Fiction / Canada

LE PLONGEUR

Stéphane, 19 ans, rêve de devenir illustrateur. Accro aux jeux d’argent, il s’engouffre dans une spirale infernale. Endetté, sans appartement, fuyant ses amis à qui il doit de l’oseille, il trouve un job de plongeur au restaurant La Trattoria pour s’en sortir.

ANNÉE
RÉALISATION
SCENARIO
AVEC
FICHE TECHNIQUE
DATE DE SORTIE

2023

Francis LECLERC

Eric K. BOULIANNE, Francis LERCLERC,

Henri PICARD, Charles-Aubey HOUDE, Joan HART, Maxime DE COTRET…

2h07 – Couleur – Dolby Digital 5.1

3 janvier 2024

ENTRETIEN AVEC LE RÉALISATEUR

Ce film est l’adaptation d’un roman très populaire au Canada. Comment avez-vous convaincu Stéphane Larue que vous étiez la bonne personne pour la réaliser ?

 

F.L. : En fait, j’ai fait partie des premiers lecteurs du livre parce que ma copine, qui lit beaucoup de romans, me l’a conseillé. Ce n’était pas du tout un best-seller, encore. Mais je sais qu’il y avait déjà 5 ou 6 réalisateurs au Québec qui voulaient l’adapter. Puis c’est une belle histoire qui s’est passée. Sphère Media a acquis les droits d’adaptation, mais n’avait pas encore de réalisateur attitré sur le projet. De mon côté, je n’avais jamais encore travaillé avec eux. Mais j’ai écrit à Stéphane Larue et je lui ai dit tout le bien que je pensais du roman et aussi ce que moi j’en ferais, sur un synopsis d’une page. Comme un grand coup de coeur. Je ne le connaissais pas, je lui ai envoyé et il m’a répondu dans les 24  heures. Il me connaissait de nom, il avait déjà vu mes films et l’un d’eux est son film préféré. De fil en aiguille Stéphane et son éditeur m’ont appuyé auprès de la maison de production.

 

Vous avez travaillé avec un coscénariste pour adapter le livre en film. Il paraît que vous avez auditionné des scénaristes, comment ça s’est passé ?

 

F.L. : J’aime beaucoup travailler à deux pour l’écriture. Je suis meilleur réalisateur que scénariste, je pense. Je voulais vraiment une plume, quelqu’un qui sache parler comme les jeunes de 2002. Éric K. Boulianne a une quarantaine d’années, il avait 20 ans en 2002 et c’était un Montréalais aussi. Pour moi c’était important. Je pensais qu’il pouvait se mettre dans la peau du plongeur, puis son approche était un peu la même que la mienne. Quand je lui ai parlé

de mon envie de faire un film en voix off, il était très favorable. Et puis il y a aussi le fait qu’il réussisse à se détacher du livre et à vraiment faire un objet cinématographique.

 

La notion d’urgence qu’il peut y avoir en cuisine s’est principalement traduite parle montage. Parlez-moi un peu de vos choix techniques.

 

F.L. : Quand on scénarise, on a une idée très précise de ce qu’on veut voir comme scène. C’est l’avantage d’être scénariste. Je voulais mêler des scènes hyper coupées avec des moments très longs mais qui bougent tout le temps. J’avais l’impression qu’il fallait toujours bouger autour du plongeur, parce qu’il n’y a rien de plus statique qu’un plongeur derrière un comptoir. On a tout tourné en studio, on a enlevé les murs, tout est surélevé. Il n’y avait rien dans le studio, on a reconstruit une cuisine de A à Z pour 12 jours de tournage. Juste la cuisine et la plonge, et le sous-sol. Donc on pouvait enlever les murs, mettre la caméra dans les murs. C’est ce qui permet cette fluidité. Ça a été réfléchi en amont des mois avant le tournage. C’est ce qui fait que ça a l’air réaliste, je pense. Pour moi c’était important que ça ait une vérité documentaire tout en ayant l’air d’un film de cinéma.

 

Paradoxalement, ce qui donne l’air réaliste c’est d’avoir plein de trucs de cinéma…

 

F.L. : Oui, moi je crois beaucoup à la magie du cinéma. Mon premier plan [zénithal],c’est quand même 9 mètres avec une grue énorme dans le studio. Dans une vraie cuisine, on n’aurait jamais pu faire ça. La technique pour moi est intimement reliée à l’écriture, donc quand j’écris, je fais déjà un découpage technique dans le scénario.

 

Et vos acteurs, vous leur laissez une certaine liberté ou est-ce que vous êtes un directeur très précis ?

