Après avoir réalisé un court métrage de marionnettes, j’ai succombé au charme de l’animation en stop motion, technique traditionnelle en République tchèque représentée par des artistes comme Trnka ou encore Švankmajer. Je cherchais un sujet approprié et en lisant avec ma fille le soir, j’ai découvert le récit de Mikäel Ollivier intitulé “La vie, en gros”. J’ai aimé son histoire, ses personnages. Adapter son livre en film a été pour moi une évidence, j’imaginais déjà un monde qui prenait vie grâce aux marionnettes. Il y a peu de films pour cette tranche d’âge, le début de l’adolescence, qui soit à la fois drôle, touchant et délivre un message d’espoir. Je me rends compte de l’importance qu’il y a à donner de l’espoir aux enfants et à leur montrer qu’ils ne sont pas seuls, qu’il n’y a pas qu’une seule bonne façon de vivre. Que les problèmes et les situations peuvent être envisagés sous plusieurs angles et qu’il est normal de commettre des erreurs et que l’on peut en tirer des leçons. La rencontre avec l’auteur du livre, Mikäel Ollivier, a confirmé mon envie d’adapter ce livre car nous nous comprenions parfaitement. Pour ma part, le thème le plus important du film n’est pas le surpoids, mais l’acceptation de soi. Cela veut dire être capable de se voir sans artifice, apprécier sa valeur et apprendre à s’aimer. Et lorsqu’une personne s’accepte telle qu’elle est, tout devient un plus simple, même la perte de poids.
Le livre de Mikäel Ollivier est un récit à la première personne, avec Ben lui-même comme narrateur, c’est ce qui explique qu’il a eu autant de succès auprès des jeunes lecteurs. C’est exactement ce que je voulais transposer dans le film. Dès le début, travailler avec des marionnettes m’a semblé la meilleure façon de représenter le monde de Ben. Pour pénétrer profondément dans son imagination et son esprit, j’ai choisi de combiner deux techniques d’animation : les marionnettes en stop motion et l’animation 2D. Cela permet de séparer clairement les deux mondes : le monde réel de Ben en stop motion et celui imaginé par Ben en animation 2D. Les « pensées » de Ben en animation 2D (imagination, rêves et cauchemars…) le suivent tout au long de l’histoire. Au moment où Ben tombe en dépression, les deux mondes, en stop motion et 2D, se relient et Ben finit par ne plus distinguer la réalité de la fiction. Grâce à l’animation, je peux offrir au public une atmosphère, un style narratif et un reflet de la vie quotidienne, en accentuant le style graphique pour être plus subjectif, poétique et stylisé que ce que je pourrais faire en prises de vue réelles. « La vie, en gros » aborde des sujets sérieux et importants pour les jeunes spectateurs à travers le personnage de Ben, qui est capable de se regarder avec légèreté et humour. La possibilité de styliser les personnages, à la limite de la caricature me permet d’avoir un impact plus fort sur la perception du spectateur.
Le fait que je sois impliquée à la fois dans la direction artistique du film et comme réalisatrice, signifie que chaque marionnette est passée entre mes mains. La tête de chaque personnage est sculptée de manière à ce que son caractère soit clairement lisible. La stylisation des marionnettes et la grande importance accordée aux détails du visage transforment une histoire ordinaire en un monde unique et intense. Afin de rendre l’histoire claire, nous avons essayé de travailler avec un nombre réduit de lieux qui, ensemble, forment une petite ville pouvant sembler familière aux spectateurs du monde entier. Je n’avais pas besoin d’imiter le monde réel, je préférai laisser au spectateur de la place pour son imagination. L’imperfection de la patine des décors, des personnages faits à la main, ainsi que le charme de la technique des marionnettes animées en stop motion permettent de susciter la curiosité du spectateur et renforcer le lien émotionnel qui le lie au film. Le son et la musique jouent également un rôle essentiel. Tout au long du film, on est accompagné par une chanson que Ben a lui-même composée et qu’il présente à la fin avec son groupe au concert de l’école. Ben invente toutes sortes de mélodies dans sa tête à partir des sons qui l’entourent et qui constituent la base de la musique du film.
Kristina Dufková