En quoi vos précédents films, Bansuli et Kalo Pothi vous ont-ils préparé à faire Shambhala ? Comment le projet a-t-il vu le jour ?
Mes films précédents, Bansuli et Kalo Pothi, ont posé les premières bases de Shambhala. Ils m’ont préparé à explorer des récits imprégnés par les spécificités de la société et de la culture népalaises. Ils m’ont aidé à comprendre le pouvoir du silence et les nuances des émotions : des éléments essentiels pour retracer le voyage de la protagoniste de Shambhala. Être témoin de la résilience et de l’état d’esprit des communautés que j’ai filmées a fait naître chez moi une fervente envie d’explorer ces thèmes. Mon but avec Shambhala est de construire un récit qui entre en résonance avec le public local mais aussi avec un public mondial, en utilisant une langue universelle tissée des fils de notre humanité commune.
Le film a été tourné dans la colonie la plus haute du monde, entre 4 200 et 6 000 mètres d’altitude. Quels défis ont posé un tournage à cette hauteur ? Quelle influence cela a-t-il eu sur l’atmosphère du film ?
C’était comme être aux prises avec une caméra sur la lune, chaque inspiration devenait une lutte, et le temps pouvait passer du soleil au blizzard en un instant. Je me souviens de beaucoup de moments où le vent menaçait de déchirer la tente de l’équipe, d’autres où de fortes chutes de neige allaient ensevelir l’équipement ! Pourtant, ces défis sont devenus une partie intégrante de l’essence du film. Le manque d’air ne nous a pas fait perdre de vue les étendues majestueuses de l’Himalaya. La beauté crue du paysage, enfermée sous un ciel qui semblait incroyablement proche, est devenue une preuve de l’esprit inflexible de la protagoniste face à l’adversité.
Vous avez travaillé avec un casting presque exclusivement fait d’acteurs non professionnels de la région. Comment les avez-vous trouvés et préparés ?
Travailler avec un casting principalement composé d’acteurs non professionnels était un choix délibéré. Malgré une inexpérience dans le jeu, même chez les acteurs principaux, l’authenticité et les émotions brutes étaient palpables. La préparation allait au-delà des méthodes conventionnelles : nous avons fait des ateliers à la belle étoile, en nous inspirant de légendes locales et d’expériences personnelles pour façonner leurs personnages, et cette approche collaborative a insufflé de la vitalité dans la narration, tout en enrichissant les processus de création.
Le voyage de la protagoniste à travers les montagnes de l’Himalaya donne une dimension méditative et immersive au film. En quoi cela contribue-t-il à l’histoire ? Le bouddhisme l’a-t-il influencée ?
Ces choix servent à refléter le monde intérieur de Pema. Les paysages grandioses, captés par des plans contemplatifs, invitent le public à habiter le paysage émotionnel de Pema. Inspiré de la philosophie bouddhiste, plus particulièrement des notions d’éphémère et de pleine conscience, le langage visuel du film fait écho à l’aspect paisible des drapeaux de prière et aux panoramas d’une montagne en constante évolution. C’est un mélange d’influences qui aboutit à un style typiquement himalayen, très personnel et profondément immersif.
Le film entremêle les thèmes de l’amour, du mariage, du sacrifice et de la réincarnation. Mêlant tradition et modernité, en quoi la société népalaise actuelle a-t-elle influé sur le film ?
Ces thèmes sont profondément liés à l’état actuel de la société népalaise. Le voyage de Pema est une voie d’exploration, elle fait communiquer normes sociales et fortes remises en question au sein des communautés. Pema, le personnage principal du film, défie les stéréotypes et s’érige en personnage féminin moderne et inattendu. Elle incarne une condition féminine népalaise en pleine évolution et évolue au milieu de traditions qu’elle honore tout en défiant des normes dépassées, comme en témoigne son refus d’être réduite au silence. Son inflexible détermination à suivre sa propre voie est la source d’une émancipation. Son histoire offre un récit plein d’espoir et une découverte de soi qui reflète les réalités auxquelles font face les femmes au Népal et, je l’espère, dépasse aussi les frontières culturelles.
Le film est un aperçu de la vie de nombreuses Himalayennes et de la polyandrie qui l’accompagne. C’est une pratique dont nous ne sommes pas familiers en Occident. Est-ce un témoignage fidèle du mode de vie actuel dans les montagnes ?
Le portrait que dresse Shambhala de la polyandrie offre un aperçu nuancé de cet aspect complexe de la culture himalayenne. La polyandrie est en effet décrite dans le film, mais il faut reconnaître que les pratiques varient beaucoup selon les régions et les foyers.
L’entrelacement de tous ces éléments (acteurs non professionnels, langue locale, décors réels, musique traditionnelle, etc.) contribue à l’authenticité du film. À quel point était-ce important d’être fidèle à ces aspects ?
L’authenticité est au cœur de Shambhala, elle imprègne chaque aspect de la production. Le recours aux acteurs non professionnels, les dialectes locaux, le tournage dans de vrais villages et la musique folklorique, chaque décision répond à une recherche de vérité et de respect. L’authenticité n’est pas qu’une question de choix esthétique, c’est une façon d’honorer l’esprit de la culture et de la communauté, et de donner plus d’ampleur à des voix souvent mises de côté dans les récits habituels.
Avec votre court-métrage Bansulli (2012), le Népal a participé pour la première fois au Festival de Venise. Désormais, Shambhala est le premier film népalais à entrer en compétition à la Berlinale. Comment le cinéma népalais a-t-il évolué ces dernières années ?
L’évolution du cinéma népalais a été remarquable ces dernières années. Il a gagné en reconnaissance sur la scène mondiale.
S’il y a une expérience qui se démarque des autres, c’est bien mon travail sur Shambhala. C’était un projet difficile, mais de voir à quel point il a eu un écho local et international a été extrêmement gratifiant. Cela a renforcé ma conviction en un cinéma népalais capable de raconter des histoires dépassant les frontières et les cultures.
J’ai toujours eu à cœur de raconter des histoires. En grandissant, j’ai été captivé par les mythes et légendes qu’on transmettait de génération en génération dans ma communauté. Quant à l’avenir du cinéma népalais, je suis enthousiaste à l’idée de voir les différentes voix et histoires qui vont continuer d’émerger.
C’est particulièrement passionnant de conseiller des jeunes cinéastes et de leur donner l’opportunité et les ressources nécessaires pour donner vie à leur vision. En fin de compte, je crois que le cinéma népalais a le potentiel d’atteindre des sommets encore plus hauts, et je suis déterminé à jouer mon rôle dans son développement et son succès.