Documentaire / France

FÉLIX ET MOI, SUR LES TRACES DU CHANTEUR DE VIENS POUPOULE

Félix Mayol était très connu, jusqu’à devenir l’une des grandes stars du début du XXe siècle. Mais à présent, le nom de Mayol n’évoque plus rien. À Toulon, le stade de rugby porte son nom ainsi qu’un centre commercial… Mais qui sait ce que Toulon doit à « Parrain Félix », dont le Rugby Club Toulonnais continue pourtant d’arborer son emblème, le muguet ? Qui sait que, derrière les drames et l’adversité, mais aussi le succès et la renommée, il a su rester fidèle à ses valeurs : une générosité légendaire, un immense sens de l’humour… et sa passion immodérée pour sa discipline, le café-concert, et Toulon sa ville natale. Le film dresse le portrait d’un grand monsieur de la chanson, derrière lequel se cache surtout une belle personne, mais qui fut en son temps blessée et humiliée en raison de son homosexualité jamais révélée au grand public. À la manière d’un road trip, Félix et moi raconte l’histoire d’une personnalité qui en inspire une autre, convaincue qu’elle peut aussi inspirer chacun d’entre nous.

ANNÉE
RÉALISATION
SCENARIO
AVEC
FICHE TECHNIQUE
DATE DE SORTIE

2022

Luc BENITO

Luc BENITO

François MOREL, Charles BERLING, Olivier CÉSARO

1h38 – Couleur – 1.85 – Dolby Digital 5.1

24 janvier 2024

QUI EST FÉLIX MAYOL ?

Après des débuts modestes à Toulon et dans le sud de la France Félix Mayol est engagé à Paris au Concert Parisien le 1er mai 1895. Il y reste cinq ans, le temps d’affiner son registre et surtout son personnage, Mayol, particulièrement distingué avec un toupet blond et un brin de muguet à la boutonnière, mais outrancièrement maniéré, imitant la gestuelle des « midinettes », sur des chansons à la limite de la grivoiserie. Il rencontre la gloire avec Viens Poupoule en 1902 et ne quittera pas le haut de l’affiche pendant plus de 10 ans enchaînant les succès. Dans toutes les villes de France et dans tous les café-concerts, on veut son imitateur de Mayol et la coupe à la Mayol caractérisée par une houppette se popularise.

 

Son personnage efféminé, laissant planer le doute sur son genre, lui a un temps permis d’attiser la curiosité de la presse et du public. Mais le succès arrivant, il est devenu la cible des chansonniers au point d’intenter des procès ; car il n’a jamais voulu révéler son homosexualité au grand public.

 

En 1910 il achète le Concert Parisien de ses débuts et le rebaptise Concert Mayol, dans lequel il fait débuter des artistes méridionaux dont les Toulonnais : Raimu, Tramel, Valentin Sardou ou Andrée Turcy. Entre 1914 et 1918, il se consacre entièrement à soutenir le moral des troupes, visitant les soldats et réconfortant les blessés avec des tours de chant.

 

Mais la fin de la guerre signe également la fin d’une ère, celle de la Belle Époque et du café-concert au profit du music-hall. Mayol ne retrouvera pas le succès d’antan si ce n’est en province. Il reviendra chanter à Paris régulièrement mais c’est désormais à son théâtre de verdure à Toulon qu’il souhaite se consacrer. De juin à septembre, il accueille les stars de la chanson dont il fut pour certains une figure tutélaire à l’image de Maurice Chevalier ou Fernand Sardou. La plupart des recettes de ses concerts est redistribuée à des oeuvres de bienfaisance, quant au Rugby Club Toulonnais, il leur fera construire le stade qui porte son nom et dont les joueurs arborent encore son emblème : le muguet.

ENTRETIEN AVEC LE RÉALISATEUR

Pourquoi avoir choisi Félix Mayol comme sujet de votre premier film ?

