Dans un village de pêcheurs galicien, Ramona est ouvrière. Son usine est rachetée et les salaires sont à la baisse. Quand Ramona se rebelle contre cette ultime humiliation, elle est licenciée sur-le-champ. Prête à tout pour garantir l’avenir de sa fille, elle enchaîne alors les petits boulots à un rythme effréné… mais jusqu’à quand ?
2023
Álvaro GAGO
Álvaro GAGO
María VAZQUEZ, Santi PREGO, Soraya LUACES
1h39 – Couleur – Dolby Digital 5.1
3 Juillet 2024
En 2017, vous avez réalisé un court-métrage également intitulé Matria dans lequel Francisca Iglesias Bouzón apparaissait dans le rôle principal. Souhaitez-vous depuis longtemps revenir à ce récit ?
J’ai toujours su que je voulais en faire un long-métrage – je le savais avant même de commencer à travailler sur le court. Il y avait encore énormément de dimensions à explorer dans le personnage de Ramona. Francisca est une amie. C’est vrai qu’elle n’incarne plus le personnage principal ici ; mais elle tient quand même un petit rôle. J’ai tout de suite pensé à elle mais après avoir tourné dans le court-métrage, elle doutait d’avoir la force de faire le long. Le premier tournage avait déjà été très intense, ça devient dur pour elle physiquement. Francisca n’est pas comédienne, elle a commencé à travailler alors qu’elle était âgée de huit ans et n’a jamais cessé depuis. Nous avons donc décidé ensemble de confier le film à quelqu’un d’autre. Elle était ravie que le choix se porte sur María [Vazquez], je lui avais soumis l’idée au préalable, elle a ainsi pu participer à toute la phase de casting. Dans le court, j’avais choisi de me concentrer essentiellement sur le combat de Ramona au quotidien. Je n’avais pas assez de temps pour traiter sa relation avec sa famille ou son mari. Je me rappelle m’être dit : « Je dois la sortir de ce cercle infernal. » Je voulais lui donner une chance de le briser. C’est ce désir qui m’a guidé.
Le film s’inspire de faits réels – ils se sont d’ailleurs déroulés au sein de votre propre famille.
Francisca a commencé à travailler chez mon grand-père, il y a plus de dix ans, lorsque ma grand-mère, est décédée. Il était déprimé et n’avait plus envie de sortir. Elle a débarqué dans cette maison tel un ouragan et lui a redonné goût à la vie. À l’époque, je traînais souvent dans les parages et j’ai été témoin de ces élans de tendresse, de cette générosité débordante dont elle faisait preuve si naturellement. Au début, je ne savais que très peu de choses de sa vie, je ne connaissais que sa détermination et son entrain. Au fil du temps, nous sommes devenus plus proches. Mon admiration pour elle grandissait chaque jour. J’adore la voir, elle me fait mourir de rire.
Chaque fois que je me sens inquiet, je discute avec elle et tout disparaît. Elle a un pouvoir magique, elle m’aide à prendre du recul. Sa présence est thérapeutique. Mes deux films m’ont en réalité servi d’excuse pour passer du temps avec elle : c’est une manière de lui rendre hommage de l’unique façon dont je suis capable. Je souhaitais qu’elle se sente vue, regardée. La plupart du temps, c’est le contraire. Elle m’a souvent dit à quel point elle se sentait invisible.
Ramona passe son temps à courir, à faire un million de choses en même temps, elle parle très vite… Le spectateur éprouve dans sa chair l’urgence de son quotidien…
C’est vraiment ça son quotidien et je voulais effectivement que le spectateur partage ce rythme effréné. Le film commence comme un grand huit et ralentit peu à peu – lorsque le personnage commence à se pencher sur son intériorité. Au début, elle est totalement dévouée aux autres. Elle doit apprendre à prendre en considération ses propres besoins. Quand on tournait le court, j’avais demandé à Francisca : « À ton avis, que se passerait-il si tu t’arrêtais ? » Et elle m’avait répondu : « Il vaut mieux ne pas m’arrêter. » J’ai toujours gardé cette réponse en tête, comme si cette cadence infernale la maintenait en vie. Sans ça, elle se mettrait à réfléchir à sa situation et ce serait certainement trop dur à supporter.
On a l’impression qu’elle est « poursuivie » par la caméra. Qu’aviez-vous à l’esprit pour l’image du film ?
Avec Lucía C. Pan, la chef-opératrice, nous souhaitions créer une expérience immersive. Nous voulions nous adapter au jeu de la comédienne, et pas l’inverse. Je voulais me placer au plus près de Ramona, de ses mouvements. Elle exprime tant de choses à travers son corps et son visage. On voit ses sentiments s’incarner. Avec Lucía, nous avons défini quelques règles. La quête de simplicité en faisait partie. On cherchait constamment à tourner chaque scène avec le moins de plans possibles. La souplesse, également. Nous avons essayé de garder l’esprit ouvert, de nous adapter à ce qui se produisait devant nous. Elle est très douée pour ça. Elle regarde les personnages avec beaucoup de compassion.
C’est dur de garder de l’humour lorsque tout s’écroule autour de soi, pourtant c’est exactement ce que fait Ramona dans le film. Était-ce un motif essentiel pour vous ?
