DE QUOI PARLE VOTRE SECOND LONG-MÉTRAGE ?
Dans cette nouvelle histoire, l’océan et sa puissante houle ont volé le mari et la belle-sœur de Jeanne. On suivra la place du survivant dans ce film et toutes les interrogations qui le hantent. Pourquoi moi ? Suis-je à la bonne place ? C’est un film où l’on observe le manque et l’absence. Comment combler le vide ? Comment s’occuper et vivre encore ? Tom, 19 ans, fait part à Jeanne de son souhait de quitter l’île pour tenter sa chance en tant que comédien à Paris. En une fraction de seconde, le jeune homme brise l’équilibre instable de Jeanne qui se retrouve plongée dix ans en arrière, comme au lendemain de la disparition de son mari. Dans ce film, Tom va alors bousculer Jeanne et la faire évoluer au cours du récit. Jeanne va progressivement comprendre, grâce à Tom, qu’elle doit être l’autrice du reste de sa vie pour qu’elle en fasse vraiment quelque chose d’autre, quelque chose de bien… pour elle et pour ceux qui restent.
POURQUOI AVOIR CHOISI L’ÎLE D’YEU COMME LIEU DE TOURNAGE ?
Après mon premier long-métrage « Mes Frères » sorti le 4 Juillet 2018, je décide de tourner mon deuxième film à nouveau sur l’Ile d’Yeu. C’est un décor qui prend une place forte dans la réalisation de mes films. L’île d’Yeu concentre une grande diversité de paysages. En tournant sur cette île, nous disposions d’une riche et belle palette de paysages, plus sauvages les uns que les autres, mais aussi d’une diversité de lumières.
Le temps change souvent sur l’île. C’est une de ses forces. Nous pouvions débuter une journée sous la pluie et la terminer sous un grand soleil et vice versa. Même si cela a parfois rendu le tournage plus complexe, la multiplicité des couleurs et des lumières sont, à chaque instant, toujours époustouflantes sur l’île. Être sur une île renforce aussi l’esprit d’équipe. La cohabitation avec les islais a été chaleureuse et porteuse d’une belle collaboration. Certains habitants ont participé activement au tournage et nous ont mis à disposition leurs décors (cabanes, maisons, bars…), d’autres ont figuré dans dans certaines scènes du film et ont été d’une grande aide pour la logistique du tournage. L’association de chasse et bien d’autres habitants ont participé, de près ou de loin, à la fabrication de ce long-métrage. Nous pouvons dire que l’île d’Yeu, plus qu’un décor, est un personnage à part entière du film “Le Bonheur est une bête sauvage”.
QUELLE EST LA PLACE DE LA NATURE DANS VOTRE FILM ?
Avec ses longues plages et ses dunes côtières fixées par des bois de résineux, sa côte sauvage aux falaises altières enserrant des criques de sable blond, ses landes à l’herbe rase, ses chemins creux qui sillonnent les combes et côtoient les falaises, la nature tient une place centrale dans le film. Jeanne arpente sans cesse la côte Sud de l’île et elle l’observe. Les yeux toujours rivés vers l’océan, Jeanne est contemplative dans ce film.
La contemplation d’un paysage est sans doute le plus beau garde-fou que l’on peut se donner pour faire face à la violence des choses, l’agressivité des êtres et la brutalité du monde. C’est pour cela encore que la contemplation du paysage nourrit l’itinéraire de résilience de Jeanne en lui permettant de retrouver la simplicité au-delà du désordre, l’harmonie en dépit des conflits et le plaisir d’être au monde par-dessus tout ce qui a pu la malmener, l’émousser ou l’éteindre…
LE THÈME DE LA RENAISSANCE EST AU COEUR DE L’HISTOIRE, POUVEZ-VOUS NOUS PARLER DE CE SUJET ?