 

 

Il y a beaucoup de raisons qui explique ce choix, et je continue dans trouver encore alors que le film est terminé. Mais il y a aussi des choses que je ne m’explique pas, et qui me font dire que c’est peut-être Félix Mayol qui m’a choisi pour raconter sa vie (rires). Mais le point de départ, c’est sans doute une injustice que j’ai voulue corriger. Quand je suis arrivé à Toulon en 2004 pour organiser le Festival International des Musiques d’Écran, j’ai découvert les particularités et l’histoire de la ville, parmi lesquelles Félix Mayol. Et alors que mon festival est consacré à la redécouverte du cinéma muet, soit le début du XXe siècle, j’ai balayé d’un revers de la main l’histoire de ce chanteur qui fut pourtant la plus grande vedette du café-concert à cette époque. J’avais regardé sur YouTube des phonoscènes Gaumont de 1905 (ancêtre des clips vidéo), où on le voyait se dandiner et l’affaire était faite ; ces pitreries comme je les avais jugées après seulement quelques secondes, n’était pas pour moi. C’est plus de dix ans, qu’un ami qui préparait une exposition sur Mayol voulait que je serve d’intermédiaire auprès de la ville de Toulon. Et là encore il a fallu du temps avant que j’ouvre le dossier. Mais quand je l’ai ouvert et que j’ai découvert sa vie, je fus autant épaté par ce que je lisais que contrarié d’être passé à côté par négligence et sans doute par bêtise. Donc j’ai voulu corriger mon erreur…

 

Mais vous n’étiez pas réalisateur et n’aviez aucune expérience dans la production audiovisuelle ?

 

Effectivement, et d’ailleurs avant ça je n’avais jamais eu ni l’envie, ni le désir de réaliser des films même si je dirige des salles de cinéma depuis une quinzaine d’années et que je suis évidemment un grand cinéphile. Mais pourtant j’ai eu envie de raconter cette histoire ; parce que je la trouvais incroyable mais aussi parce qu’elle questionne la mémoire : qu’est-ce que l’on fait de toutes ces traces du passé qui nous entourent. On connait Mayol à travers le stade de rugby, les Toulonnais vont au centre commercial Mayol ou s’arrête à l’arrêt de bus Mayol mais ils sont incapables de vous dire qui il était alors qu’il a tant aimé et donné à cette ville. Là encore, il y a une injustice à réparer…

 

Qu’est-ce qu’il a de si incroyable le destin de Félix Mayol ?

 

C’est un destin extrêmement romanesque : un jeune garçon issu d’un milieu populaire qui va accomplir son rêve de gloire et devenir la plus grande vedette de la chanson de 1902 à 1914, et ce malgré les obstacles et les souffrances liés à son homosexualité jamais révélée au grand public. Enfant, il a été rejeté par sa famille tandis qu’au fait de sa gloire il a dû subir les railleries et la calomnie des auteurs de revues. Et puis comme dans beaucoup d’histoires personnelles, elles éclairent aussi la grande Histoire. Sa vie chevauche deux périodes, La Belle Époque et ses café-concerts dont il sera la dernière grande star, et les années folles et ses music-halls avec lesquels il aura du mal à s’accommoder. Et puis ils croisent la route de personnalités (Mistinguett, Maurice Chevalier qui elles, contrairement à lui sont restées dans l’histoire…

 

Quel est le lien particulier qui vous unit à Félix Mayol, comme le titre semble le sous-entendre ?

 

Oui, c’est d’ailleurs la question qui revient tout au long du film, et à laquelle je ne réponds pas totalement d’ailleurs (rires). Je crois que j’avais aussi envie de raconter une belle histoire, parce que Félix Mayol a été une belle personne, généreuse avec son public, ses amis, sa patrie, ses compatriotes toulonnais, et même sa famille qui l’avait pourtant rejeté. Ce qui m’impressionne chez lui, c’est son intelligence : il a compris que pour réussir il fallait sortir des codes du café-concert et se démarquer en créant sa propre image. Et en arborant une houppette rousse et un brin de muguet à la boutonnière, il a fait le bonheur des caricaturistes, puis en laissant planer le doute sur son « genre » avec ses manières efféminées, il a fait parler de lui dans la presse. Mais ce qui le rend vraiment sympathique, c’est évidemment son humour lui qui n’était jamais avare d’un bon mot d’esprit méridional et qui savait surtout rire de lui, de ses travers et de son physique. Tout ça m’a rendu Félix Mayol assez familier, quelqu’un avec qui j’aurais pu être ami, quelqu’un de très inspirant dont j’imagine qu’il pourrait inspirer chacun d’entre nous.

 

Pourquoi vous êtes vous mis en scène, alors que vous n’êtes pas comédien non plus ?

