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Carlo, entouré des siens, pour son quatre-vingtième anniversaire, se souvient du passé : ses amours avec Adriana et Béatrice, la montée du fascisme, les enfants…
1987
Ettore SCOLA
Ruggero MACCARI, Furio SCARPELLI, Ettore SCOLA
Vittorio GASSMAN, Fanny ARDANT, Stefania SANDRELLI
2h07 – Couleur – Dolby Digital 5.1
4 Septembre 2024
A Naples, Ettore Scola effectue des repérages pour son film Macaroni. Un jour, il entre dans une petite boutique de brocanteur. Un vieux monsieur l’y reçoit, lui montre la photographie encadrée d’une grande famille réunie autour d’une table. La photo est ancienne, on y voit des gens d’âges divers, un petit enfant assis sur des coussins. « C’est moi » dit le vieux monsieur.
« Cela m’a donné beaucoup de joie et d’émotion, dit le réalisateur. La vie avec tous ses problèmes, toutes ses épreuves, est toujours belle et digne d’être vécue. L’image peut restituer cette beauté. De cette rencontre à Naples naquit La Famille.
J’y pensais obscurément depuis cinq ans à peu près. Depuis une maladie qui m’avait inquiétée. Je recherchais l’occasion de rassembler mes souvenirs. Ma biographie n’est certes pas celle d’Hemingway, mais je me rappelais bien les détails du passé, le temps accordé à la conversation, les rencontres régulières des membres de la famille, mon père qui nous racontait son enfance.
La télévision n’existait pas. Sa voix ne provoquait pas le vide existant aujourd’hui dans les appartements où l’on ne se parle pas. Ce fut le deuxième motif, plus profond. Je crois que, chez tous les hommes, il y a les mêmes pensées, les mêmes chagrins, les mêmes tendresses. Et j’ai voulu donc, faire un film où rien n’aurait de conclusion, où il existerait un large espace, comme un cahier de notes avec quelques dates, quelques repères.
J’ai commencé à écrire seul, puis, avec mes scénaristes Ruggero Maccari et Furio Scarpelli, pour travailler sur ma mémoire. Nous écartions ce qui était trop caractéristique. Souvent, c’étaient les mêmes choses pour nous trois. En somme, il y a un tissu du souvenir qui concorde.
L’HISTOIRE D’UNE FAMILLE
La Famille est une possibilité d’autobiographie pour ceux qui le voient. Ainsi, dans L’Unita, un député a écrit : « Je suis tout à fait éloigné de cette famille bourgeoise. Mon père était plombier. Je l’ai parfois suivi dans son travail et j’ai pu entrer comme cela dans une de ces maisons. Eh bien, je dois dire que La Famille de Scola est aussi ma famille. »
J’ai réfléchi sur le personnage principal. J’ai décidé de prendre un vieillard qui, en 1986, ferait le parcours du temps passé depuis sa photographie de baptême. Alors, dans le scénario, nous avons pris à rebours neuf moments, de durées diverses, selon un impératif qui était d’abandonner les événements historiques importants au profit des événements intermédiaires, où l’on sentait les effets de ce qui était déjà arrivé (ainsi la première guerre mondiale, l’instauration du fascisme, la deuxième guerre mondiale, la libération, etc.), où l’on pouvait ressentir les germes de ce qui arriverait.
On trouve des allusions, des discours historiques mais c’est le grand appartement, la maison familiale en somme, qui représente le changement. Pour le tournage, je disposais d’un très grand décor de studio, avec toutes les pièces, l’escalier et les façades des rues extérieures selon l’orientation des fenêtres.
Je ne porte pas de jugement sur les faiblesses des gens du film, sur leurs défauts. Je ne suis pas d’accord quand on me dit que cette œuvre est pessimiste. Entre 1906 et 1986, entre deux photos de famille, plusieurs vies, plusieurs générations sont passées. Mais, de nouveau, il y a un petit garçon à côté d’un vieillard. C’est la vie, c’est optimiste.
UN AMOUR MANQUÉ : CARLO ET ADRIANA
A chaque moment de notre vie, nous sommes appelés à décider quelque chose… qui est déjà décidé. Pour moi, le discours sur le libre arbitre – dont je ne veux pas abuser – n’est pas augustinien mais plutôt sartrien. L’existence humaine a des rythmes, des contraintes, des épisodes qu’on ne peut pas changer et qui font partie du cycle naturel. L’idée que Carlo aurait eu une autre vie s’il avait retenu Adriana dans l’escalier me fascine. Mais il ne pouvait pas la retenir.
Outre les données réelles de la société italienne (les trois sœurs, tantes de Carlo, ne se marient pas, du fait que la première n’a pas trouvé à se caser ; ensemble, elles représentent une force), il faut tenir compte du déterminisme.
Pour interpréter les rôles de Béatrice et d’Adriana, j’avais eu un moment l’idée de prendre deux sœurs jumelles, mais cela aurait causé trop de difficultés. Et puis, je cherchais moins les ressemblances physiques que les ressemblances de caractère. Alors, deux jumelles… Pour en revenir à cette histoire d’amour, je crois que l’exceptionnel n’existe pas. »
Propos recueillis par Jacques Siclier – Le Monde – 20/08/87