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Dans une province déserte du Tibet, un léopard des neiges s’introduit de nuit dans un enclos et tue neuf moutons. Ivre de sang, il s’y endort et se retrouve prisonnier au matin. Une équipe de télévision arrive sur les lieux alors que le berger, fou de colère, promet de tuer l’animal si l’État refuse de lui accorder une compensation financière. Son frère, un jeune moine qui semble communiquer de manière subliminale avec l’animal, veut le sauver à tout prix, tout comme deux policiers qui tentent de raisonner le berger.
2023
Pema TSEDEN
Pema TSEDEN
Tseten TASHI, Jinpa, Xiong ZIQI
1h49 – Coul./NB – Dolby Digital 5.1
11 Septembre 2024
C’est une histoire de compassion, de sollicitude et d’amour sans pareil.
C’est aussi une histoire qui montre comment des hommes et des léopards des neiges (ou autres créatures) peuvent finir par s’entendre.
Il y a quelques années, j’avais appris par un ami que, dans une région du Tibet, un léopard des neiges avait sauté dans un enclos de moutons, pendant la nuit, et tué quelques brebis, avant de s’endormir sur place. Le lendemain, on le retrouva piégé à l’intérieur de l’enclos dont il n’avait pu ressortir. Certains proposèrent de le libérer tandis que d’autres disaient qu’il ne fallait pas le relâcher aussi facilement. C’était tout ce que je savais et j’ignorais si on avait fini par le remettre en liberté ou non, mais cette histoire me trottait dans la tête.
En 2020, j’étais confiné à la maison, à cause du Covid, et j’avais tout le temps pour réfléchir à plein de choses. Un jour, l’histoire du léopard des neiges me revint à l’esprit et une envie soudaine me prit d’en tirer un scénario dont j’espérais pouvoir faire un film sur grand écran. Après avoir rédigé une première ébauche, je fis des recherches au sujet des léopards des neiges afin d’étoffer mon scénario. Au cours de l’écriture, je partageai l’histoire en deux parties, une partie réaliste et une surréaliste. Même si, en apparence, il y a deux histoires, une au passé et l’autre au présent, elles sont intrinsèquement reliées et indissociables.
La partie réaliste se déroule sur deux journées, dans le présent, pendant l’hiver 2012. L’histoire est vue à travers les yeux d’un jeune lama, surnommé le lama « léopard des neiges », qui aime photographier les dits animaux. Un léopard des neiges saute dans un enclos et tue neuf moutons. Une querelle éclate alors entre le père et le fils. Le fils voudrait qu’on tue l’animal alors que le père insiste pour qu’il soit remis en liberté.
La partie surréaliste se situe dans un passé lointain. Le bébé léopard (peut-être le même que celui de la partie réaliste) saute dans un enclos de moutons appartenant à une famille (celle du lama « léopard des neiges », avant qu’il soit devenu un lama) et il est capturé après avoir tué trois moutons, puis libéré plus tard par le futur jeune lama ; une fois devenu un lama, celui-ci passe 365 jours de formation dans une retraite de montagne et alors qu’il est perdu dans la forêt et que la mort le guette, il est sauvé par ce même léopard qui le ramène dans son village.
Les deux parties sont teintées de réalisme magique. Bien que la partie réaliste se déroule dans le présent, elle contient quelque chose de surréaliste, tandis que la partie surréaliste, qui se situe dans un passé lointain, possède une touche de réalisme. C’est très simple, sans rien de fantastique ou de sensationnel.
Pour la partie réaliste, j’ai eu recours à une façon réaliste de raconter l’histoire de manière à en souligner la réalité, pour que l’image possède une qualité documentaire. Pour le cadre, tourner en décors naturels permet d’atténuer les traces artificielles. Pour la bande son, j’essaie aussi de restituer la qualité sonore du véritable environnement. En ce qui concerne la prestation et les costumes des acteurs, je veux être aussi simple et naturel que possible pour conserver la texture de la vie. Pour la partie surréaliste, j’utilise une différente présentation : une position de la caméra plus fixe pour conférer à l’image une impression de solennité et de mystère, tout en conservant de la simplicité. Pour les décors, j’espère trouver ou construire des espaces complètement différents de ceux du monde réel, afin de correspondre à l’atmosphère surréaliste de l’histoire.
J’espère que l’on parvient véritablement à atteindre une forme de réalisme magique et qu’il ne s’agit pas d’un film où le fantastique n’apparait qu’en surface.