 

C’est le film de toutes les premières fois pour moi. En fait, je ne voulais pas faire simplement un portrait de Félix Mayol, un film uniquement à base d’archives, ce qu’on appelle trivialement un documentaire « wikipedia ». Cela peut fonctionner pour un artiste ou une personnalité connue du public et de spectateurs potentiels, ce qui n’est pas le cas de Mayol qui a totalement été oublié justement. Pour moi l’enjeu central du film, c’est Pourquoi c’est intéressant de découvrir Félix Mayol aujourd’hui ? plutôt que Qui était Félix Mayol ? J’ai donc trouvé plus pertinent d’accompagner le spectateur à la découverte du destin de Félix Mayol, et d’être une sorte de guide conférencier de son parcours de vie. D’ailleurs, j’ai imaginé le documentaire plutôt comme un film d’aventure, un road-trip, dans lequel je pars sur les traces de Félix Mayol.

 

Dans ce road trip vous embarquez beaucoup de monde, y compris votre équipe technique ?

 

C’est effectivement une volonté que j’ai eue dès le départ que d’impliquer les techniciens qui m’entourent. Sans doute par souci de réalisme et de sincérité car je ne suis pas tout seul dans cette aventure mais aussi parce que cela me permettait d’écrire des séquences drôles, enfin que moi je trouve drôles. J’ai dû malheureusement en couper plusieurs au montage.

 

Comment avez-vous réussi à convaincre Charles Berling et François Morel ?

 

Et bien je leur ai juste demandé, et je le dis sans malice. Outre leur talent, ce sont deux personnalités vraiment formidables. Elles ont accepté et mis vraiment du cœur dans ce documentaire alors qu’ils savaient que c’était une autoproduction. C’était difficile pour moi de rester metteur en scène tant je prenais mon pied simplement à les voir interpréter leur texte avec tant d’engagement. Charles, je n’avais jamais eu l’occasion de le rencontrer même si mon festival est accueilli depuis des années au Théâtre Liberté qu’il dirige à Toulon. Et lorsque l’on se voit pour la première fois pour parler de la prochaine édition du festival, je lui parle de mon projet de documentaire et lui demande s’il veut bien y participer. Je me souviens qu’il m’a répondu oui avant même que je finisse de lui poser la question. Par ailleurs, il nous a mis à disposition le théâtre et son équipe pour le tournage des scènes de reconstitution.

Deux semaines après le déjeuner avec Charles, François Morel se produisait au Théâtre Liberté avec son spectacle exceptionnelle sur Raymond Devos. A l’issue de la représentation, je lui ai parlé quand même du projet et il a accepté tout de suite ; même s’il était totalement épuisé, et qu’il n’avait pas pu bien situer qui était Mayol à ce moment-là. Mais François Morel est un amoureux de la chanson française, et je crois qu’il s’est beaucoup amusé à chanter Viens Poupoule avec son complice Antoine Sahler au piano.

 

À ce sujet vous avez une séquence avec lui absolument hilarante, était elle improvisée ?

 

Oui et non ! j’ai la chance d’avoir grandi en regardant à la télé Les Nuls, Les Inconnus mais aussi les Deschiens. Pour ceux de ma génération, on sait à quel point François Morel est un excellent improvisateur et j’avais envie de tenter un truc avec lui, sans doute dans un moment d’égarement de ma part. Mais le jour même, après avoir fait toutes les prises, je lui ai proposé d’improviser une séquence où je lui demanderais de faire des chœurs sur Viens Poupoule et lui déclinerait la proposition poliment, sans me froisser. Il a accepté et me voilà lui dire que je connaissais les paroles de Viens Poupoule. En réponse, il me demande, de la chanter… ce que je fis puisqu’effectivement je la connaissais. Mais après avoir tous rit de la malice de François, je lui ai demandé si on pouvait la tourner réellement. C’est ce qu’on a fait ; le plus dur pour moi était de ne pas rire aux répliques de François, car je savais que la séquence s’arrêterait aussitôt.

 

Pourquoi avoir tourné des scènes de reconstitution, et pourquoi en plan séquence ?

