Fiction / Espagne, Portugal, Belgique

O CORNO, UNE HISTOIRE DE FEMMES

1971, Espagne franquiste. Dans la campagne galicienne, María assiste les femmes qui accouchent et plus occasionnellement celles qui ne veulent pas avoir d’enfant. Après avoir tenté d’aider une jeune femme, elle est contrainte de fuir le pays en laissant tout derrière elle. Au cours de son périlleux voyage au Portugal, María rencontre la solidarité féminine et se rend compte qu’elle n’est pas seule et qu’elle pourrait enfin retrouver sa liberté…

ANNÉE
RÉALISATION
SCENARIO
AVEC
FICHE TECHNIQUE
DATE DE SORTIE

2023

Jaione CAMBORDA

Jaione CAMBORDA

Janet NOVÁS, Siobhan FERNANDES, Carla RIVAS

1h45 – Couleur – Dolby Digital 5.1

27 mars 2024

BIOGRAPHIE DE LA RÉALISATRICE

La réalisatrice est originaire de Saint-Sébastien et basée à Galice. Elle a étudié à la Film and TV School of the Academy of Performing Arts  à Pragues et à l’université Television and Film de Munich . C’est à Galice qu’elle a commencé à réaliser et à écrire des scénarios. Son premier film, ARIMA (2019) a gagné le prix de la Meilleure Réalisation dans la section Nouvelle Vagues du Festival Européen de Séville et le meilleur film dans la section « Escaner » du festival de Margenes.

Avant cela, Jaione a réalisé des court-métrages avec sa propre boite de production Esnatu Zinema fondée à Santiago de Compostelle. Elle a aussi participé comme scénariste pour les films Os Fenomenos et Ons réalisés par Alfonzo Zarauza.

Elle a aussi été sélectionnée pour participer dans des résidences de créations variées comme Toronto International Film Festival ou encore au SSIFF.

ENTRETIEN AVEC LA RÉALISATRICE

L’écriture du scénario a-t-elle nécessité un travail important d’investigation pour connaître cette époque historique ?

 

Oui, en effet, j’ai lu beaucoup de livres d’historien.nes mais surtout ce qui m’a influencé ce sont les témoignages des femmes de cette époque. J’ai rencontré plusieurs de ces femmes qui m’ont raconté leurs histoires. Certaines d’entre elles m’ont ainsi inspiré plusieurs scènes. Le film n’est donc pas l’adaptation d’une histoire réelle mais plutôt de diverses histoires réelles.

 

La sororité qui traverse le sujet du film est également pensée en hors champ du côté d’une équipe féminine avec l’association de plusieurs productrices : était-ce là une condition incontournable pour faire ce film ?

 

O Corno se connecte très fortement avec les femmes et c’est également ce qui nous a uni, nous toutes, dans la réalisation de ce film. En ce sens aussi, je dois dire que le film est lié avec nos vies respectives. Être à la fois productrice et réalisatrice du film était une situation complexe et cela m’a beaucoup aidé de pouvoir être accompagnée par d’autres productrices. La coproduction avec le Portugal a facilité la collaboration avec toute une équipe portugaise qui a pu ainsi collaborer et s’intégrer au reste de l’équipe. Rui Poças est un véritable maître de la lumière et j’admire énormément son travail sur de nombreux films : Zama de Lucrecia Martel, Tabu de Miguel Gomes, Sa sensibilité à travailler aussi bien les images nocturnes que les réalisations historiques, sa sensibilité pour l’humanité m’intéressait. C’était un vrai plaisir de travailler avec lui et nous nous sommes bien entendus sur le tournage. Il a apporté également une sensibilité portugaise pour moi essentielle au film. Rui Poças par la composition de ses images a énormément contribué à ce que le film puisse témoigner des liens avec le Portugal.

 

Qu’est-ce qui vous a conduit à choisir la danseuse Janet Novás dans le rôle principal plutôt qu’une actrice professionnelle ?

