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Veilleurs de nuit

Documentaire / France

A Montgenèvre, frontière avec l’Italie dans les Hautes Alpes, des bénévoles de tous horizons se relaient, nuit après nuit, pour venir en aide aux exilés et les conduire à l’abri. Veilleurs de nuit propose une immersion à leurs côtés, le temps d’une nuit dans la montagne.

Année

2025

RÉALISATION

Juliette DE MARCILLAC

SCENARIO

Juliette DE MARCILLAC

AVEC

-

FICHE TECHNIQUE

1h09 - Couleur - Dolby Digital 5.1

DATE DE SORTIE

PROCHAINEMENT

AVANT-PREMIÈRE

À VENIR

Note de la réalisatrice

Note de la réalisatrice

À Montgenèvre, station de ski idyllique le jour, une immense « chasse aux migrants » se déploie une fois la nuit tombée. Depuis 2015, le rétablissement des contrôles aux frontières et la présence massive des forces de l’ordre pousse les exilés à prendre de plus en plus de risques pour tenter d’entrer en France. Nuit et jour, des bénévoles se relaient pour guetter leur passage dans la montagne et leur venir en aide. Avec Veilleurs de nuit, j’embarque le spectateur le temps d’une nuit de maraude sur les pistes auprès des bénévoles solidaires.

L’origine du projet

J’ai passé toutes les vacances de mon enfance à Montgenèvre, chez mon grand-père. Dans les années 90, avec la convention de Schengen, le poste de frontière semblait à l’abandon : nous pouvions circuler d’un village à l’autre sans le moindre contrôle. Nous préférions néanmoins toujours passer par la forêt. Ces bois, ces sentiers, ces montagnes, je les connais par cœur. Au fil des ans, j’ai vu la station développer ses activités pour attirer une clientèle aisée. J’ai vu aussi, depuis 2015 et le tournant sécuritaire de la politique migratoire, la frontière se fermer. Pour passer, il faut désormais montrer « patte blanche ».

En 2019, j’ai reçu dans ma boîte aux lettres un tract distribué à tous les habitants du village, m’apprenant que dans la nuit du 6 au 7 février, un jeune homme était mort d’hypothermie au bord de la route qui descend vers Briançon. Tamimou Derman avait 28 ans et venait du Togo. Cette nuit-là, aucune voiture ne s’est arrêtée pour lui porter secours.

Tout à coup, j’ai pris conscience du drame qui se déroule, nuit après nuit, dans la montagne. J’ai commencé à interroger les locaux puis je me suis rapprochée du refuge solidaire de Briançon. Le jour, j’aidais à préparer les repas, je m’imprégnais de l’atmosphère du lieu, je rencontrais les exilés. Le soir, je rejoignais les maraudeurs. Il suffit de se présenter dans leur local pour être embarqué dans une longue nuit de veille dans la montagne. Très vite, j’ai décidé d’arrêter de fermer les volets chaque soir sur ce qui se passe sur les pistes et de faire un film documentaire pour rendre visible cette violence du passage de la frontière.

Plusieurs longs séjours en immersion entre 2020 et 2022 m’ont permis de créer des liens avec ceux qui sont devenus mes personnages. J’ai pu intégrer les équipes et gagner leur confiance grâce à ma très bonne connaissance du terrain, un élément clé dans les moments de tension. Au fil des maraudes, je suis parvenue à faire accepter la présence d’une caméra.

Une urgence humanitaire

La situation à nos frontières est une urgence humanitaire dont il me paraît essentiel de témoigner. La nuit venue, la montagne devient un dangereux huis clos à ciel ouvert où se retrouvent face à face exilés, agents des forces de l’ordre et maraudeurs. Ces dernières années, la population qui traverse la frontière a changé : ce sont désormais majoritairement des familles avec des femmes enceintes, des personnes âgées et des enfants qui tentent d’entrer en France. Quand ils sont interpelés, les exilés sont quasi systématiquement ramenés en Italie sans que leur soit donnée la possibilité de demander l’asile. Par ailleurs, les effectifs chargés de contrôler les entrées en France ne cessent d’être renforcés. Les brigades de gendarmes mobiles se succèdent sans que leur soit donné le temps de saisir les enjeux propres à la frontière franco-italienne. Enfin, les forces de l’ordre exercent une pression constante sur les maraudeurs, faisant peser sur eux la menace de poursuites pour « aide à l’entrée, à la circulation ou au séjour de personnes en situation irrégulière », alors même que leur action a été en partie légitimée par le Conseil Constitutionnel depuis 2018 avec la reconnaissance du « principe de fraternité ».