PEMA TSEDEN
PAR FRANÇOISE ROBIN (INALCO)
En République Populaire de Chine (RPC), la représentation des Tibétains à l’écran a été longtemps monopolisée par l’État chinois et par les réalisateurs Han (en Inde et au Népal où vivent actuellement 120 000 Tibétains, contre six millions au Tibet dit «chinois», un cinéma tibétain a commencé à émerger un peu plus tôt, mais il n’en sera pas question ici). En effet, dès les années 1950, décennie de l’incorporation du Pays des neiges à la Chine, souvent violente quoi qu’en dise la doxa historique chinoise qui parle de «libération pacifique», et jusqu’à l’avènement d’un jeune cinéma tibétain dans les années 2000, le Tibet et ses habitants ont été exclusivement montrés et, partant, interprétés et imaginés, par des Chinois Han. Oscillant entre la condescendance et la fascination un peu naïve, l’une n’excluant pas l’autre, ces films ont surtout montré ce que les réalisateurs voulaient ou pouvaient voir (ou pas) du Tibet et, au final, ce qu’ils avaient à dire à propos d’eux-mêmes et de leur rapport à l’Autre. On pourrait en dire de même pour la représentation occidentale du Tibet au cinéma (Scorsese, Annaud, Bertolucci).
En 2003, dans un article important sur la représentation du Tibet par les réalisateurs chinois, le pionnier des documentaristes tibétains Dorje Tsering Chenaktsang précisait que le premier film chinois sur le Tibet avait été réalisé dès 1953 : c’était La plaine d’or et d’argent. Il ajoutait que, cinquante ans plus tard, une trentaine de films chinois avaient été réalisés en rapport avec le Tibet.
Or, au moment où D. T. Chenaktsang déplorait le fait qu’aucun Tibétain n’ait écrit de scénario malgré cette pléthore de films, Pema Tseden, Sonthar Gyal et Dukar Tserang, la troïka du cinéma tibétain en RPC, étaient justement en train de terminer leurs études à l’Institut du Film de Pékin, qui a formé les plus grands noms du cinéma chinois. Le premier était en section «Réalisation», le second, en «Photographie» et le troisième, en «Son», reflétant l’inclinaison personnelle de chacun : Pema Tseden avait commencé à publier des nouvelles au milieu des années 1990, Sonthar Gyal, fils de peintre, enseignait les arts plastiques, et Dukar Tserang composait de la musique. Amis de longue date, ils s’étaient donnés pour mission de faire émerger un cinéma tibétain, et avaient compris que seule une formation professionnelle pourrait leur assurer des compétences techniques, un réseau potentiel et une légitimité. Ils réussirent tous les trois en 2000 l’examen d’entrée à cet institut. Au même moment et parce que l’argent est le nerf de la guerre, Sangye Gyatso, poète et ami d’université de Pema Tseden, se formait aux métiers de la finance. A l’époque, ce pari semblait fou : jusqu’en 2000, aucun d’entre eux ne connaissait qui que soit dans le monde du cinéma, ils n’étaient pas issus du sérail, leur culture cinématographique était des plus réduites, ils n’avaient pas un sou vaillant, et ils ne pouvaient compter que sur leur force de persuasion, leur acharnement et leur volonté. On n’insistera pas non plus sur le risque qu’il y avait, pour des Tibétains, à prendre en mains leur propre représentation, dans un contexte politico-culturel des plus autoritaires.
Mais l’audace et le talent payèrent : Pema Tseden a réalisé depuis 2004 huit films, et Sonthar Gyal quatre, tous récompensés par des prix nationaux et internationaux. Dukar Tsering est en train de terminer un documentaire et un film de fiction, tout en ayant collaboré aux films de ses amis et à bien d’autres, et Sangye Gyatso, après avoir produit les premiers films de Pema Tseden, poursuit une carrière d’entrepreneur culturel tibétain.
Grâce à eux, les regards chinois et occidentaux sur les Tibétains au cinéma doit composer avec le regard tibétain, le « Tibetan gaze ». Au fil des ans, les réalisateurs tibétains ont écrit et tourné des histoires situées dans les milieux les plus divers géographiquement (en témoigne la richesse des dialectes qui y sont entendus), avec des équipes de plus en plus tibétaines et des acteurs qui, d’amateurs, deviennent de plus en plus professionnels. Évitant l’exotisme ou la facilité, ils nous content des histoires de Tibétains, principalement des paysans et des pasteurs-nomades, mais aussi des chauffeurs de camion, des professeurs, des coiffeuses, et même des réalisateurs. Le bouddhisme figure souvent en arrière-plan, tant il sous-tend le monde culturel tibétain, mais il ne monopolise pas l’écran. La musique tibétaine, allant de l’opéra au rap, y a toute sa place. Grâce à eux, on peut constater que la société tibétaine est une société humaine comme les autres : elle abonde en histoires d’amour, en interrogations sur l’avenir, en tensions familiales, elle prise l’humour, elle est rongée par des problèmes économiques, les rivalités personnelles ou communautaires, le remords. Parfois, mais discrètement, l’histoire douloureuse mais indicible est également évoquée.