Disons que c’est sa seule issue. Comme ça l’est aussi pour Francisca. Et toutes ses collègues qui jouent également dans le film, elles ont vraiment cette ressource en commun ! Et comme Ramona est un personnage de fiction, elle a un sens de l’humour très aiguisé, toujours la répartie parfaite. C’est cette audace, ce mordant qui lui permettent de survivre que je voulais mettre en lumière. Ces traits de caractère la distinguent d’une figure de victime. Dans Bellissima de Luchino Visconti [1951], Anna Magnani incarne un personnage nommé Maddalena qui a été une grande source d’inspiration. En pensant à elle, je me rappelle d’un passage dans le documentaire d’Enrico Cerasuolo, La Passion d’Anna Magnani, [2019] où elle dit : « C’est beau d’être libre à l’intérieur. » J’avais clairement ça en tête en écrivant Matria.
Pouvez-vous nous dire quelques mots du lieu où se déroule le récit ? Ramona déclare que « Dieu devait avoir des problèmes de vue » lorsqu’il a créé cet endroit. Et sa population semble connaître de nombreuses difficultés.
Je pense sincèrement que cette histoire pourrait se dérouler partout, dans n’importe quel pays. Au cinéma, la diversité, c’est essentiel. J’ai voulu dépeindre des portraits d’individus et un territoire légèrement différents de ceux que l’on nous donne à voir d’habitude. Mes personnages parlent le galicien avec un accent très spécifique de la région de Rias Baixas. J’aime beaucoup cette langue, je la trouve très belle, j’aime sa tonalité, sa musicalité. Je voulais tout saisir, non seulement l’intonation des gens, mais aussi leur façon de bouger, d’interagir, leur rapport à la vie. Pendant la production du film, on m’a beaucoup recommandé de tourner en espagnol, mais ça n’aurait eu aucun sens pour moi. On ne peut pas venir dans un endroit et imposer ses règles. Dès le début, je souhaitais travailler avec une équipe artistique constituée à la fois de non professionnel.le.s et d’acteur.ice.s capables de restituer un parler, une démarche, un rapport à la vie caractéristiques de cette région. L’intonation, la musicalité des mots et du langage corporel comptent autant que la technique de jeu. Je veux cultiver les différences, rendre hommage à ces habitants souvent défavorisés. Et rendre hommage au galicien, une langue qui se meurt doucement.
Pourquoi ce titre, Matria ?
La Galice était connue pour être la terre des femmes. On raconte que les femmes de là-bas disposaient de beaucoup de pouvoir et je souhaitais susciter la discussion sur ce mythe. Par ailleurs, lorsque je réfléchis au mot « patria » [« la patrie »], je le trouve stérile. « Matria » au contraire, m’inspire l’idée d’un espace accueillant, que chacun peut créer pour soi. C’est exactement ce que fait Ramona. Elle regarde à l’intérieur d’elle-même et s’aménage une chambre à elle, à l’intérieur de laquelle elle peut se permettre d’être vulnérable et de se sentir enfin libre. Et peut-être que, plus tard, sa fille y parviendra aussi. Francisca m’a confié avoir trouvé chez mon grand-père un espace où il n’était plus nécessaire de porter des masques. Cela a marqué un tournant dans sa vie. Un jour où nous étions réunis pour un petit repas de famille, elle a dit : « Je ne savais pas qu’il était possible de s’amuser autant. » Même si dans le film, je ne voulais pas que cette figure masculine soit perçue comme celle d’un sauveur. Il lui fournit simplement un endroit qui lui permet de s’épanouir. Leur rencontre peut être interprétée comme un événement qui initie un changement, c’est sûr, mais c’est loin d’être le seul. À la fin, tout repose sur Ramona. Elle est la seule à pouvoir opérer activement les changements dans sa vie.
BANDE À PART
María Vázquez, comédienne inouïe, lui donne une énergie, une dignité, une force qui vous poursuivent longtemps après la projection. Elle est le cœur battant de ce portrait de femme ordinaire qui tient de l’extraordinaire.
CULTUROPOING.COM
Étouffant et surprenant, Matria nous pousse dans nos retranchements autant que Ramona, le personnage principal, ouvrière, épuisée par la vie, mais ne se laissant pas abattre.
OUEST FRANCE
Un film social puissant doublé d’un beau portrait de femme.
TÉLÉRAMA
Un premier film dénué de misérabilisme, à la mise en scène fébrile et rageuse.
aVoir-aLire.com
Matria, c’est tout simplement le portrait haut en couleur d’une femme extraordinaire qui ne parvient pas à se sortir de la médiocrité de son existence, ou la révélation sur les écrans français d’une grande comédienne : María Vázquez.
L’OBS
Caméra à l’épaule façon Dardenne, le film s’échappe vers la mer de Galice et brûle du feu de sa vibrante interprète principale, María Vásquez.
LA SEPTIÈME OBSESSION
À la fébrilité de son héroïne, à l’asphyxie réelle (ses quintes de toux qui l’épuisent un peu plus) et métaphorique, la mise en scène répond comme un appel d’air. La moindre des élégances de la caméra face à un tel modèle est de ne pas renchérir sur l’oppression ressentie.
LE DAUPHINÉ LIBÉRÉ
Sans aucun cliché, Alvaro Gago dresse le portrait complexe d’une femme imparfaite.
LES FICHES DU CINÉMA
Portrait d’une quadragénaire luttant pour survivre dans un milieu social et familial complexe, Matria est un film beau et sincère, mais qui manque d’originalité, tant dans le traitement que dans le regard porté sur la communauté à laquelle il s’intéresse.
LIBÉRATION
C’est la meilleure idée de Matria de se caler sur ce souffle, long et court, de femme de la classe laborieuse qu’il ne quitte pas d’une semelle.
PREMIÈRE
Malgré la gravité de son propos, Matria capte gracieusement la force de volonté d’une femme dans sa quête d’émancipation.