Les maraudeuses et maraudeurs

Ces bénévoles, tous convaincus que les droits fondamentaux des êtres humains passent au-dessus des politiques migratoires, composent un collectif informel qui rassemble une population hétéroclite : militants anti-frontières, jeunes qui ont perdu foi en les institutions, montagnards portés par une tradition de solidarité. Leur engagement me touche particulièrement : la maraude est une utopie concrète, un espace et un temps où s’inventent des formes nouvelles de sociabilité. En quatre ans, j’ai pu observer le collectif se développer. À présent les maraudeurs se coordonnent avec l’ONG Médecins du Monde qui envoie sur le terrain une « unité mobile de mise à l’abri » (UMMA), conduite par une équipe formée d’un soignant et d’un bénévole. Quand les maraudeurs rencontrent des exilés, ils les conduisent discrètement vers l’UMMA qui les descend alors vers le refuge solidaire de Briançon.

Une seule nuit de maraude

Nous entrons dans l’univers des maraudes par un duo de jeunes cousines qui ont grandi dans la région. Au cours du film, nous découvrons d’autres personnages qui reflètent la diversité des bénévoles : jeunes ou retraités, soignants, militants, montagnards… Avec Veilleurs de nuit, je reconstitue par le montage une unique maraude à partir de plusieurs nuits de tournage. Le film progresse comme une plongée dans la nuit, car c’est dans l’obscurité que les enjeux se resserrent, et se termine par le jour qui se lève sur la montagne majestueuse, immuable, prête à accueillir les touristes pour une nouvelle journée de glisse.

Le dispositif de tournage

Le manteau neigeux diffuse la lumière de la lune de sorte que nous sommes rarement plongés dans une obscurité totale. Pour relever les défis d’un tournage en très basses lumières, nous avons tourné avec une caméra Sony Alpha7 qui nous a séduits par son capteur très sensible ainsi que par la discrétion de son boîtier. En pleine montagne, nous nous retrouvons quelques fois dans la nuit totale : le grain de l’image de ces séquences filmées dans l’urgence rend compte de la fragilité de la situation et de l’angoisse qui en découle.

Au cours de la maraude, la priorité va toujours à la sécurité des exilés. Notre configuration de tournage ne devait surtout pas risquer de les effrayer ni d’attirer l’attention de la police. Il nous a fallu réduire notre équipe sur le terrain au minimum. Pour être réactifs et cohérents avec le point de vue des maraudeurs, nous avons filmé caméra à l’épaule. La rencontre avec les exilés est un moment délicat à filmer. En forêt, nous restions à distance, jusqu’à pouvoir les avertir de la présence d’une caméra. Pendant le tournage, les exilés ont toujours accueilli favorablement notre présence, soit parce qu’ils étaient convaincus de la nécessité de rendre visible la violence du passage des frontières, soit parce qu’ils voyaient dans la caméra un élément renforçant leur sécurité dans cet environnement hostile.

Faire de la montagne un personnage

Je place le spectateur dans la position d’écoute et d’observation du maraudeur aux aguets. Avec Veilleurs de nuit, je voulais restituer les sentiments ambivalents que peut provoquer l’expérience de la maraude : la violence de ce passage de frontière est d’autant plus saisissante que tout se déroule dans un paysage somptueux qu’on a le temps d’observer quand on est posté immobile, dans l’obscurité, à attendre le passage des exilés de longues heures dans la forêt, face aux silhouettes imposantes des sommets. Des plans fixes du paysage et de la station, tournés hors maraude, rendent à la montagne le rôle de premier plan qu’elle occupe à la frontière : c’est parce que la montagne peut à tout moment se montrer hostile et dangereuse, par le froid et la neige, que la traversée des exilés est particulièrement périlleuse.