« Le bonheur est une bête sauvage » est un film sur le renoncement et la renaissance. La renaissance de Jeanne évidemment, mais aussi celle de Jan et Suzanne qui débutent une nouvelle relation amoureuse à 70 ans, celle d’Oskar et Viktor qui propagent sans relâche leur bonne humeur sur l’île et enfin celle de Babette et Emma qui bougent leurs lignes de confort et s’émancipent un peu plus encore. Jeanne se trouve dans les deux dernières étapes du deuil qu’elle se doit de franchir : la résignation et l’acceptation. La peau d’ours dans le film représente le souvenir de Jorgen mais agit aussi comme une chappe de plomb qui la cloue au sol. Jeanne va tenter de s’en délester une bonne fois pour toute. Une peau d’ours qui représente tout ce qu’a été Jorgen et dont il faut se séparer, qu’il faut déposer pour mieux s’alléger et se reconstruire. Jeanne était profondément amoureuse de Jorgen.
La vie de Jeanne a basculé le 20 Avril 2013. Elle ne s’en est jamais vraiment remise. Elle fait mine d’avancer mais elle stagne. Elle flétrit, elle fane. A l’annonce du départ de Tom, c’est comme si elle retombait au lendemain du naufrage. C’est une véritable gifle que Tom lui colle, un coup dans le dos pour mieux rebondir et continuer de vivre encore.
QUELLE EST LA TEMPORALITÉ DE VOTRE FILM ?
Cette histoire de Jeanne et Tom se déroule sur une semaine… une semaine de pleine lune et ce n’est pas un hasard puisqu’une lune qui s’attarde à l’horizon dans le ciel d’une aurore splendide forme un ciel différent qui, quelle que soit l’humeur de celui qui le regarde, prend un air harmonieux, apaisant et consolant. La lune veille ainsi sur les nuits de Jeanne pour permettre à son esprit de prendre le temps de se ressourcer en méditant à la lumière d’une clarté qui ne se fait jamais brutale. La lune accompagne ceux qui ne dorment pas. Discrète, tendre et attentionnée, elle prend la forme de cet astre doux qui, la nuit, même si on ne la regarde pas ne cesse de nous contempler.
VOUS AVEZ TRAVAILLÉ EN FAMILLE …
D’une manière générale, j’aime collaborer avec mes amis proches et ma famille. J’ai toujours fonctionné comme cela. “Le bonheur est une bête sauvage” est le fruit de cette énergie commune, de la réunion de talents complémentaires : l’écriture, la réalisation, la chorégraphie, le jeu et la direction d’acteurs, le travail des images, de la lumière, de la musique… Je suis entouré de personnes talentueuses, chacune dans leur domaine et il me paraissait évident de les intégrer dans ce projet singulier et ambitieux. Ma femme joue Jeanne, mon fils joue Tom, ma nièce joue Emma, le reste des personnages sont mes amis … Pourquoi dites-vous que j’aime travailler en famille ? [rires] En revanche, ils ont tous passé des essais tout comme les autres comédiens, je ne les aurais pas choisis si leurs essais n’avaient pas été convaincants.
QUELS CHOIX ARTISTIQUES AVEZ-VOUS FAIT ? QUELS SONT LES GRANDS AXES DE MISE EN SCÈNE DU FILM ?
J’ai réalisé un film au style décalé, aux frontières des écritures singulières de Wes Anderson ou de Gondry. Une pancarte de « Saint Sauveur » que l’on déplace comme pour ne pas franchir des étapes interdites. Un ours qui effraie une ville comme une menace invisible. Une touriste allemande qui débarque et s’initie dans l’interstice de la vie des gens. Deux personnages décalés du bar « Le bon accueil » qui ont une double vie de garde-chasse le jour et crooner la nuit. Autant de personnages et d’éléments secondaires décalés qui accompagnent le chemin de résilience de Jeanne et le départ sur le chemin de vie de Tom. Autant aussi de situations burlesques qui vont permettre au film de traverser des sentiments chargés de manière plus légère. Au niveau de certains cadres, j’ai mis en place une grammaire propre à la place de Jeanne dans le film. J’ai cherché à décadrer son personnage sur les séquences de plage. J’ai souhaité filmer aux grands angles sur la longue plage des Vieilles avec Jeanne qui est, au début du film, totalement décentrée. Elle est au bord du cadre, au bord du gouffre. Sur ces séquences à répétition de plage, elle vient progressivement retrouver le centre de l’image, au fur et à mesure que l’histoire se déroule. Face à la mer, Jeanne se balade dans le cadre du film, selon l’évolution de sa résilience.
