Ce film, c’est presque 7 années de travail avant d’avoir pu tenir la promesse faite à votre sœur. À quelles parties du processus avez-vous consacré le plus de temps ?
En août 2018, je me suis arrêté pour une année à temps plein dans le projet puis je l’ai continué pendant 5 ans en parallèle d’un travail. Au début de cette fameuse première année, j’étais persuadé que j’allais terminer le film en 1 an. J’ai rapidement rencontré des personnes du milieu du cinéma à la recherche de conseils. La première personne rencontrée, un réalisateur chevronné, m’a dit que ça me prendrait au moins 6 ans. Sur le coup, je me souviens avoir nerveusement rigolé car je ne pouvais pas y croire… mais force est de constater qu’il avait bien raison ! Finalement, ce temps long était nécessaire pour accomplir toutes les étapes de la réalisation du film mais surtout, pour savoir ce que je voulais vraiment partager.
La phase d’écriture a été la plus longue et la plus difficile à vivre pour moi. Ça a duré trois ans, pendant lesquels je me suis fait accompagner par trois personnes différentes. La plus grande difficulté était mon incapacité à assumer le fait que mon travail de réalisation fasse partie du film, ça ne pouvait plus juste être un film sur ma sœur. Je me souviens répéter en boucle que ça ne sera que son portrait, et que peu importe le réalisateur, ce film serait le même. J’ai finalement choisi de raconter comment notre famille a vécu notre histoire. En parallèle, la recherche de financement a pris plusieurs années. Il y a eu 32 jours de tournage étalés sur 1 an.
Vous le dites dans le film, Laurène a laissé derrière elle des dizaines d’heures de vidéo qui racontent son histoire. Comment les avez-vous sélectionnées ? Étiez-vous plusieurs pour les choisir ?
Après son départ, ça m’a pris deux ans avant de pouvoir les regarder. Ceci étant dit, au début, je ne me sentais pas capable de le faire seul, j’avais trop peur de ce que je pouvais y découvrir et de ce que ça allait remuer en moi. J’ai demandé à ma grande sœur et à trois de nos meilleurs amis avec Laurène de m’accompagner. On s’était réparti les vidéos que j’avais centralisées, pendant plusieurs semaines. On avait un document sur lequel chacun décrivait le contenu de chaque vidéo. J’étais convaincu que je n’aurais ainsi pas besoin de regarder les vidéos que les autres avaient visionnées. Finalement, j’ai eu le déclic quelques semaines plus tard et j’ai ressenti le besoin de toutes les regarder, de nombreuses fois…
Pourquoi était-ce important pour vous de revivre l’histoire de Laurène par les témoignages de votre famille ?
Quand j’ai décidé que ce film ne serait pas uniquement le portrait de Laurène mais qu’il raconterait comment notre famille avait vécu notre histoire, il était essentiel d’aller recueillir les témoignages de chacun d’entre eux. Voir les images de Laurène m’a replongé dans ce que nous avions vécu. C’était dur mais ça m’a aussi fait un bien fou, ça en devenait thérapeuthique. Malgré une communication facile au sein de notre famille, je réalisais qu’il y avait beaucoup de sujets que l’on n’avait pas abordés autour de notre vécu avec Laurène. Je prenais conscience que je ne savais pas vraiment comment chacun d’eux avait vécu telle ou telle partie de notre histoire commune et je ressentais le besoin de le comprendre, en allant les interviewer. J’ai aussi réalisé que peu de films ou livres racontent le vécu et le ressenti de ceux qui ont accompagné une personne malade au quotidien. Ça m’a alors semblé essentiel de partager le ressenti de mes frères, de ma sœur, des parents mais aussi des meilleures amies de ma sœur, qui étaient comme un prolongement de notre famille. J’aurais aimé à l’époque pouvoir avoir accès au vécu d’autres fratries, d’autres jumeaux.
L’insert des séquences en animation était-il envisagé depuis le début ? Pourquoi ce choix ?
Non pas du tout ! C’est l’envie de rendre hommage à la fibre artistique de Laurène qui adorait faire des montages vidéo, photo, scrapbookings, etc. L’idée me trottait dans la tête depuis le début mais je ne savais pas du tout comment l’aborder. Un jour, lors d’une session d’écriture avec Jeremy Rosenstein – l’une des trois personnes qui m’ont accompagné sur l’écriture du film – il évoque Visages Villages, d’Agnès Varda et JR, qui m’inspirait. Quelques jours plus tard, ça me parait être une évidence de demander à Damien, l’un des meilleurs amis de Laurène, s’il pourrait faire du dessin animé avec son style très minimaliste que j’adore. Il a rejoint le projet et a vite été aidé par deux animatrices car cela représentait un travail titanesque pour mettre en mouvement ses dessins. Finalement, l’animation joue un rôle essentiel dans le film, permettant d’exprimer des émotions, des souvenirs et des idées d’une manière unique, que l’image réelle ne pouvait pas faire transparaître.
