Fiction / Grande-Bretagne

SCRAPPER

Banlieue de Londres. Géorgie 12 ans vit seule depuis la mort de sa mère. Elle se débrouille au quotidien pour éloigner les travailleurs sociaux, raconte qu’elle vit avec un oncle, gagne de l’argent en faisant un trafic de vélo avec son ami Ali. Cet équilibre fonctionne jusqu’à l’arrivée de Jason, un jeune homme qu’elle ne connait pas et se présente comme étant son père.

ANNÉE
RÉALISATION
SCENARIO
AVEC
FICHE TECHNIQUE
DATE DE SORTIE

2023

Charlotte REGAN

Charlotte REGAN

Harris DICKINSON, Lola CAMPBELL, Alin UZUN, Cary CRANKSON…

1h24 – Couleur – Dolby Digital 5.1

10 janvier 2024

ENTRETIEN AVEC LA RÉALISATRICE

Quel est le point de départ de Scrapper ?

 

Je ne m’en souviens pas précisément, mais je pense avoir toujours voulu réaliser un film sur la classe ouvrière qui puisse exprimer aussi une certaine joie de vivre. J’ai grandi en adorant ce cinéma-là, mais j’avais l’impression qu’il s’agissait toujours de représentations très définies par la pauvreté, avec des personnages déprimés. Je pense que Scrapper vient de ce désir, mais aussi du deuil que j’étais en train de vivre à ce moment-là. J’ai eu envie de mélanger ces deux choses.

 

Le cinéma de Ken Loach a été important dans votre vie ?

 

Oui, j’ai toujours adoré Ken Loach. Tout particulièrement Shane Meadows. Je pense que justement ses films arrivent à montrer la joie de ces mondes-là. Les films de Ken Loach sont géniaux et s’ils sont tristes c’est pour une raison précise, c’est pour nous communiquer quelque chose, pour éveiller nos consciences.

 

Vous racontez une histoire de famille dans laquelle l’un des membres, en l’occurrence le père, est un étranger. C’était important pour vous, politiquement, de regarder aussi la famille comme une construction ? Comme quelque chose qui s’apprivoise, qui n’est pas naturel ?

 

Oui, je vois vraiment les choses comme ça. C’est une conception qui est présente à travers tous mes films. On nous montre souvent qu’il n’y a qu’une manière acceptable de faire famille. Mais si on vient d’un milieu qui n’est pas privilégié, on se rend très vite compte que ce n’est pas une réalité. J’ai grandi en pensant que mon enfance était la meilleure du monde, et elle l’était ! Mais c’est seulement quand j’ai rencontré des gens de la classe moyenne que je me suis rendue compte qu’elle était différente de la leur, et que selon eux elle pouvait paraitre bizarre.

 

Scrapper part d’un argument dramatique, qui est le deuil vécu par la petite Georgie, qui vient de perdre sa mère, mais il a quelque chose de « feel-good », c’est une comédie.

 

J’ai toujours eu le sentiment que dans chaque drame, dans chaque part d’ombre se trouvait quelque chose de positif. Et j’ai l’impression que c’est d’autant plus vrai chez les gens qui ont peu de choses. Quand j’étais en train d’écrire mon film, j’ai perdu mon père et ma grand-mère. Je me suis alors rendue compte que les adultes avaient tendance à vouloir rationaliser le deuil, à l’analyser en plusieurs étapes pour tenter de le surmonter. Quand j’ai rencontré des enfants qui étaient eux même en train de traverser un deuil, j’ai constaté qu’ils ne le vivaient pas du tout de la même manière. Eux s’autorisaient à ressentir des choses très diverses et peu importe ce qu’ils ressentaient sur le moment. C’était plus un process au jour le jour. J’ai trouvé alors que cette manière de voir les choses m’aidait beaucoup plus à vivre mon propre deuil que tous les livres d’adultes que j’avais pu lire sur la question. J’en ai lu des quantités astronomiques et ça ne m’a rien apporté.

 

Dans l’une des premières scènes du film, Georgie est prise la main dans le sac en train d’essayer de voler un vélo, mais elle parvient à s’en sortir par son éloquence. On a l’impression qu’elle est déjà une adulte coincée dans un corps d’enfant. C’est comme ça que vous avez écrit le personnage ?

