Quel a été le point de départ pour TO THE NORTH?
Une simple conversation avec mon directeur de la photographie Georges Chiper-Lillemark. Il a évoqué une histoire qu’il avait entendue à la radio quelques années auparavant.Il avait oublié la plupart des détails, mais l’histoire lui était restée en tête, comme une simple curiosité. Néanmoins, il se souvenait qu’il y avait une Bible. C’est cet aspect biblique qui m’a éloigné du sujet. A ce moment-là, je l’ignorais,mais ce n’était pas quelque chose qui me parlait.Cependant, deux ans plus tard et sans aucune raison, je m’en suis souvenu. Durant toute l’année qui a suivi, j’ai fait des recherches me suis renseigné sur le sujet.Dès lors, l’histoire est devenue pour moi celle d’une absence de communication entre les gens, d’un sentiment d’enfermement de l’impression que quelqu’un d’autre contrôle notre vie. Une histoire sur la solitude et sur la peur. A cet instant, j’ai su que c’était un film que je voulais faire.
Le film a entièrement été tourné sur un immense navire. Le bateau devient le terrain de jeu des personnages. Presque comme un western. Comment avez-vous géré la photographie principale?
En réalité, tourner dans ce lieu a été une des raisons principales pour lesquelles j’ai pris la décision de réaliser ce film. Il offrait deux possibilités qui m’intéressaient beaucoup. D’abord, il s’agissait presque d’une séparation métaphorique entre l’intérieur et l’extérieur. Des salles et des couloirs étroits contre l’océan infini : comme un miroir de la thématique «enfermement versus liberté» et que j’avais envie d’explorer. Ensuite, à cause de l’étroitesse des intérieurs, presque claustrophobiques, on a été amenés à chercher de nouvelles façons de créer du mouvement à l’intérieur d’espaces restreints. Habituellement, dans beaucoup de films, du moins à peu près ces vingt dernières années, il n’est pas nécessaire de voir les personnages se rendre d’un endroit à un autre. Ce que l’on voit, c’est seulement leur entrée dans un lieu, ou déjà présents, dans l’action. Ce qui m’a beaucoup intéressé, et c’est directement lié à ce lieu de tournage, c’était justement le trajet des personnages d’un endroit à l’autre. Il me semblait que dans ce cas-là, puisqu’ils sont emprisonnés, presque impuissants, la façon dont ils se déplacent entre les espaces du navire est tout aussi importante que les actions qu’ils s’apprêtent à y faire.
Comment avez-vous trouvé ces acteurs du monde entier?
Un casting classique, principalement. J’ai été aidé par un grand directeur de casting roumain qui a aimé le projet dès le début et qui s’est donné corps et âme. Le plus difficile à trouver a été Nikolaï Becker, l’acteur roumain. J’ai vu des dizaines et des dizaines de comédiens avant de le découvrir, mais j’ai immédiatement su qu’il était le bon. J’ai également rencontré les acteurs français au cours d’une session de casting qui a duré une semaine pour laquelle je me suis rendu à Paris. Cela a été plus compliqué pour les acteurs philippins. Lorsque nous avons commencé le projet, le budget du film était loin d’être idéal, donc nous n’avions pas les moyens de nous rendre à Manille afin de les trouver là-bas. A la place, je me suis enfermé dans ma maison durant quelques semaines et j’ai regardé tous les films philippins des cinq dernières années sur lesquels j’ai pu mettre la main. Les trois comédiens avaient été choisis pour les films de Lav Diaz. Tous m’ont sidéré dans ces films. Je me suis dit que s’ils étaient suffisamment bons pour Lav Diaz, un cinéaste que j’admire, ils seraient aussi pour un roumain inconnu, avec un projet étrange qui se déroule sur un navire. Heureusement, je ne me suis pas trompé.
Cela peut paraître surprenant de voir un réalisateur roumain diriger des acteurs asiatiques. Comment avez-vous travaillé sur le plateau?
Dans la mesure où ils parlaient très bien anglais et que nous pouvions communiquer, pour moi, ils étaient des acteurs comme les autres, et à la fin du film, de vrais amis. Nous avons répété deux semaines avant de commencer le tournage. Même si le mot« répéter» n’est probablement pas bien choisi. En réalité, nous avons beaucoup discuté de scènes spécifiques. Je souhaitais qu’ils comprennent l’ambiance que je voulais créer, ce que je recherchais pour chaque scène.Nous avons tourné presque deux mois ensemble, et chaque jour, tous les trois étaient incroyables. Ils étaient très chaleureux, tout le monde les adorait. Certains jours, le tournage était horrible et malgré cela, ils ont tout donné.
Le son est impressionnant et il semble prendre la place d’un personnage à part entière. Pouvez-vous nous expliquer d’avantage comment vous avez travaillé?
Tout a commencé au cours d’une session de repérages pour TO THE NORTH. Nous étions à bord d’un large bateau, très similaire à celui du film. A l’instant précis où les machines ont démarré, un énorme mur de son a envahi l’espace sans disparaître des jours durant. De l’immense rugissement de la salle des machines, aux sons métalliques sur le pont, en passant par le bruit de nos propres pas sur le sol plastifié des couloirs du navire, tout semblait être un univers autonome. Plus fascinant encore, tous ces sons résonnaient comme des fragments de boucles musicales, parfaitement définis du point de vue du rythme, de la tonalité et de la mélodie. Un monde musical en soi. Peu de temps après ce voyage, lorsque j’étais à Paris, j’ai rencontré Nicolas Becker qui, il s’avère, allait faire la conception sonore du projet. A cette époque, il avait seulement lu le scénario et était très excité par le projet. Trois ans plus tard, nous nous retrouvions donc dans son petit studio, à Paris, huit heures par jour de bruits fous, de textures et de paysages sonores. Nicolas a créé un magnifique univers. Presque tout ce que l’on peut entendre en regardant TO THE NORTH est une marque de sa vision unique.
Le film dépeint trois visions du bien et du mal, liées à la religion ou non. Quelle est votre opinion là-dessus?
Je n’ai pas eu l’intention d’exprimer mon point de vue sur «le bien versus le mal» dans ce film. J’étais surtout intéressé par le fait d’explorer la zone grise entre ces deux concepts. Cela veut dire que je n’étais pas préoccupé parce que les personnages disent réellement, mais plutôt par leur manière de montrer que ce qu’ils pensent est bon ou mauvais.
Personnellement, je m’identifie en partie à chacune de ces trois visions. Et je pense que c’est naturel, puisque nos définitions du bien et du mal ne sont pas personnelles mais bien construites, depuis des années, par un environnement social et culturel bien spécifique.Ce contexte–parents, école, religion, pauvreté et richesse – a rendu ces deux notions très fluides.
Parfois, ces différentes visions se rencontrent, parfois, elles se dévorent l’une et l’autre. Il ne s’agissait donc pas vraiment de travailler avec ces concepts ou d’essayer d’analyser le bien et le mal. J’étais plutôt intéressé par l’idée que presque tous les personnages du film sont des pères. En écrivant le scénario, je n’ai cessé de me poser la question: «que pourra dire cet homme à ses enfants à propos du bien et du mal en ce monde?». «Comment apprend-il à ses enfants de se protéger contre le mal du quotidien ?». Voilà ce qui m’a transporté: les gens, pas les concepts.