Une autre grande absente est la ville de Lhasa, puisque Pema Tseden et Sonthar Gyal, originaires de l’Amdo (actuelle province du Qinghai), à 1500 kilomètres de Lhasa, n’ont jamais obtenu le droit d’y filmer.
On ne soulignera jamais assez les prodiges que cette première génération a dû accomplir pour mener à bien son rêve : bâtir un cinéma national avec des codes, des histoires, un tempo qui lui sont propres, un cinéma qui ne semble pas s’essouffler mais au contraire est en passe de prendre une place centrale en Chine et dans le monde. Elle a inspiré à son tour de jeunes Tibétains qui se lancent dans l’aventure.
* Ce texte a été écrit par Françoise Robin (Professeure à l’Inalco et spécialiste de cinéma tibétain) dans le cadre de la retrospective consacrée au réalisateur par le Festival International des Cinémas d’Asie de Vesoul en 2020.
Pema Tseden était un écrivain et cinéaste tibétain, le premier en Chine à réaliser des films entièrement tournés en tibétain. Son talent rare, discret mais immense, était celui d’un artiste capable d’interpréter avec une précision lucide la culture de sa minorité ethnique et de décrire leur relation parfois difficile avec la bureaucratie et les lois d’un gouvernement central, physiquement et spirituellement très éloigné de son Qinghai natal. L’utilisation du passé pour parler de Pema Tseden ne me semble pas correcte. C’est un rappel douloureux de la mort soudaine qui l’a surpris dans la fleur de sa maturité artistique en mai dernier, alors qu’il lui restait tant de films à tourner. Le Léopard des neiges a été achevé à la fin du mois d’avril 2023, quelques semaines seulement avant son décès.
Cette belle histoire d’un léopard des neiges majestueux mais mortel et de ses relations compliquées avec les communautés du plateau tibétain est racontée à travers les yeux du directeur d’une équipe de télévision locale et de son ancien camarade d’école, un moine passionné de photographie.
Le Léopard des neiges est un film magique, mémorable et visuellement époustouflant. C’est encore une fois un drame exquis de Pema Tseden et un portrait plein d’empathie de la dynamique moderne qui affecte la société pastorale du Tibet.
GIOVANNA FULVI – TIFF (Toronto International Film FestivaL)
LES FICHES DU CINÉMA
Un film empli de poésie, à voir absolument !
CINEMATEASER
Derrière les agitations et les éclats de voix de ces hommes rassemblés dans une ferme isolée autour de l’animal, là où la nature humaine est irrémédiablement à la fraternité, il y a une démarche spirituelle et empathique qui rend le film spécialement émouvant.
L’HUMANITÉ
Une geste à la fois onirique et humaine qui plaide avec une certaine élégance pour la préservation de l’environnement et des traditions tibétaines.
POSITIF
Fils de berger, diplômé de l’Académie de cinéma de Beijing, Pema Tseden, riche de son talent de nouvelliste, mêle douceur et satire.
aVoir-aLire.com
Une œuvre aussi sensible qu’universelle qui interroge secrètement les relations entre la Chine et le Tibet.
CAHIERS DU CINÉMA
« S’il retrouve dans Le Léopard des neiges une considération pour les nuances sociales et culturelles, Tseden y déploie à nouveau ce penchant anti-naturaliste qui, de reflets en optiques déformées, distille dans ses films l’impression d’une réalité étrangement décollée d’elle-même, jusqu’à se dédoubler en rêve dans Jinpa (2018).
L’OBS
Naviguant entre fable et documentaire sur cette espèce protégée, le film offre quelques échanges drolatiques et de belles images.
LE MONDE
Pema Tseden explore ce contentieux homme-animal par une bascule constante entre blocs de naturalisme et d’onirisme. Au conflit à chaud qui anime tout ce petit monde, succèdent des percées subjectives dans la mémoire du léopard, animé numériquement. Ce qu’installe alors Pema Tseden, c’est une porosité des règnes, un partage de conscience judicieux entre l’homme et l’animal.
LIBÉRATION
« Le Léopard des neiges » est inégal, tenu et inspiré, à d’autres moments débraillé. Mais ce ballet des points de vue, certaines sorties et entrées de plan surprenantes, un «réalisme magique» des interactions animales et humaines, les effets spéciaux greffés aux décors réels, valent la vue (imprenable) […].
PREMIÈRE
Oscillant entre les longues séquences caméra épaule des journalistes et les scènes expérimentales du point de vue du léopard, le film s’élève bien au-delà de son minimalisme pour questionner le rapport profond entre les hommes et la nature. Au rythme du félin et des paysages qu’il habite, Le Léopard des neiges est un voyage poétique au cœur du Tibet.