Inspiré de faits réels, LES FLEURS DU SILENCE présente une méthode radicale et éprouvante visant à guérir l’homosexualité. Qu’est-ce qui vous a amené à choisir ce sujet pour votre premier film ?
L’idée de LES FLEURS DU SILENCE est née lorsque j’ai appris l’existence d’une procédure très choquante datant des années 1920 qui prétendait « guérir » l’homosexualité. Cette histoire m’a semblé être une expression glaçante de la violence que les personnes homosexuelles subissent encore aujourd’hui, tout en évoquant les livres et les lms qui m’ont le plus influencé dans ma jeunesse, comme le chef-d’œuvre de James Baldwin LA CHAMBRE DE GIOVANNI, ou bien CAROL de Todd Haynes et MAURICE de James Ivory (d’après le roman d’E.M. Forster), pour n’en citer que quelques-uns. Je voulais inscrire mon premier lm dans cette tradition. La société aime à prétendre que l’homosexualité est un phénomène récent, et je pense donc que les histoires qui explorent le passé d’une nouvelle manière ont un grand pouvoir.
Avez-vous effectué des recherches approfondies sur cette méthode et sur la perception de l’homosexualité dans les pays occidentaux au cours des années 1920 ?
Absolument. Je me suis plongé dans des sources telles que « Curing Queers : Mental Patients & their Nurses » de Quentin Dickinson qui révèle des récits fascinants d’amitiés entre des hommes gays et leurs infirmières (ou infirmiers) psychiatriques. De nombreuses infirmières (ou infirmiers ) se sont radicalisées, combattant le système de l’intérieur. Au cours de mes recherches, j’ai découvert un autre aspect souvent négligé de cette période : la présence de femmes noires travaillant comme infirmières au Royaume-Uni et dont l’histoire n’a pas été racontée. L’amitié entre Owen et Dorothy dans le lm est née de ces histoires parallèles. Pour ce qui est de l’aspect médical, j’ai déniché de vieilles revues médicales à la bibliothèque de la Société Royale de Médecine à Londres et j’ai même retrouvé un documentaire d’Eugen Steinach datant de 1920 sur ces procédures. Un document exceptionnel sur l’histoire du cinéma et le travail de Steinach. Cela dit, je ne voulais pas que le lm ressemble à un document historique aride. Notre costumière, Grace Snell, nous a demandé si le film devait être une peinture ou une photographie. Cette distinction s’est avérée impérative.
Le fait d’aborder LES FLEURS DU SILENCE comme un tableau – par l’interprétation plutôt que par le devoir – nous a permis de raconter l’histoire à notre façon. Comment le personnage d’Owen s’est-il concrétisé dans votre processus créatif ?
Le personnage d’Owen est un romancier gay de l’Angleterre des années 1920 qui ne voit pas sa sexualité comme un problème. Il veut juste aimer librement dans un monde qui lui dit qu’il est fondamentalement imparfait. Comme l’a magnifiquement dit l’un de nos producteurs après avoir vu le premier montage : « C’est la nature d’Owen. Aimer ». Je dois admettre que je suis tombé dans le piège classique du réalisateur néophyte : Owen était au départ dangereusement proche de moi, jusqu’à son penchant pour les gilets de laine. Mais Fionn O’Shea est arrivé et a insufflé à Owen une vie que je n’aurais jamais imaginée. L’interprétation de Fionn a donné à Owen une profonde capacité d’amour et une douceur, presque féminine. Dès que je l’ai entendu lire le rôle, Owen s’est transformé. Le personnage était au départ un autoportrait, mais l’interprétation de Fionn l’a transformé en quelqu’un d’entièrement nouveau. Le film met en scène une nouvelle génération d’acteurs et d’actrices. Comment les avez-vous préparés à leurs rôles et comment avez-vous réussi à faire fonctionner l’alchimie entre eux ? L’alchimie entre les acteurs a été vraiment organique. Tout a commencé avec Robert Aramayo, que je connaissais de la Juilliard School de New-York. Nous avons passé plus d’un an à parler du lm et de son personnage avant même de commencer le tournage. Il a été un grand défenseur du projet dès le premier jour. Ce qui est amusant c’est que Rob a trouvé Fionn pour nous alors qu’ils travaillaient ensemble sur un autre projet. Il m’a appelé, fou de joie, en me disant : « J’ai trouvé notre Owen ! ».