 

Totalement, même si la conception des personnages a beaucoup évolué en fonction des rencontres avec les acteurs. Par exemple Lola [Campbell], qui joue Georgie, est une personne totalement différente de son personnage, mais nous nous sommes inspirés d’elle pour le construire, et avons intégré beaucoup de ses traits ou de son caractère au personnage de Georgie. C’est un personnage qui se laisse porter, qui peut vendre n’importe quoi, à n’importe qui. On rencontre beaucoup d’enfants comme elle à Londres, et notamment dans les milieux issus de la classe ouvrière. D’une certaine manière, ce sont des enfants qui s’éduquent seuls, c’est le cas de Georgie. Elle a une manière beaucoup plus mature de gérer les évènements que les autres enfants.

 

Justement, pouvez-vous nous raconter comment s’est faite la rencontre avec la jeune actrice Lola Campbell, dont c’est le premier rôle au cinéma ?

 

Elle avait envoyé cette vidéo incroyable où elle ne faisait rien d’autre que parler de son magasin préféré à Londres. Elle ne s’arrêtait pas ! Dès que je l’ai vu, j’ai dit à Farhana [Bhula], ma productrice, que c’était elle. Puis nous l’avons fait venir pour qu’elle passe une audition. Là, elle s’est retrouvée totalement bloquée. Elle n’osait même pas nous regarder dans les yeux, ou même nous parler. C’était juste après la crise du Covid. Je pense que beaucoup d’enfants de son âge n’avaient plus eu d’interactions avec d’autres personnes autres que les membres de leur famille, pendant près de deux ans. C’était donc une expérience terrifiante pour elle. Puis elle fait partie de cette génération de jeunes Tiktokers qui peuvent très bien jouer, performer, seuls, devant une caméra, mais qui peuvent aussi se retrouver apeurés devant un groupe d’inconnus. Ce qui fait que pour la première audition, elle ne nous a absolument rien dit. Nous avons alors parlé à sa mère puis nous avons organisé des visites chez Lola une à deux fois par semaine pour qu’elle s’habitue à nous. À la fin, elle a décidé que nous étions ses amies et elle a fini par bien vouloir nous parler.

 

Au cours du film, différents personnages récurrents s’expriment face caméra pour commenter le récit. Comment les avez-vous pensés ? Quels sont leurs rôles ?

 

Nous avons toujours voulu raconter l’histoire telle qu’un enfant pourrait nous la raconter. C’est à dire que si on demandait à un enfant de nous raconter son été, le scénario devait être fidèle à la manière qu’il a de le raconter. Je voulais que le film épouse complètement cette vision, je voulais être au plus près du point de vue de Georgie. Selon moi, rien n’est tout à fait réel dans le film. Tout appartient à l’imagination de Georgie. Il est difficile de savoir ce qui a eu lieu ou non parce que les enfants ont tendance à exagérer les choses, à transformer de petits riens en de grandes histoires.

 

Le film se situe dans une banlieue de Londres. Vous insistez beaucoup sur la configuration géométrique et la plastique du lieu : les lignes de trains, le côté labyrinthique du quartier où vit Georgie, les couleurs très vives des bâtiments.

 

Nous cherchions vraiment un endroit qui soit tout un monde pour Georgie, tel que peuvent le ressentir les enfants. Tout ce dont a besoin Georgie se trouve dans ce petit espace, qui pour elle est beaucoup plus vaste que ce qu’il n’est en réalité. Nous avons commencé à chercher des endroits assez tôt, avant même que la préparation du film ne commence. On savait qu’il serait difficile de trouver un décor comme ça à Londres parce que ça n’existe plus trop, notamment à cause de la gentrification. Nous avons fini par trouver un lieu dans la banlieue de Londres qui m’a tout de suite fait forte impression. Des enfants étaient en train de jouer dehors, il se dégageait de ce lieu une sensation de sécurité et de bienveillance. C’est d’ailleurs un endroit où tout le monde se connait et où l’on sent que les gens prennent soin les uns des autres. C’est aussi un lieu qui correspondait absolument à ce qu’on avait en tête, notamment concernant la gamme de couleurs des façades.

 

Il y a quelque chose de cartonnesque dans le film, dans sa forme. Comme cette scène des araignées avec Ali, où tout d’un coup vous intégrez des aspects liés à la bande dessinée dans le film.

 

Cela découle aussi du fait de vouloir rester du point de vue de Georgie. Je n’ai cessé de me demander : comment elle raconterait l’histoire ? Deux ans avant Scrapper, Farhana Bhula et moi avons fait un documentaire sur des enfants de 12-13 ans, tout au long des vacances d’été. Le scénario a beaucoup changé en fonction de leurs humeurs. Parfois, ils étaient intenables, puis quelques instants après ils pouvaient nous parler pendant 2h des extraterrestres. Je pense que nous voulions que cette énergie soit dans le film. Nous voulions aussi contrebalancer avec la maturité de Georgie, qui est issue de la classe ouvrière, et montrer qu’elle était encore puérile sur bien des aspects.