POURRIEZ-VOUS NOUS PARLER DE LA COLORIMÉTRIE DU FILM ? DE L’IMAGE ?
Les nuits dans ce film sont filmées en nuits américaines. C’est un désir photographique fort qui accompagne les sorties de Jeanne avec sa peau d’ours sur la côte Sud de l’île. Le bleu-gris nourrit l’aigreur, la tristesse et la rancœur. Il tapisse les idées d’une langueur acescente qui, si l’on n’y prend garde, les rendrait vite maussades. Mais le bleu-gris connait aussi la nuance et il peut alors signifier une forme d’accalmie et même, pourquoi pas, griser celui qui parvient à se remplir de la clarté qu’il dissimule en le mettant dans un état proche de l’ivresse. Quand le bleu-gris n’est pas confondu avec de la grisaille, il ne donne pas aux paysages un air de désolation. Au contraire, quand le regard perçoit dans le bleu-gris les coups d’éclat que le ciel y délaisse, le paysage, sans devenir tout à fait gai et rieur, ne s’en fait pas moins aimablement réparateur et tendrement consolant… et Jeanne en a cruellement besoin dans ce film sur son chemin de rédemption.
La colorimétrie de ce film est quelque peu vintage, saturée, contrastée, avec des mélanges de froid-chaud, qui accompagnera également ce pas de côté du film à l’image. Les lumières naturelles à couper le souffle de l’île d’Yeu permettent également aux séquences de leur offrir de très beaux écrins. Nous avons tourné en Septembre 2023 sur des débuts et des fins de journée pour utiliser des soleils plus rasants. Pour affirmer l’esthétique décalée de ce film, j’ai choisi de tourner en Arri Mini avec une série d’objectifs Anamorphiques de chez Panavision. Une série d’optiques Vintage recarrossées sur une base de Cooke S3. Un rêve de cinéma absolu en anamorphique pour conter cette histoire.
LE SON
Au niveau du son, j’ai accordé une place particulière au silence dans le film et dans la vie de Jeanne… un véritable refuge. Le silence, comme une mer étale. Le silence, cette merveilleuse musique de l’esprit, ce morceau de ciel descendu vers Jeanne, cette mise en sursis des bruits du monde est alors le refuge ultime de la liberté qu’elle s’octroie pour se laisser en paix sans rien chercher à meubler parce que le silence suffit parfois à tout habiter.
LA MUSIQUE A UNE PLACE IMPORTANTE DANS VOTRE FILM, COMMENT L’AVEZ-VOUS TRAVAILLÉE ?
La musique fait partie intégrante de ce film car je suis convaincu de sa force et de son impact dans cette nouvelle histoire. La musique a aussi le pouvoir émotionnel de retranscrire la beauté d’un paysage, la désillusion d’un être humain ou bien l’espérance d’une âme en peine. Je ne l’ai pas voulu ostentatoire mais en parfaite adéquation avec des silences, des paysages et des dialogues. Les artistes musicaux qui nous suivent dans cette nouvelle aventure cinématographique sont Sébastien Blanchon, Philémon Cimon, Les Soeurs Boulay, Black Lilys, Tana & The Pocket Philharmonic… “Le bonheur est une bête sauvage” est un triangle « presque » équilibré entre l’image, la musique et le mouvement. Nous avons dû rechercher l’émotion pure dans ces trois arts qui sont si complémentaires. La musique ne doit pas être qu’un accompagnement du film mais faire partie intégrante de la dramaturgie.