Puis, des mois plus tard, le jour même où j’ai décidé d’orir le rôle de Charles à Louis Hofmann, Fionn a rencontré Louis par hasard dans un bar à Londres ! Nous avons eu la même chance avec Erin, pour qui j’ai tout de suite eu un coup de foudre, et avec Jodi, qui est l’une de mes meilleures amies et qui apporte tant de profondeur à chaque rôle. Mon véritable neveu joue le rôle de son petit garçon, et le film est produit par mon mari Hannes Otto et notre meilleur ami Roelof Storm, de sorte que nous avions vraiment l’impression de former une famille. Cette atmosphère familiale s’est également étendue à notre processus de préparation. Nous avions des répétitions formelles – j’y crois beaucoup, car je viens du théâtre – mais les liens informels étaient encore plus importants. Par exemple, Rob, Fionn et Louis ont passé un week-end ensemble dans un chalet avant le début du tournage, pour se plonger dans leurs personnages et leurs relations. Ce type de travail préparatoire a été essentiel pour l’ensemble du projet.
Qu’est-ce qui vous a amené à adopter cette écriture et ce montage alternatifs entre le passé et le présent pour le film ?
La structure du film n’était pas vraiment une décision calculée – c’était plutôt une intuition. La vérité, c’est que j’écrivais plus vite que je ne pouvais penser aux défis pratiques qu’impliquait la réalisation d’un drame d’époque pour un cinéaste débutant. En post-production, j’ai passé des moments incroyables avec notre monteuse, Julia Bloch, pour déterminer comment tirer parti des allers-retours entre le passé et le présent. Ce concept structurel nous a finalement apporté de nombreux avantages. D’un point de vue technique, cela nous a donné un autre « monde » dans lequel on pouvait couper tout en faisant monter le suspense. Mais surtout, cela nous a permis de mettre en évidence les différences agrantes entre les relations d’Owen à travers ces deux lignes temporelles. Le va-et-vient entre le passé et le présent n’est pas seulement un choix stylistique – c’est la façon dont nous vivons la mémoire, la façon dont nous nous débattons avec notre histoire. En fin de compte, ce qui n’était au départ qu’une intuition est devenu un élément crucial de notre narration.
Pouvez-vous expliquer le contraste que vous établissez entre Dot et Philip en ce qui concerne leurs relations avec Owen ?
Au cœur du lm, LES FLEURS DU SILENCE tisse deux relations essentielles dans la vie d’Owen. D’un côté, il y a Philip, son meilleur et plus vieil ami – c’est une romance interdite, compliquée par la détermination de Philip à faire disparaître leurs sentiments mutuels. De l’autre, il y a Dot, une infirmière psychiatrique chargée de « soigner » Owen par une série d’entrevues bizarres prescrites par le médecin. L’ironie de la chose, c’est que Philip et Dot ont tous deux entrepris de changer Owen. Mais au fur et à mesure qu’ils se rapprochent de lui, leurs chemins divergent radicalement. La lutte de Philip contre ses sentiments le conduit vers une spirale de violence, tandis que le voyage de Dot l’amène vers un lieu d’acceptation radicale. Le film est une conversation entre ces expressions antithétiques de l’intimité.
Le film présente un contraste notable entre la lumière chaude des bougies dans la maison et l’éclairage froid de l’hôpital. Comment avez-vous abordé la conception de l’éclairage du film ?
Mon directeur de la photographie, Cory Fraiman-Lott, et moi-même nous nous sommes inspirés d’un large éventail de sources – des peintures de Salman Toor, Henry Scott Tuke, Luke Edward Hall, et des lms allant de SWOON de Tom Kalin à PHANTOM THREAD de Paul thomas Anderson, en passant par HAPPY TOGETHER de Wong Kar-wai. La liste est longue. Nous avons opté pour une ambiance clinique dans le service mais nous avons essayé de défaire la représentation prévisible de ce type d’espace avec une texture verte et crasseuse, des compositions géométriques, des mouvements de caméra précis et des objectifs larges qui engloutissent les personnages. Le cottage, quant à lui, n’est que chaleur et intimité. Mais là encore, nous voulions remettre en question l’aspect bienveillant typique d’une romance campagnarde des années 1920. La caméra a fonctionné comme une extension des personnages, plutôt que comme une forme de surveillance extérieure, de sorte que les compositions sont plus désordonnées et plus subjectives. La lumière des bougies donne une impression de confort et de nostalgie, mais fait aussi apparaître des choses qui se cachent dans l’ombre. Au fur et à mesure que l’histoire progresse, ces langages visuels opposés se fondent l’un dans l’autre.