 

La séquence où Jason va chercher Georgie à l’école, mais se trouve de l’autre côté du trottoir, cite implicitement le film de Wim Wenders, Paris Texas. Y’a-t-il d’autres films sur l’enfance qui vous ont inspiré ?

 

J’aime énormément Paris Texas. J’adore Beasts of the Southern Wild de Benh Zeitlin, Florida Project de Sean Baker. J’adore comment tout est tourné du point de vue des enfants

 

C’était important que le père soit si jeune ?

 

Je pense que c’est quelque chose que j’ai beaucoup vu autour de moi pendant mon enfance. Il y avait beaucoup de pères qui avaient des enfants trop jeunes, qui n’étaient pas totalement matures. Ces pères adoraient leurs enfants et étaient prêts à tout pour eux, mais ils étaient eux-même encore des enfants. Mais c’est véritablement quand nous avons rencontré Harris[Dickinson] que nous avons choisi cet âge-là, l’écriture du personnage était assez ouverte. Harris était parfait pour le rôle et le fait qu’il ait cet âge marchait très bien.

 

Comment s’est faite la rencontre avec Harris Dickinson ?

 

On se connaissait d’avant. J’avais travaillé avec Harris il y a très longtemps sur un court-métrage. On avait gardé contact. J’ai vu ses films et j’ai toujours aimé son travail. Hormis son jeu que j’aime beaucoup, ce qui m’attirait aussi chez lui c’est son altruisme. Parce que Scrapper est avant tout un film sur des enfants avec des enfants qui n’ont jamais fait de cinéma avant, qui ont besoin de beaucoup de soutien, de bienveillance pendant le tournage. Et Harris est l’une des personnes les plus altruistes qu’on puisse rencontrer. Il venait sur le plateau même les jours où il ne tournait pas, juste pour soutenir les enfants quand ils avaient de grosses scènes. Il était toujours disponible pour passer du temps avec Lola, pour apprendre à la connaitre. Quand nous nous sommes vus pour les lectures, il a tout de suite apporté un mélange d’enfance et de maturité à son rôle avec un certain décalage qui fait qu’on ne sait jamais trop à quoi il joue.

 

Dans Aftersun, le premier long métrage de Charlotte Wells, il est aussi question d’une relation entre une petite fille et son père jeune. Vos deux films entretiennent des liens particuliers.

 

On compare beaucoup Scrapper à Aftersun, je comprends et j’en suis flattée, c’est un compliment. Aftersun est un film magnifique. J’avais rencontré Charlotte [Wells] au festival de Sundance où j’avais vu ses films courts. J’aime beaucoup son travail. Elle fait partie des nombreuses cinéastes britanniques et de ces incroyables femmes de ces deux dernières années que j’adore comme RaineAllen-Miller, Georgia Oakley et Molly [Manning walker] qui a fait l’image de Scrapper.

 

Pouvez-vous justement me parler de votre collaboration avec Molly Manning Walker qui est également cinéaste et qui a réalisé son premier long métrage How to have sex ?

 

Avant de faire ce film ensemble, il faut savoir que Molly est avant tout une de mes meilleures amies, on se connait depuis longtemps. On a eu tellement de chance de pouvoir vivre cette aventure ensemble. Je ne viens pas du tout du monde du cinéma, mes parents ne sont pas là-dedans, c’était important pour moi d’avoir Molly à mes côtés, comme une alliée. Son film How to have sex est incroyable. C’est très plaisant de se sentir entourée de gens si doués, qui sont sur la même longueur d’ondes, qui ont le même âge et avec qui on peut échanger et partager.

 

Le film comporte une part de fantastique, notamment avec cette pièce cachée qui est un peu comme un jardin secret pour Georgie, un refuge.

 

J’ai l’impression que quand on perd quelqu’un de très important pour soi, on se met à chercher des indices partout pour faire face à ce deuil. J’ai lu beaucoup de livres, notamment Magical Thinking dans lequel l’enfant perd ses parents et se met à placer leurs vêtements, leurs chaussures aux bons endroits pour qu’ils puissent revenir. Ce sont des histoires, des sentiments qui ont fait sens pour moi. Je me voyais faire ces choses-là, alors que j’avais 29 ans, dans l’espoir que mon père revienne. Je pense que le deuil a cet effet sur chacun de nous. Ce qui est amusant c’est que Georgie a quelque chose aussi d’une grand-mère, d’un personnage âgé notamment dans la manière qu’elle a de parler, mais elle veut aussi croire en la magie. Nous avons pensé au film comme un coming of age inversé. C’est comme si Georgie devait apprendre à nouveau à être une enfant et que Jason devait, lui, apprendre à devenir un adulte.