Inquiétante étrangeté des lieux

Montgenèvre est dominé par le Janus, montagne qui porte le nom du dieu des passages et des portes, un dieu bifront. Le village lui aussi a deux visages qui s’ignorent : le jour, station de ski internationale avec ses touristes aux tenues colorées ; la nuit, village-frontière traversé par les exilés. Je tenais particulièrement à retranscrire l’inquiétante étrangeté qui saisit la nuit tombée ce territoire minuscule, arpenté par des maraudeurs, exilés et agents des forces de l’ordre. Alors que la nuit s’installe, le territoire se métamorphose, les sommets disparaissent dans la brume. L’obscurité, le froid, le silence de la montagne créent une atmosphère tendue. J’accorde une importance particulière au son et au hors-champ pour rendre au paysage sa profondeur inquiétante et retranscrire la tension qui caractérise ces nuits frontalières.

Des références tirées de la fiction

Dans ma tentative de reconstituer une maraude, je m’inspire des films de fiction qui mettent en scène la nuit et qui ont nourri ma cinéphilie, allant de La nuit du chasseur de Charles Laughton à Lost Highway, de David Lynch.

La musique du film, composée entièrement par le groupe Oiseaux-Tempête, tire également le documentaire du côté de la fiction à certains moments ponctuels de la maraude, qu’elle accompagne la marche des bénévoles jusqu’à leur poste de guet ou qu’elle donne au film une forme de clôture avec la reprise du même thème à l’arrivée au refuge. J’aimerais que ces choix de mise en scène donnent au film un caractère universel et lui permette d’évoquer, au-delà de la singularité de la frontière franco-italienne, un drame humain que l’on retrouve à toutes les frontières aujourd’hui.

Paroles

J’ai recueilli la parole de mes personnages principaux uniquement en immersion. Tout en restant aux aguets, tendus, les bénévoles me confient leur rage et leur révolte. Leurs paroles sont d’autant plus saisissantes qu’elles ne peuvent qu’être chuchotées dans le silence et l’obscurité. J’ai filmé les échanges spontanés chuchotés sur le vif entre maraudeurs et exilés pendant leur cheminement jusqu’au refuge. Cette rencontre entre maraudeurs et exilés, bien que tendue, est un moment d’espoir pour les exilés car ils viennent de réussir à traverser une frontière. Ainsi, leurs paroles témoignent de situations tragiques mais ne sont jamais pathétiques. J’ai aussi recueilli des témoignages plus poussés en interrogeant dans la sécurité du refuge les exilés avec qui j’ai pu nouer un lien pendant mes activités de bénévolat là-bas. On entend des bribes de ces entretiens, en off, à la fin du film, une fois que la voiture de Médecins du Monde redescend avec les exilés vers Briançon. Dans l’habitacle, la tension se relâche et nous pouvons alors écouter des fragments du terrible parcours de ces personnes qui sont sur la route souvent depuis de longs mois voire de longues années.

J’aimerais que le temps long du documentaire permette aux spectateurs d’accommoder leur vision afin d’appréhender avec justesse le drame trop souvent invisible et invisibilisé qui se joue sur ce territoire frontalier. En essayant de retranscrire par les moyens du cinéma l’intensité des émotions qui s’y déploient, je souhaite témoigner de la violence du passage à la frontière et nous questionner sur la façon dont nous accueillons nos prochains.

Juliette de Marcillac

FICHE TECHNIQUE

Titre : FR : Veilleurs de nuit / INT : Nightwatchers
Durée et format : 69 minutes 4K Scope
France 2023
Première Mondiale : Visions du Réel 2023, Film d’ouverture, Grand Angle Competition
Sélections : IDFA Amsterdam (Best of Fests), Forum HER Docs (Varsovie), le Grand Bivouac
(Albertville), Ulju Mountain Film Festival, film de clôture (Ulsan, Corée)
Réalisation : Juliette de Marcillac
Chef opérateur image et son : Florian Berthellot
Cheffe monteuse : Marie Molino
Musique originale : Oiseaux-Tempête
Prise de son additionnelle : Elton Rabineau
Assistant montage : Thomas Laufer
Etalonnage : Olivier Dassonville
Montage son : Marion Papinot
Mixage : Thomas Besson
Productrices : Claire Babany et Eléonore Boissinot (Dryades Films)
Distribution : Juste Doc
Tournage : Montgenèvre, Briançon et environs (Hautes-Alpes)
Postproduction : Division (montage image), Lyon Capitale TV (étalonnage et mixage), Miroslav Pilon
(auditorium 5.1), Regular Kolor (laboratoire)

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