La soi-disant « Révolution de 1989 » est, très probablement, le plus grand événement inachevé que notre société ait traversé dans l’histoire récente. C’est l’une des raisons pour lesquelles j’ai voulu dépeindre avec précision le chaos et la confusion totale des gens ordinaires de cette époque. La vérité a été volontairement déguisée, et le blanchiment des faits a été cultivé pour devenir un art en soi. Ma génération (j’avais 18 ans en 1989) a grandi avec cette « psychose » des terroristes : c’étaient supposément des Arabes, puis des espions russes, puis des officiers de la Securitate, et ainsi de suite.
La radio et la télévision publiques ont convaincu la population, par une manipulation grossière, que ces « terroristes » existaient réellement et qu’ils étaient devenus l’ennemi absolu, juste après la fuite de Ceaușescu. Je voulais les voir capturés et punis, car j’étais certain qu’ils étaient responsables des nombreux morts innocents et insensées de l’époque.
Nous savons maintenant, 30 ans plus tard, que ces « terroristes » étaient fictifs, rien d’autre qu’un concept fabriqué dans les laboratoires de désinformation qui fonctionnaient parfaitement dans le chaos informationnel de l’époque. L’armée a tiré sur des civils innocents et a servi de principale force de répression contre les manifestants. Il fallait inventer des « terroristes », car on en avait besoin pour expliquer le manque de coordination de l’armée et les décisions prises contre l’intérêt du peuple.
C’est pourquoi je voulais que des gens ordinaires soient au centre de mon film : Viorel, un officier qui n’était impliqué en aucune façon dans la répression violente des manifestations de rue, même s’il travaillait pour la Militia (les forces de police de la Roumanie communiste), se retrouve emporté par le vortex, et sa vie change radicalement. Il tue (ou du moins s’inquiète de l’avoir fait), agissant en légitime défense. Il fait face à d’importants dilemmes moraux, il est témoin des actes hypocrites des commandants de l’armée, et comprend finalement qu’il devient un pion (un « terroriste ») dans un jeu absurde.
Il était essentiel de capturer la réalité brute de ces jours-là, où tous les acteurs impliqués étaient confus et agissaient dans le chaos. C’est pourquoi je n’ai imaginé aucune autre esthétique/direction artistique que celle qui nous rappellerait des images documentaires de l’époque. Une caméra portée à l’épaule, proche des personnages et de leur parcours. Des mouvements fluides et des longs plans-séquences, notamment au début du film, lorsque les officiers de la milice sont attaqués par l’armée.