 

Vous écrivez un nouveau film ?

 

Oui j’écris même deux films en ce moment, mais je change d’avis tous les jours ! Je suis terrible avec ça. Ce dont je suis sure, c’est qu’il y aura à nouveau des personnages issus de la classe ouvrière et du réalisme magique, parce que c’est ce que j’aime.

À PROPOS DE LA RÉALISATRICE

Charlotte est une réalisatrice londonienne qui a grandi en faisant des clips musicaux à petit budget pour des rappeurs locaux et qui en a réalisé plus de 200 à ce jour. Son premier court métrage, STANDBY, a été présenté en avant-première au TIFF, avant d’être nominé pour un BAFTA et de remporter un Sundance Award. Son deuxième court métrage, FRY-UP, a été projeté au BFI LFF, à Sundance et à la Berlinale, et son troisième court métrage, DODGY DAVE, a été projeté au TIFF et au BFI LFF. SCRAPPER est son premier long-métrage, développé avec BBC Film/BFI et produit par DMC Film. Elle est Sundance Ignite Fellow, lauréate du prix BFI Future Film and New Talent et a été nommée 2020 Screen International Star of Tomorrow.

LISTE ARTISTIQUE ET TECHNIQUE

Jason : Harris Dickinson
Georgie : Lola Campbell
Ali : Alin Uzun
Mr Barrowclough : Cary Crankson
Emily : Carys Bowkett
Zeph : Ambreen Razia
Kunle : Ayokunle Oyesanwo
Bami : Ayobami Oyesanwo
Luwa : Ayooluwa Oyesanwo
Layla : Freya Bell
Sian : Jessica Fostekew
Youseff : Asheq Akhtar
Josh : Joshua Frater-Loughlin

 

LISTE TECHNIQUE

 

Réalisation : Charlotte Regan
Scénario : Charlotte Regan
Produit par : BFI et BBC FILM
Producteur délégué : Theo Barrowclough
Directrice de la photographie: Molly Manning Walker
Monteurs : Billy Sneddon, Matteo Bini
Compositeurs: Patrick Jonsson
Son : Adam Fletcher
1er assistant réalisateur : Joe Starrs
Costumes : Oliver Cronk

CE QU'EN PENSE LA PRESSE

ECRAN LARGE

« Scrapper » est la nouvelle perle du cinéma indépendant britannique. Digne héritière de Stephen Frears et Stephen Daldry, Charlotte Regan montre toute l’étendue de son talent dans ce premier film qui évite tout misérabilisme pour être tout simplement juste, drôle et émouvant.

 

L’HUMANITÉ

Une chronique charmante marquée par l’interprétation impeccable de la jeune Lola Campbell.

 

LE DAUPHINÉ LIBÉRÉ

Tendrement à hauteur d’enfant, comme dans La Fille de son père d’Erwan Le Duc, Scrapper glisse vers le conte, au moyen de petites pastilles surréalistes échappées de l’imagination de la gamine, jouant à saute-mouton avec le réel et le fantôme présent de sa mère. Ainsi va la vie : il faut bien grandir en rêvant encore.

 

LE FIGARO

Maîtres du cinéma social anglais, Ken Loach et Stephen Frears peuvent être rassurés. La relève est là. Et féminine. Découvert au Festival du film britannique de Dinard, Scrapper est la fable idéale pour commencer l’année en douceur.

 

LES ECHOS

Charlotte Regan ressuscite la figure classique de l’orpheline débrouillarde, dans un premier long-métrage britannique aussi malin que diablement attachant.

 

OUEST FRANCE

Un feel good movie attachant.

 

LE MONDE

Georgie trouve en Lola Campbell une interprète aussi touchante qu’irrésistible, dont émane quelque chose de merveilleux qui fait tout le charme du film.

 

PREMIÈRE

Scrapper reprend finalement le flambeau du Aftersun de Charlotte Wells en ouvrant cette fois-ci une fenêtre sur l’avenir pour ses personnages, tout en nous laissant penser que le cinéma britannique n’a pas été aussi puissant et riche depuis un certain nombre d’années.

 

TÉLÉRAMA

Il y a aussi, dans Scrapper, des scènes de comédie très réussies, un regard vif sur les classes populaires et même une fable qui parle du deuil tel qu’une enfant peut l’affronter, en construisant un monde imaginaire. Cela fait beaucoup de pistes pour un seul film, mais elles sont toutes séduisantes.