 

F.L. : Je leur laisse la liberté de mouvement, de souffle, de respiration, d’inverser les choses, mais il y a très peu de choses improvisées. Je n’aime pas du tout l’improvisation. J’ai fait beaucoup de comédie en télévision dans les 10 dernières années. J’ai compris, avec les gens qui écrivent de l’humour, que c’est tellement plus drôle quand tout est pensé, réfléchi, des mois à l’avance, dans chaque réplique, même quand ça a l’air improvisé. Donc je ne crois pas beaucoup à l’improvisation, je crois vraiment à un travail rigoureux d’écriture. Tout ce qu’on entend, même si ce sont des sacres [des jurons], tout est écrit.

 

Comment avez-vous choisi Henri Picard pour incarner le plongeur et que lui a-t-il apporté ?

 

F.L. : J’ai fait une série d’auditions. C’est le seul qui est arrivé non pas ténébreux ou en retrait, mais super confiant, avec un sourire et une attitude de menteur. C’est ça le rôle. Il avait vraiment bien compris le scénario. Et il m’a beaucoup étonné, tout ce qu’il disait avait l’air d’une vérité, alors qu’il n’y a rien de vrai, dans chaque scène où on le voit, il ment. C’est tellement plus intéressant de filmer un menteur qui a l’air complètement vrai que quelqu’un qui joue à mentir. Henri, il avait cet esprit-là dans la vie, cette espèce de candeur, de sympathie. Mais c’est très proche de lui en fait, il est très timide dans la vie et le plongeur devait être timide, car l’auteur l’est aussi.

 

La musique tient une place importante dans le film. Comment avez-vous choisi la bande-son ?

 

F.L. : Dans le roman, déjà, il y a à peu près 400 citations de chansons. J’ai fait une playlist des 350 chansons. Écouter les 350 références métal, c’est très difficile. Après, dans le scénario, Éric et moi, on a vraiment gardé des références du roman puis on a créé nos propres références. Une fois au montage, il y en a qui ne marchaient pas, d’autres pour lesquelles on n’avait pas les droits. Ça a été toute une aventure pour aller chercher les droits de 25 chansons. Le métal c’est le reflet du roman, mais aussi de ce que moi j’aimais à Montréal en 2002. Ce ne sont pas des hits mais des chansons que moi j’écoutais. Ça reflète un côté plus  personnel. Par exemple, ma chanson préférée de Radiohead. Quand j’ai écrit au groupe, ils ont tout de suite vu la sincérité, pourquoi je voulais ce morceau. Ils m’ont répondu « ta démarche, on la comprend, c’est parfait » et c’est comme ça qu’en 48 heures on avait un oui des quatre membres du groupe. C’est fou quand même !

 

Quelle a été pour vous la plus grande difficulté sur ce tournage ? Et peut-être le plus grand enseignement ou ce que vous en retenez ?

 

F.L. : La difficulté, il y en a partout et c’est pour ça qu’on fait ce métier-là. Si tout était facile, on ferait des films faciles. Le miracle c’est que ça s’est bien passé ! Ça ne veut pas dire qu’on ne se bat pas. Je pense qu’il faut être exigeant envers soi-même. C’est sûr que c’est terrible de tourner la nuit au Québec, à Montréal l’hiver. C’est des heures et des heures à avoir froid, puis c’est très humide Montréal. Mais je pense que les acteurs ont été tellement proches pendant la première partie du tournage, en extérieur, que ça nous a servi pour les 12 derniers jours en cuisine. Ça réunit beaucoup quand on est dans l’adversité de la nature. Et après en studio c’était facile, et pourtant c’était hyper technique. Il y avait un échange tellement organique entre tous les acteurs que ça a été super agréable. On a aussi eu des cuisiniers professionnels qui nous ont accompagnés et je suis content de ne jamais avoir reçu un commentaire négatif du milieu de la restauration. Tous les restaurateurs de Montréal ont dit que c’était exactement comme ça à cette période-là. On a pris des menus de 2002,ce sont vraiment les pâtes qu’on servait dans ce resto-là en 2002. Il y a eu un travail de recherche énorme à la direction artistique. Moi j’aime bien être précis. J’ai fait beaucoup de films d’époque en fait, 5 de mes films sur 6. Donc finalement pour moi, 2002 c’était un peu comme une autre époque.

 

C’est pensé comme un film d’époque, même si c’est une époque qui nous paraît récente.

 

F.L. : Oui, et c’est quand même difficile à Montréal, parce qu’il n’y a pas une voiture qui date de 1998 dans les rues, ce qui fait qu’on en a loué et on les a placées en conséquence. Un gros casse-tête. Par ailleurs, il n’y a plus de cabine téléphonique non plus. Donc il a fallu la trouver, la mettre à l’endroit. Et cet endroit-là est très important dans ma vie, parce que mon appartement est à côté. Ça a l’air futile, mais l’appartement de Marie-Lou dans les flashbacks, c’était mon appartement en 97-98. J’ai insisté pour tourner dans ce lieu. Là où ils s’embrassent, c’était ma chambre. Il y a eu je ne sais pas combien de colocataires qui sont passés depuis, mais l’appartement n’a pas changé en fait. C’est  fou, mais juste dans les détails ça apporte quelque chose d’hyper personnel. Et puis mon directeur photo, je l’ai connu dans ces années-là, donc il était souvent venu dans cet appartement, il le connaissait par coeur. C’était très drôle de se retrouver là, avec ses bons amis de l’époque, à faire un film qui se passait à cette époque.