Qu’est-ce que cette double expérience à l’orée de votre vie d’adulte – la maladie de votre sœur et la réalisation de ce film – a changé chez vous ?
J’ai mis du temps à en prendre conscience mais ce film a été intimement thérapeutique pour moi. Il a pris une place considérable dans ma vie mais j’en avais besoin. J’avais aussi cette peur d’oublier les dates ou certains moments marquants de son parcours et faire ce film me rassurait, me permettait de ne pas prendre le risque d’oublier. Les séances d’écriture s’apparentaient parfois à des séances psy, où je replongeais dans tous nos souvenirs et ça me faisait parfois du mal, mais surtout du bien. Ce film m’a permis de me sentir encore plus proche de ma sœur et de notre famille. Il m’a aussi fait pénétrer dans l’univers de l’audiovisuel que je ne connaissais pas et dont j’ai adoré la découverte.
Vous ne souhaitez pas réaliser d’autres films après Promesse, pourquoi ?
J’étais assez catégorique sur le fait que je n’en réaliserais plus mais aujourd’hui je n’en suis plus certain. Ce qui est sûr c’est que ce qui m’a permis de réaliser Promesse, c’est la volonté de ma sœur Laurène et sans ça, je n’aurais pas fait ce film. Je n’y connaissais rien et c’est certain que j’ai découvert tout un univers que j’ai adoré, notamment la réalisation et le rapport à l’image. Demain, si je suis amené à réaliser à nouveau un film, il est certain qu’il devra être porteur d’un message.
Promesse est un film sur la famille. Est-ce que faire le film vous a rassemblé ?
Oui c’est sûr. Je n’en avais pas conscience au début du projet mais au fil des années, le film a pris une place de plus en plus importante dans notre famille et nous a permis de vivre des moments que nous n’aurions jamais vécu, ce qui a renforcé les liens entre nous. La “garde rapprochée” comme nous appelait Laurène. Cela étant dit, j’ai toujours essayé de faire en sorte que le film ne prenne pas trop de place non plus car il était essentiel pour moi qu’aucun membre de la famille ne se sente obligé de s’investir dedans, que ça ne prenne pas trop de place dans leur vie.
L’association Promesse à Laurène est en lien avec la sortie du film, pouvez-vous nous en parler ?
L’association Promesse à Laurène est centrale dans ce que nous développons autour du film. A travers l’association, nous avons constitué un réseau de plusieurs dizaines de partenaires institutionnels (Agence de la biomédecine, EFS, Ligue contre le cancer, etc) et associatifs (Imagine for Margo, Laurette Fugain, Capucine, etc.) avec un objectif de soutenir 4 grandes causes, chères à Laurène et à notre famille : l’incitation aux dons de vie (sang, plaquettes, moelle), l’accompagnement des jeunes malades pour briser l’isolement face à la maladie, le développement de la recherche sur les cancers pédiatriques et l’accompagnement face au deuil. L’objectif est d’apporter un maximum de visibilité à toutes ces associations qui œuvrent quotidiennement sur le terrain et aussi de les soutenir financièrement via les recettes du film qui leur seront intégralement reversées.
Vous avez tenu à mettre en lumière l’adolescente enjouée et solaire qu’était Laurène, à travers le témoignage de ses amies proches. En quoi était-ce important pour vous de montrer la vie étudiante et sociale que Laurène a menée de la manière « la plus normale » possible ?
Tomber malade est un bouleversement à tout âge, mais à l’adolescence, une période charnière de construction de soi, l’impact est encore plus profond. Laurène tenait à prouver que sa maladie ne dicterait pas sa vie, et elle s’y est employée avec détermination tout au long de cette période si particulière. Je suis convaincu que son témoignage pourrait apporter du soutien à d’autres adolescents confrontés à des épreuves similaires. Pourtant, la maladie lui imposait parfois des limites brutales, et certains sujets, comme le rapport au corps et à la séduction, n’étaient abordés qu’avec ses amies. J’ai voulu explorer ces thèmes, persuadé qu’ils pourraient également aider d’autres jeunes vivant des situations comparables.
Vous étiez impliqué sur l’ensemble des aspects techniques de la fabrication de votre film. Pouvez-vous nous en dire plus ?
N’y connaissant rien quand je me suis lancé, j’ai regardé beaucoup de documentaires pour chercher de l’inspiration. Certains m’ont vraiment marqué comme Et les Mistrals gagnants, Les Pépites ou encore À voix haute. Au-delà de la puissance de leurs histoires respectives, j’ai réalisé que la qualité de l’image et du son était essentielle pour aider le spectateur à s’immerger pleinement dans l’histoire. En ont découlé des discussions avec ma productrice et des choix de réalisation sans compromis sur l’aspect technique. Je suis d’ailleurs très heureux du résultat.