Fiction / Italie, France

PASSION D’AMOUR

De retour dans le Piémont après plusieurs campagnes brillantes, Giorgio Bacchetti, un jeune capitaine de cavalerie, s’éprend de la belle Clara, une femme mariée et mère de famille. Cet amour partagé, provoque un petit scandale, que les autorités militaires s’empressent d’abréger en mutant Giorgio dans une garnison alpine isolée. Séparés, les amants entament une longue correspondance. A la table du colonel, Giorgio remarque une place vide. C’est celle de Fosca, la cousine du colonel, que l’on dit atteinte d’une maladie incurable. Il n’en faut pas plus pour éveiller la curiosité du jeune capitaine…

ANNÉE
RÉALISATION
SCENARIO
AVEC
FICHE TECHNIQUE
DATE DE REPRISE

1981

Ettore SCOLA

Ruggero MACCARI, Ettore SCOLA d’après le roman Fosca de Iginio Ugo TARCHETTI

 Bernard GIRAUDEAU, Valeria D’OBICI, Jean-Louis TRINTIGNANT

1h57 – Couleur – Dolby Digital 5.1

4 Septembre 2024

SUR LE FILM

Bien qu’Ettore Scola ait déjà abordé le film en costumes avec Belfagor le magnifique (1966) et avec Une journée particulière (1977). il n’empêche – compte tenu de l’apparente intemporalité du film – que Passion d’amour surprend par rapport à ce que l’on sait et ce que l’on attend du cinéaste. En réalité, le décalage est trompeur et il faut bien admettre que Scola demeure d’une fidélité exemplaire à ce qui constitue son univers.

Dans Passion d’amour, le cinéaste met en scène les étranges rapports qui s’établissent entre un officier dont les charmes ont retenu une femme très belle et qui provoque chez une autre femme – un être d’une laideur qui confine au malaise une passion dévorante. Cette passion est si forte qu’elle finit par provoquer d’abord la rupture du premier couple puis, par d’obscurs cheminements, elle suscite la découverte chez le jeune officier d’un étrange sentiment : il est tombé amoureux de la femme laide. L’unique étreinte qui suit est comme l’expérience décisive de l’existence des protagonistes : Fosca mourra et Giorgio sombrera dans l’alcoolisme, prêt à raconter à qui veut l’entendre sa surprenante histoire. Cette ultime séquence sert d’ailleurs à révéler que le film n’est qu’un flash-back et que la voix off qui accompagne l’œuvre n’est pas un commentaire mais un récit fait a posteriori.

L’action de Passion d’amour se situe dans les années immédiatement postérieures à la création du royaume d’Italie en 1861. Le cadre en est le Piémont et les principaux acteurs du drame, outre les femmes, sont des militaires que l’absence de conflit armé engonce encore davantage dans le rituel et la discipline qui caractérisent la vie de garnison. Scola, parfaitement à l’aise dans la reconstitution de l’atmosphère d’époque donne à son film – comme pour accentuer le décalage entre les apparences feutrées et la violence de la passion qui couve – des allures calligraphiques : les soldats dans leur uniforme impeccable, les chevaux, les bâtiments de brique rose, tout est saisi dans une lumière tour à tour orangée ou bleuâtre qui communique la douceur des abandons ou la froideur du détachement.

Le thème de l’enfermement s’exprime ici dans une nouvelle illustration. Les constructions closes de la baraque d’Affreux, sales et méchants ou de l’immeuble fasciste de Une journée particulière trouvent leur équivalent dans la caserne quadrangulaire repliée sur sa cour centrale. C’est dans ce monde régi par une étiquette sévère qu’éclate la passion destructrice.

Il y a dans Passion d’amour une manière de représenter la vie militaire qui évoque Le Désert des Tartares avec cette existence de garnison dont la stérilité répétitive n’est jamais très loin de l’absurde buzzatien. Buzzatien aussi le sentiment obscur de l’attente et l’impossibilité pour Giorgio – comme pour Drogo dans Le Désert des Tartares – de quitter la caserne et de retourner à Turin.

De même, toujours dans le droit fil de ses œuvres antérieures, Scola fait de la laideur une nouvelle illustration de la diffé- rence qui condamne à la marginalisation. Les exclus de la pauvreté, de l’émigration ou de la différence sexuelle ne sont pas loin de l’héroïne de Passion d’amour, un être que sa laideur condamne à vivre en recluse. Dans la rencontre avec le bel officier et dans l’amour fou qui nait dans le cœur de la malheureuse Fosca s’exprime la tentative désespérée de sortir de la solitude et de retrouver la communication avec l’autre.

Film douloureux et tendu, Passion d’amour a parfois provoqué des réserves quant à l’évolution du personnage de Giorgio: d’aucuns ont reproché à Scola de ne pas suffisamment rendre explicites les raisons qui conduisent l’officier à tomber à son tour amoureux de Fosca. Il me semble qu’au contraire toute la qualité du film réside dans le mystère qui entoure un acte dans lequel s’imbriquent tendresse, pitié, amour, don et destruction de soi, un mouvement de l’âme qui scelle le destin des protagonistes.

Jean A. Gili, La Revue du cinéma, n°365, octobre 1981