Nous nous sommes mis au même niveau que tous les participants, nous avons tout partagé avec eux. Même niveau d’intensité, d’euphorie, de doute, de tension, de fatigue. Le choix de suivre certains protagonistes au détriment d’autres s’est fait par instinct. On sait qu’on ne peut pas être partout, on essaye de suivre un flux, une énergie et on accepte soi-même de rater et de recommencer.
N’y a-t-il pas un risque de donner à voir cette aventure comme une parenthèse enchantée réservée à quelques uns ? En quoi cette colo-théâtre s’inscrit-elle dans la modernité et comment peut-elle essaimer ?
J’ai trouvé ces enfants et ces jeunes parfaitement représentatifs de notre société. Pas forcément en nombre, mais en diversité. Les adultes aussi sont représentatifs. À part les professionnels du spectacle, tous les adultes montent sur scène en tant qu’amateurs pour défendre des rôles aux côtés des enfants. Ce changement de posture est très intéressant pour la confiance qu’il fait circuler chez les enfants, et en retour chez les adultes eux-mêmes. Le spectacle qui naît jour après jour est la métaphore d’un système qui permet tout cela. J’ai voulu montrer aussi en parallèle le système, l’institution qui est derrière. La chronique du spectacle aurait pu suffire aux « socio-culs » dont je fais partie, mais la majorité des parents et des enfants d’aujourd’hui baignent dans un monde où l’on a l’impression de pouvoir tout se payer lorsqu’on a les moyens. Ici, c’est le projet qui compte, et l’institution le rend possible par l’engagement d’individus qui ont connu les bienfaits de l’éducation populaire étant enfants eux-mêmes.
Comme dans la démarche portée par Elise la metteuse en scène, j’ai voulu permettre à toutes et tous de faire récit. Non pas dans une recherche d’égalité ou même d’équité, mais parce qu’il est important de comprendre d’où nous venons pour pouvoir nous projeter encore plus loin, ensemble de préférence. Loin de tout tapage, et de toute démagogie, il s’agit « juste » de faire ensemble et de prendre soin, sans aucune prétention, dans un élan créatif et intergénérationnel que je n’avais jamais rencontré auparavant.
Ce n’est pas à moi de dire si l’éducation populaire a un avenir, mais il n’y a aucune raison que cette expérience collective hors du commun, qui apparaît comme évidente, ne puisse pas essaimer. L’éducation populaire s’est institutionnalisée en se structurant. C’était peut-être inévitable. Mais la question d’Ivan Illich mérite aussi d’être posée : « comment une institution peut-elle ne pas phagocyter les valeurs pour lesquelles elle a été créée ?
Ce film pose cette question, non pas avec des mots et des concepts, mais en donnant à voir des gestes, des regards, des êtres qui jouent et grandissent.
Il paraît que notre époque a des airs d’années 30, l’outrance médiatique et les errements égocentrés en plus. Je ne peux m’empêcher de repenser à trois hommes, trois destins parmi tant d’autres : Léon Blum, Léo Lagrange, Jean Zay. Trois individus engagés à qui notre qualité de vie doit beaucoup. Ils ont concrétisé des luttes, consacré des acquis pour toutes et tous, puis ont tous trois souffert de la barbarie d’extrême droite, les deux derniers y ayant laissé leur vie.
Leur héritage est là sur l’écran, comme une promesse encore possible, un monde encore jouable.
Après un Bac D à Chambéry, Pierre BECCU arrive à Paris en 1981, pour étudier le cinéma à Paris III (Censier). En 1983, il poursuit sa formation en Italie, où il fait partie du « Groupe BASSANO–Ipotesi Cinema », créé et dirigé par Ermanno OLMI, le réalisateur de L’Arbre aux Sabots.
À partir de 1985, il réalise des documentaires pour la télévision, avant de passer au long-métrage en 1991, avec La Dernière Saison, sorti sur les écrans le 15 janvier 1992, puis Un Voyage entre amis, sorti en mai 2001.
Depuis 2002, Pierre BECCU s’est surtout consacré au documentaire pour la télévision et le grand écran. Depuis 1997, il encadre régulièrement des ateliers cinéma et vidéo en direction du jeune public pour un nouvel engagement artistique et citoyen. Il a mis en scène le spectacle Music’Alpina.
Il fut également le Président fondateur de la Cinémathèque des Pays de Savoie.