 

Pour interpréter María j’avais besoin d’une femme avec une réelle présence physique qui s’intègre au monde à partir de son corps. Il fallait aussi que l’on puisse la sentir étroitement liée à la terre. En outre, Janet Novás connaît bien le monde rural et les relations qui s’y jouent entre les femmes puisque sa mère est agricultrice. Sans oublier le fait qu’elle est particulièrement talentueuse. C’est son premier rôle à l’écran et elle apportait ainsi une incarnation inédite. Je l’ai beaucoup dirigée à partir de son corps. Le personnage de María semble être un même corps dans lequel les autres personnages féminins se reflètent et s’identifient, comme la jeune fille qui pourrait être le reflet de ce qu’elle a été plus jeune. Il existe en effet de nombreux jeux de miroir entre les personnages qui se reflètent les unes sur les autres. Ainsi, elle pourrait être cette jeune fille qui avorte parce qu’elle-même est passée par là, elle pourrait être dans le futur la femme portugaise qu’elle rencontre dans le bar puisqu’elle a dû migrer au Portugal et doit se confronter à la douleur. Elle pourrait aussi être Anabela, la prostituée. Tout le film est ainsi traversé par ces jeux de miroir entre les personnages pour exprimer le désir d’être l’autre et éliminer la distance entre ces femmes. Car nous sommes l’autre et en même temps nous donnons un espace à la prise en compte du soin de l’autre. Ainsi s’exprime l’espace de la sororité. C’était là pour moi un objectif important à développer dans la réalisation.

 

Pourquoi avoir choisi l’année 1971 pour développer l’intrigue du film ?

 

Nous sommes alors dans une Espagne sous le joug franquiste et pour moi il était essentiel que ce contexte historique ne soit pas explicite. Il fallait que l’époque soit surtout évoquée à travers l’atmosphère qui privilégie la nuit où sont plongés les personnages. Dès lors la liberté des personnages est remise en cause par cette sensation perpétuelle d’agir dans la clandestinité. Les personnages vivent ainsi avec en tête de nombreux interdits et tabous issus de la pression exercée par l’Église et le patriarcat. Il était essentiel pour moi que l’époque se ressente avant tout par une atmosphère oppressive. Travailler ainsi était pour moi d’autant plus essentiel que je souhaitais que le public à un moment donné oublie l’époque pour mieux sentir l’actualité de l’intrigue. Car lorsque l’on réalise un film historique avec quelques clichés pour identifier l’époque, je pense que cela crée du côté du public une sorte de distance comme si les problématiques du film n’appartenaient qu’à cette époque seulement. Je souhaitais davantage développer des ponts avec le présent pour mieux initier un dialogue fécond avec les époques. En effet, actuellement le danger du retour à l’interdiction de l’avortement plane sur les consciences comme nous pouvons le constater dans différents pays du monde ou comme lors de discussions au parlement espagnol. Il est essentiel de pouvoir se rappeler du passé et dans ce souci d’éliminer les distances apparaît aussi la suppression de la distance du temps. Je pense que ce qui s’est passé n’est jamais très loin de ce qui peut se reproduire, c’est pourquoi il est fondamental d’avoir accès à ce passé. Nous devons nous rappeler que ces femmes à cette époque subissaient des pressions qui mettaient leur vie en danger mais qu’il existait aussi entre elles des liens de solidarité pour surmonter ces situations. Je pense qu’il est bon de remettre aujourd’hui sur la table les conditions de ces femmes et que la société se rappelle leurs conditions. Les femmes trouvent toujours les moyens d’accéder à leur liberté mais cela passe par le risque de perdre leur vie. Certains personnages dans un bar évoquent cette situation d’oppression dans leurs pays respectifs, Espagne et Portugal. Il était essentiel aussi pour moi que face à cette oppression d’une dictature d’un pays à l’autre il y ait un sentiment de soutien fraternel. Cela permettait aussi de développer un jeu de miroir entre les deux pays plongés dans des situations similaires.

 

Était-il important aussi que se reflètent à travers les différentes langues du film, du galicien au portugais et à l’espagnol, la réalité locale du lieu de tournage ?

