Pouvez-vous parler de l’importance du lieu de tournage pour inspirer ce film ?
Laura Donoso : Nous avons commencé à écrire le scénario durant la pandémie à partir de notre appartement, enfermés à Santiago. Nous ne pouvions alors pas nous inspirer d’un lieu spécifique dans le processus d’écriture. J’ai alors passé des heures sur GoogleMaps pour explorer le nord du Chili et imaginer en fonction des villages l’histoire que je pouvais raconter. Une fois que je me suis plongée dans les photos d’un village, j’ai commencé à imaginer l’histoire. Il s’agit d’un village né de l’exploitation d’une mine. Nous avions sur place un contact dans le village qui nous a permis de le découvrir. Nous sommes tout d’abord allé. es à La Serena qui est la ville la plus proche du village où nous souhaitions nous rendre. Le chemin pour s’y rendre était très difficile et nous avons même cru nous perdre lorsque le signal GPS a disparu.
La rencontre avec la population du village s’est bien passée et nous avons pu parler de notre projet de film. Le très bon accueil nous a ainsi convaincu qu’il s’agissait bien du lieu où nous devions tourner. Dès lors, nous ne pouvions plus imaginer un autre lieu pour le film. La majorité de l’histoire est née de ce que nous avons vu sur place. J’ai été subjuguée par les différentes teintes de couleurs de terres et de roches. Cela m’a permis de commencer à construire la photographie que nous aurions du film. Si je n’avais pas trouvé dès le départ ce lieu, forcément le résultat aurait été très différent.
Quelles ont été vos recherches pour connaître l’histoire de la mine, cette pratique de l’exclusion d’une jeune fille au moment de ses règles et la question de la légalisation de l’avortement?
LD: Nous avons formé une équipe d’investigation et c’était très important. Ainsi le scénario est inspiré des histoires que l’on nous a raconté dans le village. Nous avons cherché à connaître l’histoire du village et les légendes qui s’y racontaient, cherchant à comprendre les changements qu’impliquait pour une fille l’arrivée de ses règles. Nous avons travaillé également avec des spécialistes et psychologues autour des questions d’abus mentaux, des experts quant aux avortements clandestins. Ces recherches se sont faites de manière intense et toujours très respectueuses de la parole des témoins.
Sariri porte implicitement les questions de la légalisation de l’avortement et de la reconnaissance des droits des minorités en marge du pouvoir qui étaient au cœur des contestations de 2019 au Chili et de la rédaction par la suite d’une nouvelle constitution. Peut-on donc voir le film comme le reflet du Chili post 2019 ?
LD : Pour moi il était en effet très important par mon film de représenter toutes ces thématiques qui me touchent le plus. En tant que femme j’ai été aussi frustrée que les revendications qui sont parties d’une mobilisation nationale très forte n’ont au final pu être reconnues en raison du rejet de la nouvelle constitution. Venant également d’une famille où nous sommes nombreuses en tant que femmes, l’égalité des droits entre les genres dans la société était quelque chose qui coulait naturellement dans le sang si je puis dire ainsi.
Le droit à l’avortement m’intéresse particulièrement puisqu’il remet en cause la légitimité à des personnes extérieures à décider pour soi-même sur le fait de devenir mère. En outre, en ce qui concerne les règles, j’ai remarqué souvent depuis mon enfance que cette étape de la vie féminine était encore souvent traitée comme une maladie. Cette incommodité personnelle a été trop souvent transformée en expression religieuse du mal et problématisé en tant que maladie, ce que je souhaitais dénoncer. Les projets miniers s’inscrivent comme des conquêtes coloniales patriarcales : cette légitimité à exploiter la nature peutelle avoir une continuité dans cette vision patriarcale de diriger le corps des femmes dans la société ? Laura Donoso : Je n’avais pas vu les choses ainsi mais c’est vrai que cela fait sens. En effet, souvent au Chili, plusieurs exploitations ont eu lieu dans des lieux reculés et une fois que la mine a retiré le maximum de ses richesses, l’entreprise a laissé à l’abandon toute l’économie d’un village qui reposait dès lors sur elle. Cette métaphore avec la mine fonctionne avec l’intrusion sur le corps des femmes puisque dans les deux cas il est question d’un regard exclusivement productiviste posé sur la mine comme sur les femmes. La fertilité d’une femme devient dans cette perspective l’unique facteur d’inclusion sociale.