 

L’auteur a mis beaucoup de lui dans le livre, mais vous, vous avez mis beaucoup de vous dans le film !

 

F.L. : C’est un mélange entre Stéphane, Éric et moi. Éric, le coscénariste, a amené le côté rap parce qu’il en écoute beaucoup et une dimension sur le réalisme des jeunes. Je pense que ça en fait un film d’auteur accessible. Je sais que les jeunes aiment beaucoup le film. Ça a été un bon succès au Québec. Et ça a donné aux jeunes le goût d’aller voir d’autres films, aussi. C’est  sûr que Le Plongeur pour eux c’est plus attirant qu’un film d’époque avec des chevaux et des calèches qui se passe en1880. Ça leur parle beaucoup plus.

 

Mais au Canada il y a une certaine mouvance du film d’adolescence ou de coming of age, c’est quelque chose que vous faites bien, surtout dans les films francophones, et peut-être mieux qu’en France d’ailleurs.

 

F.L. : Ça vient aussi de jeunes cinéastes, plus jeunes que moi, qui font de très bons films. Et je dirais même, une vague de jeunes cinéastes femmes qui sont très talentueuses et à qui on a vraiment laissé la place qui leur revient depuis 5-6 ans. Avant 2015, 2016, on n’a pas tant de films avec des jeunes faits par des femmes. Et ce sont ces films-là qui marchent auprès des jeunes.

 

Entretien réalisé par Élise Remy pour Lilylit

À PROPOS DU RÉALISATEUR

Francis Leclerc a étudié à l’Université Laval, qu’il quitte très tôt pour Montréal.

Dans les années 90, il tourne une quarantaine de clips dont ceux de Kevin Parent qui lui valent 2 Félix au Gala de l’ADISQ. Il tourne aussi des publicités et une quarantaine de courts-métrages. À la mi-vingtaine, Robert Lepage lui confie le scénario et l’adaptation de la pièce Les sept branches de la rivière Ota.

 

À ce jour, il a réalisé plusieurs longs-métrages : Une jeune fille à la fenêtre, Mémoires affectives, Un été sans point ni coup sûr, et Pieds nus dans l’aube. Son film Mémoires affectives a remporté 4 prix Jutra dont celui du meilleur film, 3 prix Génie et le Bayard d’or du meilleur scénario au Festival de Namur en Belgique. Pieds nus dans l’aube remporte le Prix Hydro-Québec pour le film coup de coeur du public au Festival du film international de BaieComeau. En 2020, il signe également la réalisation de. L’Arracheuse de temps . Son prochain long-métrage Le plongeur sera à l’affiche le 03 janvier 2024.

 

À la télévision, il a réalisé Nos Étés, Les Rescapés, ainsi qu’Apparences écrit par Serge Boucher et Mon meilleur ami. Il a également coréalisé avec Yves Simoneau, Marie-Antoinette, un téléfilm coproduit par la France et le Québec. Plus récemment il a travaillé sur 3 saisons de Les beaux malaises puis sur Marche à l’ombre I-II-III et Mensonges IV, Le Phoenix et 5e Rang.

 

Son plus récent court-métrage, coréalisé avec Arnaud Brisebois, Trotteur a été présenté dans une quarantaine de festivals dans le monde entier. Le film a remporté plusieurs prix dont le Jutra du meilleur court métrage et celui du meilleur court métrage canadien à l’Edmonton International Film Festival.

CE QU'EN DIT LA PRESSE

FRANCE INFO CULTURE

Habité de personnages pittoresques, un peu long, mais intelligent, avec un filmage peaufiné, plongez avec Le Plongeur.

 

aVoir-aLire.com

Sensible, délicat et nuancé, Le Plongeur parle d’une certaine jeunesse québecoise tout autant déterminée à faire grandir sa vie qu’à lutter contre ses démons. Indéniablement un très beau film porté par un jeune comédien formidable.

 

CULTUROPOING.COM

Le scénario a l’intelligence de ne pas tomber dans le tempo spectaculaire et convenu de ce type de parcours, en aplanissant les montagnes russes entre les rares phases de succès et les inévitables désillusions.

 

LES FICHES DU CINÉMA

Entre drame et polar, une “plongée” psychologique angoissante et sous tension.