 

Je suis Basque et non de la Galice mais pour moi il y a quelque chose qui transcende la réalité locale et qui parvient à un niveau universel sans frontières. Ainsi, un personnage peut parler portugais et l’autre lui répondre en galicien sans que cela empêche leur compréhension. Cela permet de mettre en valeur des cultures très proches. Là encore, j’ai souhaité ainsi éliminer la distance entre les personnages qui ont ainsi accès à l’intimité de l’autre. Présenter le film en version originale est un véritable enjeu alors qu’en Espagne beaucoup de films sont encore doublés. Faire ce film en langues originales permettait de célébrer ainsi la richesse de la diversité des langues en un même pays.

 

Le film met également en valeur une proximité entre le monde des femmes et la nature environnante et le monde animal : est-ce ainsi un moyen de témoigner d’une ressource pour fuir l’oppression ambiante ?

 

Tout comme il était important de conserver un lien solidaire entre les personnages, il était essentiel de lutter contre la distance entre le monde humain, la nature et le monde animal. J’étais sensible à l’idée de nous réconcilier avec le monde humain, notamment les mammifères. En effet, dans le monde actuel, non seulement nous mettons de la distance avec le monde animal et en plus nous rejetons cette identité animale en nous. Il était important pour moi de nous réconcilier sur ces aspects. Je souhaitais en outre une réconciliation du monde humain avec la nature car nous ne sommes pas en tant qu’humains à côté de la nature, mais nous en faisons partie intégrante. En ce sens, nous avons utilisé particulièrement des ressources esthétiques pour que cette sensation apparaisse dans le film et que les personnages soient inséparables de la nature qui les habite et les environne. Pour moi encore, il était essentiel de travailler sur l’idée de frontières à la fois géographiques et symboliques. En effet, ce sont là des frontières qui nous sont imposées de la part de systèmes politiques mais qui ne sont pas naturelles. Toutes ces frontières qui s’imposent sans cesse mettent en péril la vie humaine.

 

Pourquoi avoir voulu mettre en hors champ des situations éprouvantes qu’il s’agisse d’une virginité perdue, d’une naissance comme d’un avortement où une goutte de sang filmée suffit à comprendre toute une scène ?

 

Le film travaille beaucoup sur le principe du hors champ. Je souhaitais ainsi donner de l’espace au spectateur et à la spectatrice pour qu’il et elle puissent imaginer et remplir par leur propre sensibilité les situations non visibles à l’écran. C’est l’idée d’avoir un public actif où il n’est pas seulement pris par les émotions mais aussi par une implication de son corps. Pour moi il y a une force d’expression beaucoup plus forte dans ce qui est suggéré que dans ce qui est montré explicitement. Les trois moments évoqués, l’accouchement, la sexualité et l’avortement, viennent en effet questionner le rapport d’une femme à son corps dans une connexion étroite avec le monde des mammifères et de la nature. Mon point de vue consiste ici à ne pas travailler le récit de manière explicite.

 

Le film est également traversé par la dualité entre vie et mort que représente par exemple le sang mais aussi des personnages.

 

J’aimais bien en effet travailler sous la forme d’un triptyque associant la naissance, la sexualité et un avortement, comme s’il s’agissait d’une même essence. En revanche, je tiens à défendre l’idée de l’avortement non pas associée à la mort mais plus tôt comme le fait de ne pas donner la vie. J’aimais bien l’idée de réaliser un véritable polyèdre de ces moments de la vie du corps d’une femme. Durant l’avortement il y a ainsi également une expulsion qui est similaire à la naissance et qui génère quelque chose de très profond pour la femme. Cette sensation de triptyque apparaît également dans la durée des scènes qui leur donne un espace capital. Nous retrouvons également les poitrines dans des circonstances différentes pour mieux faire dialoguer les situations entre elles, qu’il s’agisse de la sexualité ou d’allaiter un nouveau-né.

 

L’histoire semble parcourir un cycle partant d’une naissance pour y revenir, au-delà du parcours des personnages : était-ce là aussi un moyen d’évoquer une narration dont les problématiques dépassent les personnages eux-mêmes ?

 

Il était essentiel de commencer et de terminer avec la célébration de la vie. L’essence la plus importante du film consistait à explorer la capacité des femmes à donner la vie et de refuser de la donner. En revanche, je ne voulais pas que cela entre en conflit avec la nécessité de définir ce qui se passe avec notre corps. Apparaît également ce cycle qui lient Eros et Thanatos qui cohabitent en permanence dans le film.