Les injustices qui ont cours pour une partie de la communauté reflétée dans Sariri sont-elles le reflet d’un isolement par rapport à la capitale du pays où le nom respect des droits humains reste impuni comme ce qui s’est reflété durant la dictature ?
LD: Heureusement, on ne peut généraliser la situation du machisme dans la société chilienne même si une certaine tendance de cette idéologie est encore largement promue. Cependant, si l’on peut concentrer de manière vive la violence patriarcale dans un petit village, c’est que cela se déroule encore dans les villes, dans le désert comme en Patagonie. Je pense que c’est toujours sain qu’il y ait toujours plus de femmes qui puissent partager leurs propres expériences afin de donner à toutes plus de confiance dans ce qu’elles vivent et moins de honte pour elles à revendiquer la défense élémentaire de leurs droits. Exprimer les injustices que l’on vit permet selon moi de dépasser un peu la douleur. Raconter cette histoire dans une communauté isolée permettait de refléter une atmosphère plus oppressive mais cela peut encore se produire dans une maison, dans un quartier urbain, etc.
La nécessité ou non de partir et quitter sa famille pour retrouver sa liberté perdue traverse aussi tout le film pour les protagonistes.
LD: Je pense qu’il y a deux points de vue dans le film : celui de Sariri et celui de la plus grande, Dina, qui ne voit plus d’opportunités pour elle à rester plus longtemps dans le même lieu et rêve de s’épanouir à l’extérieur, même si c’est un risque et qu’elle peut se trouver dans des situations pires encore. En revanche, elle dispose de ses propres ressources économiques notamment pour pouvoir prendre ses propres décisions.
Cela ne l’empêche pas de souffrir à la perspective d’abandonner un lieu qu’elle aime. Elle doit soit choisir de faire comme ses sœurs, de s’enfuir ou encore de com – mencer une résistance avec d’autres femmes dans le désert : il s’agirait alors de chercher à survivre sans fuir.
Comment la construction de l’image s’est faite au service de l’intrigue dans ces lieux désertiques illuminés ? Est-ce que le travail d’Inti Briones sur El Cristo ciego (2016) de Christopher Murray a pu être une source d’inspiration ?
Raimundo Naretto : Nous avons dû travailler comme Inti Briones de manière naturelle puisqu’il n’y avait pas non plus dans le désert de l’accès à l’électricité pour éclairer les scènes. Le travail de la lumière a également été construit sur l’idée de la désorientation que l’on peut ressentir dans ce lieu avec l’excès de lumière. Cela contrastait avec l’intérieur très sombre des maisons très petites et fragiles. Nous avons donc accentué ces oppositions narratives par l’image en représentant l’omniprésence naturelle de la lumière qui envahit toutes les personnes qui y sont confrontées au quotidien. Alors que l’intimité vécue à l’intérieur des maisons permet aux personnages de vivre l’intégrité de leurs propres besoins.
Isadora Thiele : Notre travail reflète en cela une collaboration étroite en effet entre la mise en scène, la direction artistique et l’image. Notre modèle de travail se trouvait également avec Noche de fuego (2021) de Tatiana Huezo où l’équipe s’est retrouvée aussi dans une communauté isolée. Nous n’avions que peu d’accès à l’électricité et à l’eau, c’est pourquoi avec ces limites nous avons dû travailler encore plus étroitement au sein de l’équipe.
Ces contraintes ont été pour nous créatives. À divers niveaux Noche de fuego fut pour nous un formidable guide à suivre pour développer notre stratégie de réalisation collective. Nous avons ainsi répondu à chaque contrainte avec davantage de créativité de la part de chaque membre de l’équipe de tournage qui était alors sollicité.
LD: Le fait de se retrouver ainsi dans une communauté isolée a permis non seulement de développer la part créative de chacun et chacune mais encore de créer des liens de solidarités très forts entre nous et avec la population qui a pu pleinement s’approprier notre projet par leur soutien, ce qui constitue pour nous une réussite magnifique. Sans artifices ni grands moyens économiques, nous sommes satisfait.es d’avoir pu défendre et mettre en scène les idées qui nous tenaient à cœur. Nous avons certes été ambitieux.ses dans nos intentions suite à de nombreuses années de travail à concevoir ce projet mais cela en valait la peine. Toute la participation de l’équipe et de la communauté de Poloniaco avec leur force de résistance magistrale a été chaque jour un véritable atout sur le tournage.