 

Lorsque j’ai lu Les Mémoires de Mayol, j’ai visualisé immédiatement certaines anecdotes sur une scène de théâtre. Dans ces histoires largement romancées, tantôt émouvantes, tantôt rocambolesques, j’ai retrouvé toute la démesure purement méridionale. C’est pour cette raison que j’ai fait appel à trois merveilleux comédiens qui interprètent régulièrement les classiques de Pagnol au Château de la Buzine près d’Aubagne. Paradoxalement, je ne suis pas du tout fan des docu-fictions et des reconstitutions historiques, et c’est sans doute pour ça que j’ai choisi ce dispositif scénique en premier, car il me permettait de me débarrasser de l’encombrant souci de réalisme. Quant aux plans séquences, c’est uniquement la volonté de respecter l’unité de temps du théâtre qui m’a guidé et qui permet de garder une certaine tension et attention.

 

C’est aussi un film musical, avec de vrais partis pris ?

 

En effet, je ne voulais pas que les enregistrements de Mayol de l’époque soient illustratifs. Je voulais que les chansons originales que l’on entend dans le film soient diégétiques, comme disent les spécialistes ; c’est-à-dire qu’elles soient intégrées à la mise en scène. C’est pour ça que l’on entend et que l’on voit La Paimpolaise jouée sur un phonographe, que l’on entend et que l’on voit Mayol chanter Les Mains de femmes sur des images d’archives… Par contre je voulais de la musique originale, dans la tradition de musique de film et j’ai demandé à mon ami Anthony Belguise de la composer.

 

Comment vous est venue l’idée de mettre en scène la guingette hot club ?

 

Je ne l’avais pas du tout imaginé au moment du script. En 2021, au lieu d’organiser une édition de mon festival, avec mon équipe nous avons célébré les 80 ans de la mort de Félix Mayol avec une exposition, un spectacle à l’Opéra de Toulon, des concerts, et le documentaire qui venait clôturer l’année. Et pour ces commémorations j’avais demandé

au groupe toulonnais Guinguette Hot Club, qui ré-interprète selon leurs goûts des grands classiques de la chanson française, de s’emparer du répertoire de Mayol. J’ai reçu les premières maquettes peu de temps avant le premier jour de tournage et ça m’a tellement plu que j’ai tout réécrit pour pouvoir intégrer les musiciens dans le film. En cela, j’ai été inspiré par l’excellent film Woman at war mais aussi par le cinéma de Kusturica…

 

Propos recueillis par Fabrice Lo Piccolo

À PROPOS DU RÉALISATEUR

Luc Benito partage ses activités entre la musique et le cinéma car il est compositeur de musiques électronique sous le nom de Didier Six mais aussi exploitant de salles de cinémas art et essai depuis 2008. Il a également conjugué ses deux passions en organisant sur l’agglomération toulonnaise depuis 2005 un festival de ciné-concerts, le FiMé (Festival International des Musiques d’Écran).

 

Il y a quelques années il découvre la vie romanesque de Félix Mayol, immense vedette du début du XXe siècle, totalement oubliée de l’histoire de la chanson et décide d’écrire, produire et réaliser son premier long-métrage documentaire, Félix et moi. Une expérience qui lui ouvre la voie à d’autres projets de documentaires.

LISTE TECHNIQUE ET ARTISTIQUE

Réalisation : Luc BENITO
Assistant réalisation : Anthony MAGNONI
Chef opérateur : Aurélien PY
Steadicam : Benjamin MARZIAC
Cadreurs : Félix MARMORAT, Gustav GENTIEU
Prise de son : Loïc JOURNO, Valentin DAVID
Montage : Anthony MAGNONI
Mixage : Loïc JOURNO
Script / clap : Margot GUWY
Maquillage / coiffure : Damia PASSON, Élodie THONNAT
Etalonnage : Luc BENITO / Éric GORON
Musique originale : Anthony Belguise, Guinguette Hot Club
Animation : Emmanuel BAUDOUX, Jean-François GALATAUD, Éric DRAGON

 

Charles BERLING : narrateur
François MOREL : narrateur
Luc BENITO : narrateur
Olivier CESARO : Félix Mayol
Jacques MAURY : Marius Escartefigue, Jean Aicard, le père Dorfeuil, l’hypnotiseur Pickman,
Cécile BECQUERELLE : Jenny Cook, Misé Pebron
Mathieu BECQUERELLE : chanteur
Antoine SAHLER : painiste
Franck PANTIN : pianiste

CE QU'EN PENSE LA PRESSE

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