 

Le titre du film, O Corno, témoigne également de la dualité, du monde animal (la corne de la vache) au monde végétal utilisé pour un avortement.

 

O Corno désigne en effet l’ergot du seigle, un champignon vénéneux et parasite qui pousse sur le blé et qui a beaucoup été utilisé en Galice pour fabriquer des médicaments. Il a été utilisé pour accélérer les contractions dans un accouchement mais aussi dans la clandestinité pour faire des avortements. Cette mise en valeur du titre me permettait ainsi de rappeler le parallélisme entre accouchement et avortement. La corne (corno) évoque également le monde des mammifères qui traverse tout le film et qui génère auprès du spectateur et de la spectatrice des images du monde animal associées à la défense et/ou à l’attaque. Ainsi, la vache est un animal qui traverse le film par sa présence

 

 

 

LISTE TECHNIQUE

Réalisation et scénario : Jaione Camborda
Image : Rui Poças
Son : Sergio Silva
Montage : Cristobal Fernández
Musique: Camilo Sanabria
Étalonnage : Rita Lamas
Productrices : Jaione Camborda, Andrea Vázquez, María Zamora
Producteurs associés : Rodrigo Areias, Katleen Goossens
Production : Esnatu Zinema, Miramemira, Elastica Films, Bando à Parte, Bulletproof Cupid
Attachés de presse : Florence Narozny, Mathis Elion

LISTE ARTISTIQUE

Janet Novás : María
Siobhan Fernandes : Anabela
Carla Rivas : Luisa
Daniela Hernán Marchán : Ángela
María Lado : Teresa
Julia Gómez : Carmen
José Navarro : Marcos
Nuria Lestegas : Mabel
Diego Anido : Juan

CE QU'EN DIT LA PRESSE

L’OBS

L’interprétation de la danseuse contemporaine Janet Novás et Rui Poças à la photo achèvent de magnifier ce superbe film fait de rimes et d’échos.

 

LE DAUPHINÉ LIBÉRÉ

Une vision sensible et percutante de l’histoire sombre de l’Espagne, tandis que le personnage de Maria incarne la résilience et la lutte pour la liberté dans un monde oppressif.

 

LE PARISIEN

Là où Camborda excelle, c’est lorsqu’elle filme le corps féminin avec un rapport à l’intime presque animal et très frontal, et à la fois une certaine pudeur que les jeux de lumière subliment. Grand Prix au dernier Festival de San Sebastian, « O Corno » est un geste de cinéma esthétique et politique.

 

LES FICHES DU CINÉMA

La solitude, la douleur, l’héroïsme, et enfin la sororité : d’une sensibilité et d’une chaleur ardentes, le deuxième film de Jaione Camborda célèbre les femmes et leurs corps.

 

LES INROCKUPTIBLES

Prenant pour cadre les dernières années du franquisme, « O Corno » est une exploration vibrante de ce que vivent les femmes dans une société autoritaire et liberticide.

 

LIBÉRATION

Très intelligemment, c’est la « condition » des femmes qui sera le motif décliné en diverses tonalités : de la condition dite « intéressante » de la grossesse à la condition persécutée de corps à réprimer, sorcières ou avorteuses, contrebandières ou prostituées, femmes mûres, femmes noires, filles-mères, hors-la-loi et exilées, et sous quelle condition survivre, résister, vivre les moments de plaisir, de liberté – qui ne soient aussitôt voués à la douleur et au crime.

 

TÉLÉRAMA

Dans des couleurs somptueuses, marron de boue, or pâle des blés, encre des eaux miroitantes, que le directeur de la photographie semble emprunter autant à Velázquez qu’à Géricault, O corno exalte l’héroïsme féminin le plus concret.

 

aVoir-aLire.com

Une élégante épopée féministe pour célébrer la liberté, la maternité et la sororité.

 

LE MONDE

Rien de tout cela n’est asséné, la mise en scène nous le dit secrètement, plan après plan, tandis que des personnages féminins surgissent autour de Maria, de manière fugace, pour disparaître ensuite, comme un passage de relais.